La Côte d’Ivoire face à son destin et si les Ivoiriens avaient compris le message de François Hollande ?

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Par Claude Koudou

Le titre trouvera son explication dans la suite de l’analyse ci-dessous déclinée. Le 25 décembre 2010, nous (Malick N’diaye : Professeur de sociologie à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar ; François Manga Akoa : alors Responsable du secteur Afrique des éditions L’Harmattan, Dominique Bangoura : présidente de l’Observatoire Politique et Stratégique de l’Afrique (OPSA), et spécialiste de l’Afrique dans les domaines de la paix, de la démocratie, de la sécurité et des relations internationales et moi-même) avons fait une conférence de presse au QG de campagne du candidat Laurent Gbagbo. Nous avons dédicacé à cette occasion, en présence de sem Richard Zadi Gbaka – initiateur du projet – et d’autres personnalités, un livre collectif que nous avions sorti dix jours plus tôt. Ce livre a pour titre : « La Côte d’Ivoire face à son destin, Et si l’Afrique était Gbagbo ; Ed L’Harmattan ».

C’est que nous étions de ceux qui avaient appréhendé la menace qui planait sur la Côte d’Ivoire. Ayant conduit une délégation panafricaine de Paris à Yamoussoukro pour participer aux cérémonies du cinquantenaire de l’indépendance, j’avais moi-même proposé le 26 août 2010, des pistes de réflexion au Porte-parole de la campagne du candidat Laurent Gbagbo pour circonscrire les signes avant-coureurs de la crise, qui allait plonger le pays dans l’abîme abyssal que nous connaissons aujourd’hui. J’avais eu l’occasion en son temps de rencontrer également le directeur de campagne de Laurent Gbagbo.

Le document qui avait été proposé par mes soins à été mis sur le bord de la table, comme souvent lorsqu’il est question de mettre à disposition un minimum de financement pour mener l’action considérée. L’allusion n’est pas de dire que la proposition faite par mes soins serait la panacée. Dans ce sens, il faut dire que de multiples autres propositions et alertes ont été enregistrées. La pudeur commandant qu’on n’aille pas dans les détails, je m’en tiendrai à ces seules méprises pour faire mon analyse et terminer par des propositions.

Préalable
Il convient d’abord de préciser que nous devons retenir que le FPI ne sera fort et ne survivra que grâce à l’unité et la cohésion. Mais la cohésion veut-elle dire pensée unique ou unanimisme ? On pourrait s’inscrire en faux quand on sait que le FPI porte sa dénomination – front – parce qu’il regroupe des communistes, des socialistes et d’autres obédiences qui, soit s’inscrivent dans la gauche politique ivoirienne soit partagent des valeurs essentielles avec cette dernière. Ce parti a tenu sa vitalité et sa force des débats qui l’ont caractérisé surtout avant la prise du pouvoir en 2000. Mais après le congrès de 2001, le parti a commencé à connaître une baisse de régime quant à son animation et sa régénération. Les pistes d’éveil ont été mises en veilleuse par les grands assureurs inutilement arrogants et suffisants.

La tentative de coup d’Etat du 19 septembre 2002 a frappé le pouvoir de Laurent Gbagbo que des camarades ont continué, après les assises de Linas-Marcoussis, de vivre comme si rien ne s’était passé. Il y a ensuite eu novembre 2004 – les évènements : tueries d’Ivoiriens à l’Hôtel Ivoire par l’armée française, suite à l’échec de « l’opération Dignité » ; … – avec des élans de trahison puisque certains proches, par peur, ont demandé à Laurent Gbagbo d’abandonner le pouvoir. Et quand Laurent Gbagbo a tenu, les mêmes jouisseurs de pouvoir ont repris leur train de vie. Des alertes successives nous ont donc accompagnés jusqu’à 2010 pour aboutir à une tragédie à partir d’avril 2011. Ceux qui crient à raison à la cohésion ont-ils toujours été loyaux ou fidèles ? Font-ils tout ce qu’il faut – notamment en donnant des gages de confiance et de démocratie – pour que l’unité et la cohésion prévalent ? Ou font-ils semblant comme hier dans le seul dessein de profiter des avantages du pouvoir ?

Une crise qui couvait au FPI depuis des années, éclate au grand jour à la veille de l’arrivée de François Hollande à Abidjan.
Il convient de rappeler que le FPI et tous les soutiens de Laurent Gbagbo qui étaient réunis dans le cadre de la LMP (La majorité présidentielle), est le bloc politique le plus populaire en Côte d’Ivoire. Comment une telle entité peut-elle supporter le diktat du RHDP – quasiment réduit à sa caste de profiteurs et commis à la culture de la paupérisation des populations – qui n’a ni réelle vision philosophique ni de prise véritable sur le terrain ? La force des armes peut-elle toujours l’emporter sur une volonté populaire ? En tout état de cause, les exemples sont nombreux qui répondent par la négative.

Il conviendrait de sortir de la rhétorique – qui fait la fine bouche – pour penser la reconstruction de ce parti mais surtout d’en faire une boussole dans l’état actuel de la situation ivoirienne, plutôt que de s’obstiner à espérer que le FPI peut seul gagner le combat du changement en Côte d’Ivoire. Le FPI a besoin d’être régénéré, d’adapter ses méthodes à l’évolution du monde. Ce qui doit l’amener à se remettre profondément en question aux fins de devenir un réel pôle d’attraction. Les mêmes qui ont porté des masques et cultivé tant des approximations que de la naïveté doivent humblement remettre les cartes sur la table. Aussi, des échanges et des discussions, … que nous avons eus avec certains acteurs politiques, avec qui nous partageons apparemment les mêmes valeurs, nous montrent-ils à la lumière d’évènements surtout récents que la conviction, le sérieux, la sincérité et la solidarité ne sont pas réellement des valeurs partagées au regard de la pratique courante.

La question qui reste toujours pendante est de savoir si des camarades dirigeants ont changé ? Ou simplement ont-ils pris le parti d’opérer des ajustements pour gagner du temps ? A côté de ces questionnements, nous convenons que l’on peut faire des erreurs. Mais il faut donner des signaux forts pour montrer qu’on a tiré des leçons. Et qu’on compte alors corriger ce qui n’a pas fonctionné. Et à ce titre, on peut demander une nouvelle confiance. Si on veut voir un peu clair, ce ne doit pas être tabou de dire par exemple que le FPI a eu des dotations en ressources financières au compte du financement public des partis politiques. Ce parti n’a pas son propre siège et le parti lance l’opération « je donne au FPI » ? Le compte du parti est-il alors aussi gelé ? En plus de cela, il y a eu des nominations aléatoires dont celui qui nomme, sait très bien que la personne à qui on redonne la confiance a un bilan calamiteux notamment dans la diaspora. Ce sont de simples questions de principe ! Ensuite, en termes d’illustration de l’autisme, vient la nomination récente du secrétariat général pléthorique qui n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Le mardi 15 juillet dernier, des camarades ont « poussé un coup de gueule ». A la suite de cela, faut-il rester dans une ambiance polluée pendant que le Comité de contrôle ne bouge pas ? Au vu de nombreuses expériences amères que le pays a connues ces dernières années, il est urgent que le FPI revisite sa philosophie politique, pour se mettre au diapason de la société au lieu de se laisser absorber par de bas calculs qui déçoivent au minimum, mais peuvent au maximum amplifier la défiance si on n’y prend garde. On se demande par moment – si ce n’est souvent – si le FPI se rend compte de l’attente qu’il y a dans le pays. Alors quelle(s) réflexion(s) à mener pour se mettre au niveau ?

Il me semble que ce parti doit s’ouvrir au lieu de faire du nombrilisme comme s’il avait peur de quelque chose. La frilosité qui tétanise certains dirigeants est étrange tant la confiance et l’émulation sont des gages de réussite et/ou d’efficacité. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille s’associer à n’importe quel prix. Mais il paraît essentiel d’identifier le combat sur la CEI comme un point d’accord minimal pour rassembler ceux qui sont contre la politique de ce gouvernement de fait, mais somme toute illégitime. Alors, tous ceux qui veulent que le pouvoir change dans l’intérêt du peuple doivent se réunir aujourd’hui dans le combat pour une CEI consensuelle. C’est le débat qui doit être au-dessus de toute autre considération. Car il y va de l’avenir (destin) du pays. C’est au FPI, pôle dominant dans la gauche ivoirienne de prendre l’initiative ou à tout le moins, d’encourager les initiatives de regroupement et de large rassemblement pour amener la Côte d’Ivoire à faire face à son destin.

En démocratie, c’est la voix des plus nombreux qui l’emporte. Donc de deux choses l’une ou l’autre, soit la Côte d’Ivoire est un pays démocratique et les plus nombreux doivent déléguer leur pouvoir à ceux qu’ils choisissent. Soit ce pays n’a pas un régime démocratique – c’est ce qui est vrai – et dans ce cas, il faut mener la réflexion qui fasse gagner le pôle qui rassemble le plus grand nombre. Lequel pôle il faut travailler à affirmer. Si les dirigeants actuels du FPI ne peuvent pas mener la réflexion qui fasse gagner un « front du salut », ils devront tirer toutes les conséquences. Les partisans du « bloc du salut » ne peuvent plus accepter de rester dans un attentisme insensé par la faute de dirigeants qui fonctionnent sur la base de petits calculs alors que le peuple souffre ; alors qu’il y a de nombreux Ivoiriens en exil, loin de la Terre de leurs aïeux et ce, contre leur volonté ; alors qu’il y a des prisonniers politiques ; alors qu’il y a des tortures reconnues par tout dans le monde ; … ! Alors qu’attendons-nous ? En fait, ceux qui aspirent être demain au pouvoir doivent être à la hauteur des enjeux : C’est comment geler les mesquineries, prendre la mesure des souffrances des populations et prendre les responsabilités.

Le passage de Hollande est un tournant qu’il faut apprécier dans ses différentes dimensions
Lors de sa visite en Côte d’Ivoire, François Hollande a surtout parlé économie. Les médias avaient déjà préparé les esprits à cette tendance. La question des Droits de l’homme ne pouvait être abordée correctement en liaison avec les questions commerciales. Hollande est donc resté égal à lui-même en servant l’ambiguïté. Il « force » le FPI à aller aux élections sans aborder ouvertement la question de la CEI. Hollande ajoute qu’à défaut, « … le FPI disparaîtrait de la scène politique … ». Ce chantage à la fois gratuit et insensé est non seulement une entorse à l’histoire des luttes mais aussi et surtout une insulte volontaire au peuple résistant de Côte d’Ivoire. Le président français prône des « élections transparentes, crédibles et ouvertes ». Comment cela est-il possible avec un pouvoir autoritaire et autiste qui confectionne une CEI à sa mesure ? Et en présentant la Côte d’Ivoire comme un exemple, Hollande nie volontairement les réalités et amplifient les frustrations que son prédécesseur Sarkozy a créées.

Déjà, il faut dire que les souhaits de François Hollande ne sont pas les vœux des Ivoiriens. C’est là où la Côte d’Ivoire se retrouve face son destin. Hollande n’a pas joué l’apaisement. Les Ivoiriens se trouvent donc devant un choix. Soit ils continuent de regarder, la peur au ventre un pouvoir minoritaire et illégitime les malmener soit ils se mettent dans un bloc qui soit capable de s’opposer valablement – dans l’intérêt de nos concitoyens – aux vandales et incompétents qui sont au pouvoir en Côte d’Ivoire contre la démocratie mais aussi par la force des armes. La grande propagande sur la croissance des multinationales est une manipulation pour détourner l’opinion du vécu réel des populations.

Nous entendons parfois dire que « les Ivoiriens ont trop souffert – ce qui est vrai – et les mettre dans la rue suscitera d’autres morts ». Mais si on fait un peu le point, combien de gens décèdent-ils quotidiennement par AVC (accident vasculaire cérébral), par malnutrition ou par faim, par manque de soins médicaux ou par d’autres soucis affectant leur psychologie et le sens de leur vie, … ?

C’est pourquoi le FPI qui est le parti leader de la gauche ivoirienne doit créer la confiance pour avoir la crédibilité de rassembler tous ceux qui luttent pour la juste redistribution des ressources du pays. Après avoir tiré toutes les leçons du passé, les fils et filles de la Côte d’Ivoire qui souffrent le martyr dans leur chair, doivent s’unir autour de la priorité : « Comment sauver notre pays ? »

La résolution de la crise au FPI qui est apparue au grand jour, ne peut se borner à quelques petites discussions et ajustements de circonstance, entre Pascal Affi N’guessan et quelques frondeurs. A ce prix-là, ce sera classé comme une nième péripétie. Il y a un réel problème de démocratie qui couve depuis longtemps et qu’il faudra aborder sainement pour arriver à une situation qui donne des garanties aux militants.

Et puis, il faut penser à renouveler les ressources humaines pour injecter d’autres manières de faire la politique. Si cela doit passer par des étapes structurelles, il faudra y aller. Il ne faut pas que les mêmes continuent de jouer les oligarques éternels. Cela est fondamental si nous voulons relever notre pays.

Aux différentes interpellations, certains au FPI opposent le rappel aux débats internes. Mais c’est vouloir prendre les autres en otage puisque les pratiques qui ont cours et qui posent d’énormes questions sont connues. La crise est très grave car elle touche chacun au plus profond de lui-même. Moralité, lorsque certaines pratiques ont montré des limites, il faut en essayer d’autres.

La peur de l’ombrage a souvent plané sur le FPI. Cela a fait partir une partie de sa sève. Et ceux qui restent aux commandes ou voient leurs pouvoirs renforcés de tels délestages pensent toujours avoir raison. Ce qui est en cause, ce n’est pas la question de l’ombrage en tant que telle puisque le FPI n’est pas initiateur de cette pratique. Mais c’est le dommage que cela induit au FPI, en terme d Inhibition, de frein à l’innovation et à l’inventivité et de l’incapacité à s’adapter. Aussi, faut-il insister sur le fait que la Diaspora est la partie des Ivoiriens qui vit quotidiennement près des manifestations de la démocratie. Il convient de la consulter pour se procurer son expertise aux fins d’avoir une vision globale sur les débats démocratiques. Il est navrant de ne pas prendre en compte la contribution considérable de la Diaspora à cette lutte et en mépriser les acteurs.

Il faut donc que le FPI oublie définitivement les élections tant que la CEI qui est censée être indépendante reste dans la configuration actuelle. Le président Affi N’guessan doit l’affirmer formellement et non pas en des phrases détournées ou paraboliques. Ainsi le cheval de bataille de tous ceux qui souffrent du pouvoir de Ouattara sera la question de la CEI. Nous devons mobiliser tous ceux qui ont la passion pour ce pays – mettant en minorité les aventuriers et les opportunistes – ; tous ceux qui veulent lutter pour le bien-être du peuple autour de la CEI.
En luttant à régler les questions électorales en amont, nous épargnerons des aventures plus incertaines aux populations. Cela doit être possible.

Enfin, il faut affirmer haut et fort que la Côte d’Ivoire a bâti un socle sur le brassage ethnique. Tout ce qui est artificiellement soutenu ou entretenu, notamment la guerre des ethnies et celle des religions ne peut pas abuser du bon sens des Ivoiriens. Après, il importe de noter que si la Côte d’Ivoire est citée comme un exemple par Hollande, c’est qu’on doit pouvoir y faire des meetings, des manifestations pacifiques comme dans tout Etat de droit. Si nous nous accommodons par des arrangements complaisants et intéressés et des approximations hasardeuses du pouvoir de Ouattara, ses parrains ne peuvent que s’en frotter les mains. Nous devons faire des alliances avec tous ceux qui sont prêts à adopter « … le changement, c’est maintenant ». Un front du salut doit s’agréger autour d’une CEI qui garantisse des élections justes, transparentes et crédibles. En ayant comme réel objectif, la recherche du bien-être du peuple..

Propositions

Au vu de ce qui précède, il faut que :

– la CEI devienne le point de polarisation et serve de base minimale d’accord pour tous les partisans du changement ;
– des groupes de réflexions adaptés à la période de crise soient mis en place pour proposer des expertises et conseiller des passerelles qui conviennent ;
– le refus d’aller aux élections soient clairement affiché ;
– la Diaspora soit impliquée après qu’un vrai débat ait dégagé des profils au contraire de désigner un messager de façon solitaire ;
– tout soit mis en œuvre pour créer un bloc solide qui doit s’opposer vigoureusement à ce pouvoir tyrannique et sanguinaire, en vue de demander son départ ;
C’est la solution pour libérer tous les prisonniers arbitraires et politiques où qu’ils soient. Ce qui n’est pas forcément incompatible avec les intérêts de la France.

Dr Claude KOUDOU
Analyste politique

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