Côte d’Ivoire – Le président Ouattara n’a pas de mérite en matière économique et sociale

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Texte proposé par PRAO Yao Séraphin, économiste

Le Président Ouattara est certainement la personnalité ivoirienne dont on a énormément parlé ces dernières décennies en Côte d’Ivoire. Sa fonction de directeur adjoint au Fonds monétaire international (FMI) a contribué à créer un mystère autour de sa personne. On a vite fait de le considérer comme l’économiste le plus doué de sa génération. Cette idée a pris une force inaccoutumée et a même fait florès. Ce mystère a perduré jusqu’à ce que la pratique du pouvoir infirme cette idée reçue. En effet, depuis 2011, le Président Ouattara démontre qu’il n’a aucun mérite en matière économique et sociale. Le citoyen lambda a fini par réviser son jugement sur le Président Ouattara, reconnaissant finalement que la cristallisation sur sa personne n’était simplement qu’une curiosité théorique. Nous avons appris que l’économiste doit gérer la rareté et non l’abondance. Les besoins des hommes étant illimités face aux ressources limitées, l’économiste doit satisfaire les besoins humains sous la contrainte budgétaire. Pour nous, l’économiste qui a du mérite est semblable à celui qui trouvera de l’eau au désert pour étancher la soif des humains et non celui qui le fera pour une population qui qui vit à côté d’une source d’eau. Or depuis qu’il est au pouvoir, le Président Ouattara n’a engagé aucune réforme sérieuse tendant à moderniser les bases de notre économie. En panne d’idée certainement, il n’a qu’un seul projet : engager des grands travaux financés par la dette. Malgré le soutien massif de ses amis financiers, l’économiste Ouattara n’arrive point à trouver l’embouchure du développement dans notre pays. C’est à cette démonstration que nous nous attelons dans cette présente réflexion.

1. LE PRÉSIDENT OUATTARA A BÉNÉFICIÉ D’UN CONTEXTE FAVORABLE

Engagé dans le programme PPTE (Pays Pauvres Très Endettés), le pays a atteint le point d’achèvement de l’IPPTE le 26 juin 2012. Le stock de sa dette a été allégé de façon substantielle. Le stock de la dette est passé de 6264 milliards en 2011 à 2283, 86 milliards après l’atteinte du point d’achèvement de l’IPPTE. Le service de la dette est passé de 500 milliards par an à 230 milliards de FCFA. L’obtention du point d’achèvement de l’initiative PPTE a permis l’annulation de 80% de la dette ivoirienne actuelle, soit 4080, 90 milliards FCFA. A côté de ce cadeau fait au Président Ouattara, il faut également compter avec le soutien massif de la banque mondiale à la Côte d’Ivoire. En effet, cette institution a accompagné tout le processus de sortie de crise de la période 2008-2013 en octroyant 1000 milliards de FCFA à la Côte d’Ivoire pour redynamiser les secteurs clés de l’économie. Avec cette largesse des institutions internationales, n’importe quel président ferait mieux que ce que nous constatons en Côte d’Ivoire. Boucher quelques trous et faire quelques kilomètres de route ne sont donc pas des prouesses. Avec le recours effréné à l’épargne étrangère, la relance sous le Président Ouattara a consisté essentiellement à financer quelques projets dans le cadre des programmes présidentiels d’urgence (PPU).

2. LE PRÉSIDENT N’ENGAGE AUCUNE RÉFORME VISANT LA MODERNISATION DE NOTRE ÉCONOMIE

Il est impossible de maintenir une croissance durable sans reformes. A court terme, on peut relancer la machine économique avec les dépenses publiques mais cette relance keynésienne a des limites. Des reformes sont nécessaires pour dynamiser cette croissance avec le développement du secteur privé. En matière de réforme, le Président Ouattara est très indigent.
Il n’a aucune politique pour développer les PME. Ces dernières représentent 80% du tissu économique national et contribuent paradoxalement à hauteur de 18% du Produit intérieur brut (PIB) et n’offrent que 23% d’emplois formés. Pour un économiste, l’essor de ce secteur devient dès lors une priorité. Or aucune mesure sérieuse n’est prise pour faciliter le développement des PME. Une réforme visant à faciliter l’accès au crédit des PME est nécessaire. L’Etat pourrait par exemple à l’image des Etats-Unis faciliter l’accès aux marchés en faveur des PME avec une loi obligeant les multinationales à faire de la sous-traitance avec les PME. Une structure de renforcement des capacités managériales est également nécessaire pour rendre les PME compétitives.
Aucune réforme en matière bancaire. Même si le secteur bancaire s’est étoffé avec 24 banques en 2013, le taux de bancarisation en Côte d’Ivoire reste faible de l’ordre de 14 %. Le secteur reste toujours oligopolistique avec la SGBCI qui reste la banque la plus importante du pays et même de la sous-région, avec 79 milliards de FCFA de fonds propres et 800 milliards de FCFA de total bilan. En Côte d’Ivoire, le crédit bancaire rapporté au PIB est de l’ordre de 22% alors qu’il est de 157% en Afrique du Sud, 41% au Kenya et 28% au Ghana. Les banques ivoiriennes ne prêtent pas et sont devenues surliquides. Les quelques rares crédits octroyés sont à court terme. Les crédits à court terme (moins de deux ans) représentent 79%, alors que ceux du moyen terme (de 2 à 10 ans) font 20% et seulement 1% pour le long terme (plus de 10 ans). L’analyse de la structure des crédits déclarés à la Centrale des risques (à fin juillet 2012) montre que 61 % des crédits accordés sont alloués au secteur tertiaire qui reste le principal bénéficiaire du financement bancaire. Les secteurs secondaire et primaire viennent en deuxième et troisième position avec respectivement 34.6 et 4.4 % des crédits bancaires. Le taux de liquidité de l’économie, qui est d’environ 20 % du PIB, reste également très faible, comparé à ceux d’autres pays émergents qui sont à plus de 50 % du PIB. Au lieu d’une réforme bancaire, le Président confond réforme et privatisation. Cette dernière n’est qu’un mode de gestion, il en résulte qu’en l’absence de réforme bancaire, elle ne suffit pas à développer le secteur. En France, par exemple, le développement du secteur bancaire a été encouragé par plusieurs lois. Les placements financiers ont été encouragés par des mesures fiscales (loi Delors en 1983 par exemple) afin que la privatisation des entreprises nationales connaisse le plus grand succès possible. Cela a conduit au « capitalisme populaire. L’Etat pourra légiférer sur une taxe maximum imposée aux agents économiques afin de les inciter à constituer une épargne longue. L’Etat pourra défiscaliser un portefeuille minimum de titres par ménage.

Aucune réforme décisive pour déclencher la révolution agricole. Il est admis que l’économie ivoirienne repose essentiellement sur l’agriculture. Les historiens sont unanimes pour dire que la révolution industrielle aurait été impossible sans un développement antérieur ou concomitant de l’agriculture. L’amélioration des rendements donne une meilleure alimentation, condition de l’amélioration de la productivité dans le secteur industriel. Le Président Ouattara n’engage aucune réforme. Et pourtant le cas anglais est édifiant. En effet, en Angleterre, l’extension de l’élevage et les besoins de terre poussent les grands propriétaires nobles à réclamer la suppression des servitudes collectives pesant sur les champs ouverts. On assiste alors à un triomphe de l’individualisme agraire : les propriétés sont remembrées et clôturées. Le mouvement des enclosures prend de l’ampleur entre 1730 et 1830. Le parlement anglais adopte près de 5000 actes destinés à entériner une nouvelle distribution de la propriété et l’implantation des clôtures. Avec la définition des droits de propriété, l’agriculture se développée et délivre les paysans de la misère. En Côte d’Ivoire, la réforme est reportée sine die.

Aucune réforme de modernisation de l’économie. En Côte d’Ivoire, le secteur informel occupe plus de 65% de la population urbaine, pour une contribution dérisoire au produit intérieur brut de 1/5. Il est urgent de mettre en place les réformes nécessaires pour diminuer la part du secteur informel. L’accroissement de la taille du secteur informel en Afrique pose le problème de la capacité des Etats à disposer des recettes fiscales nécessaires pour répondre aux énormes défis de développement. Les recettes fiscales en pourcentage du PIB qui représentaient 16,5 en 2009 et 17% en 2010 sont passées à 13,1% en 2011 et 13,5 en 2013. La réduction du secteur informel contribuera de façon indéniable à augmenter ce ratio. Le taux de réalisation qui instruit sur la performance de l’administration fiscale en matière de recouvrement, se situe dans l’ensemble en dessous de la moyenne c’est à dire 50%. Hormis le Sénégal et le Togo qui affichent respectivement des taux de 51,9% et 52,6%. La Côte d’Ivoire gagnerait à améliorer le taux de recouvrement en faisant contribuer le secteur informel. Cela éviterait notre pays à aller s’endetter auprès du Congo pour 100 milliards de FCFA. En n’engageant pas de réforme de modernisation de l’économie, la revalorisation du Smig n’a eu qu’un effet très limité. En effet, la revalorisation du Smig con¬cerne uniquement les personnes qui ont un contrat en bonne et due forme, qui sont déclarées à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) et qui touchaient un salaire en dessous de 60.000 F. Or on sait que ce nombre est faible dans notre pays. La plupart des personnes qui ont un salaire en deçà de 60.000 FCFA, œuvrent dans l’informel. Elles n’ont pas de contrat et ne sont pas déclarées à la Cnps.

Aucune politique de la concurrence. Les Etats modernes adoptent des politiques qui fixent comme objectif l’amélioration de l’environnement concurrentiel de l’économie en favorisant l’extension des marchés comme l’instance première de régulation de l’économie. Dans ce cadre, on peut par exemple empêcher les acteurs installés d’acquérir des positions dominantes sur les marchés et à protéger la concurrence potentielle, c’est-à-dire la libre entrée d’acteurs économiques nouveaux sur les marchés. Le Président Ouattara affectionne la pratique des monopoles. Par exemple, la construction et la gestion du deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan (TC2) sont confiées aux mêmes opérateurs que le TC1. Or cette façon de faire n’est pas de nature à permettre aux consommateurs de bénéficier des prix concurrentiels et à rendre notre port compétitif. Et pourtant, le port autonome d’Abidjan contribue à 90% des recettes douanières du pays et à 60% du revenu de l’Etat. Il représente à lui tout seul 90% des échanges extérieurs de la Côte d’Ivoire, et ce sont plus de 70% des activités industrielles du pays qui gravitent autour cet important outil économique.

CONCLUSION

La période où la présence des pelleteuses à chaque coin de rue donnait une certaine illusion est révolue. La construction du pont Henri Konan Bédié est tout sauf un évènement. Les ivoiriens entendent parler de croissance depuis deux ans mais ils ne voient rien comme amélioration de leur bien-être. Le chômage est prégnant, les universités manquent de tout, les hôpitaux également. Pendant que le Président Ouattara et son clan chantent les mérites d’une croissance appauvrissante, les ivoiriens, eux, s’interrogent sur la progression de la misère en Côte d’Ivoire. Finalement le gouvernement et les ivoiriens ne conjuguent pas le même verbe.

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