Contentieux des TIC en Côte d’Ivoire: l’impérieuse nécessité de déterminer les juridictions compétentes

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Le contentieux des TIC en Côte d’Ivoire : de l’impérieuse nécessité de déterminer clairement les juridictions compétentes.

Par Ibrahim Coulibaly, Docteur en droit.

Dans un souci légitime de renforcer les pouvoirs de l’Autorité de Régulation des Télécommunications en Côte d’Ivoire (ARTCI) – laquelle a été érigée au statut d’autorité administrative indépendante – les compétentes de cet organisme ont été largement étendues. Il en va particulièrement ainsi du domaine de compétence quasi-juridictionnelle de l’ARTCI ; Domaine de compétence dont l’articulation avec l’office des juridictions de droit commun ne pouvait manquer de soulever des conflits.
Dans un précédent article, nous avions déjà attiré l’attention sur cette réalité au sujet d’un litige ayant opposé un particulier à un opérateur de téléphonie.
L’ordonnance rendue le 23 juin 2014 par le Président du Tribunal de commerce d’Abidjan [1] vient raviver cette problématique de la compétence juridictionnelle de l’ARTCI ; laquelle compétence est, encore une fois, déniée par le Tribunal de commerce.

Faits et procédure

Comme s’agissant du jugement du Tribunal du commerce d’Abidjan que nous avions commenté il y a deux semaines [2], la présente affaire met également aux prises un entrepreneur individuel et l’opérateur de téléphonie Orange Côte d’Ivoire (Orange-CI).

Monsieur F. S. [3], pharmacien de profession, a souscrit un contrat d’abonnement téléphonique auprès de la société Orange-CI. Se plaignant d’une suspension de sa ligne, dont il sert à titre personnel et professionnel, Monsieur F. S. entrera en contact avec son opérateur de téléphonie. On lui aurait fait savoir, à ses dires, qu’il s’agissait d’une erreur et que la ligne serait rétablie le 12 mai 2014. Or, malgré toutes les démarches entreprises, la ligne ne sera pas rétablie. C’est ainsi qu’il devait saisir, en référé, le Président du Tribunal de commerce d’Abidjan, et non l’ARTCI, pour qu’il soit enjoint à la société Orange-CI de rétablir sa ligne de téléphone.
Pour sa défense, la société Orange-CI soutiendra que Monsieur F. S. n’apportait pas la preuve de résiliation de son contrat d’abonnement téléphonique et qu’il restait débiteur à son égard de la somme 86.424 FCFA [4] ; le défaut de paiement de cette somme étant la raison de la suspension de sa ligne.
Cette version sera contestée par le demandeur. Il faut noter, à cet égard, qu’il y avait, en l’espèce, un problème de preuve qui ne sera pas tranché par le Président du tribunal qui s’est déclaré incompétent au profit du juge du fond du tribunal de commerce.

En effet, le selon l’ordonnance, « il résulte de ce qui précède que pour ordonner la mesure sollicitée par Monsieur F. S., la juridiction de céans doit au préalable statuer sur l’existence ou non d’un contrat d’abonnement-type liant les parties. Or de telles investigations ne relèvent pas de sa compétence car il y a risque de préjudice au fond. Il échet en conséquence de nous déclarer incompétent au profit du juge du fond du Tribunal de commerce d’Abidjan ».

Le tribunal de commerce demeurait donc, en tout état de cause, compétent selon son Président.

Or, ici aussi, comme dans l’affaire jugée le 8 mai 2014, la société Orange-CI soulèvera in limine litis l’incompétence du Tribunal de commerce. Selon le défendeur, « il s’agit d’un litige survenu dans le secteur des télécommunications et relatif à la bonne ou mauvaise exécution de ses obligations par un fournisseur de services de télécommunication ».

Dès lors, selon la société Orange-CI, en application des articles 72 et 104 de l’ordonnance de l’ordonnance n° 2012-293 du 21 mars 2012 relatives aux télécommunications et aux technologies de l’information en Côte d’Ivoire, seule l’ARTCI était compétence. Rappelons qu’en vertu de l’article 104, « l’ARTCI connaît, en premier ressort, de tout litige pouvant survenir dans le secteur des télécommunications/TIC notamment :

toute violation, par un opérateur ou un fournisseur de services de Télécommunications/TIC, des dispositions légales ou règlementaires en matière de Télécommunications/TIC ou de clauses conventionnelles ;
tout refus d’interconnexion ou de location de capacité ou d’infrastructures, non conformes aux conditions prévues par les textes applicables et tout désaccord relatif à l’application ou l’interprétation des conventions et des catalogues d’interconnexion ;
toute atteinte aux conditions d’octroi ou de refus d’octroi à un opérateur des droits d’occupation sur le domaine des personnes publiques ou des droits de passage sur une propriété privée aux fins d’établissement et de l’exploitation d’un réseau de Télécommunications/TIC ;
tout défaut d’application par un opérateur ou un fournisseur de services de Télécommunications/TIC de son cahier de charges ou de tout autre document similaire contenant les conditions attachées à son autorisation ou à sa déclaration ;
tout défaut d’application ou violation d’une clause figurant dans un contrat d’abonnement-type avec les consommateurs ».

Sur cette exception d’incompétence, Monsieur F. S. faisait valoir, pour sa part, une mauvaise interprétation des dispositions de l’ordonnance relative aux télécommunications. En effet, selon lui, cette ordonnance « sert à règlementer les rapports entre les entités travaillant dans le secteur des télécommunications ».
Selon lui, de même, l’article 104 « énumère limitativement les litiges pour lesquels l’ARTCI est compétente en premier ressort ».

Le litige n’ayant, au final, pas été tranché au fond, nous nous limiterons aux questions de procédure, aux questions de compétence qui étaient tout aussi déterminantes en l’espèce.

Problèmes juridiques

Du point de vue procédural, la question se pose, en l’espèce, de savoir qui de l’ARTCI ou du Tribunal de commerce d’Abidjan est compétent pour connaître, en premier ressort, du litige opposant un opérateur de téléphonie à un abonné ?
Si au sens de l’ordonnance, la réponse à cette question dépendait du point de savoir s’il existait bien un contrat d’abonnement-type liant les parties, il nous semble nécessaire de déborder ce cadre pour envisager l’hypothèse dans laquelle il n’existerait pas de contrat d’abonnement-type. La compétence de l’ARTCI devrait-elle être écartée pour autant ?

I – De la juridiction compétence pour connaître, en premier ressort, d’un litige opposant un opérateur de téléphonie à un client bénéficiant d’un contrat d’abonnement-type

Nous ferons abstraction de la circonstance résultant, en l’espèce, du fait qu’aucune réponse n’a été apportée à la question de savoir si Monsieur F. S. est ou était encore lié à la société Orange-CI par un contrat d’abonnement-type. En supposant qu’il en soit ainsi, quelle juridiction serait compétence ?

A cet égard, le texte de l’article 104 de l’ordonnance relative aux télécommunications donne clairement compétence à l’ARTCI (A). Cette circonstance était même admise par Monsieur F. S. qui se prévalait, cependant, de la rupture du contrat d’abonnement-type. Hormis cette circonstance, le demandeur a développé toute une argumentation limitant le champ de compétence de l’ARTCI. Cette argumentation doit être rejetée en rappelant le domaine de compétence juridictionnelle étendu de l’ARTCI (B).

A – De la compétence d’attribution de l’ARTCI pour connaître des litiges relatifs aux contrats d’abonnement-type avec les consommateurs

Cette partie n’appelle de développements très longs. Il faudra simplement se référer ici au texte de l’ordonnance relative aux télécommunications et plus précisément au dernier alinéa de l’article 104. Selon cet alinéa, c’est l’ARTCI qui est compétente, en premier ressort, pour connaître de tout litige relatif à un « défaut d’application ou violation d’une clause figurant dans un contrat d’abonnement-type avec les consommateurs ».
Comme le relevait Monsieur F. S., un contrat d’abonnement-type « est un contrat d’abonnement post-payé qu’un consommateur signe avec un opérateur et en raison duquel, il paie chaque mois des factures ».
Dès lors, s’il devait être établi que les parties étaient ou sont encore liées par un contrat d’abonnement-type, alors il serait indiscutable que la compétence de l’ARTCI prévale sur celle du Tribunal de commerce.
Au-delà des contrats d’abonnements-types qui sont l’objet du présent litige, il convient de rappeler que la compétence juridictionnelle de l’ARTCI est fort étendue et qu’elle ne saurait être limitée comme l’envisageait le demandeur.

B – Du domaine de compétence juridictionnelle étendu de l’ARTCI

Il n’y a également pas lieu de se livrer à de très longs développements ici. Pour des développements plus substantiels sur la compétence étendue de l’ARTCI, nous renvoyons à notre article cité plus haut.
Pour l’heure, il convient d’appréhender et de rejeter les arguments invoqués par Monsieur F. S. au soutien de ses prétentions. Selon ce dernier, l’ordonnance relative aux télécommunications/TIC « sert à règlementer les rapports entre les entités travaillant dans le secteur des télécommunications ». Selon lui encore, l’article 104 précité de l’ordonnance « énumère limitativement les litiges pour lesquels l’ARTCI est compétente en premier ressort ». Enfin, aux dires de Monsieur F. S., « les personnes ne travaillant pas dans le domaine des télécommunications et qui sont concernées par ladite ordonnance sont celles qui ont signé un contrat-type avec un opérateur ».
Contrairement à ces affirmations, il convient de révéler que la compétence de l’ARTCI n’est pas exclusivement une compétence rationae personae mais principalement rationae materiae (1). De même, contrairement aux allégations de Monsieur F. S., les litiges pour lesquels l’ARTCI est compétente ne pas « limitativement énumérés » (2).

1) Une compétence rationae materiae et non rationae personae

A suivre l’argumentation essentielle de Monsieur F. S., la compétence de l’ARTCI serait une compétence rationae personae c’est-à-dire circonscrite aux litiges relatifs à certaines personnes, les personnes travaillant dans le domaine des télécommunications. Or, telle n’est point le cas.
La compétence de l’ARTCI, telle que cela ressort de l’article 104 de l’ordonnance, n’est pas une compétence rationae personae mais une compétence essentiellement rationae materiae c’est-à-dire qui s’applique au contentieux des Télécommunications/TIC. Cela ressort clairement de l’expression « tout litige pouvant survenir dans le secteur des télécommunications/TIC » figurant à l’article 104 précité. C’est cette matière qui relève de la compétence de l’ARTCI et non les personnes travaillant dans le domaine des télécommunications.
S’il en était ainsi, l’ordonnance ne s’appliquerait pas aux consommateurs, lesquels ne travaillent pas dans le secteur des télécommunications. Or, comme mentionné ci-dessus, l’ARTCI est également compétente pour connaître des litiges opposant des opérateurs et fournisseurs de services de Télécommunications/TIC aux consommateurs.

2) Une compétence rationae materiae non limitée

Selon Monsieur F. S., les litiges relevant de la compétence de l’ARTCI seraient limitativement énumérés. Il n’en rien en réalité. Il faut juste noter, à cet égard, l’emploi de l’adverbe « notamment » au sujet du domaine de compétence de l’ARTCI. Ce qui est bien la preuve que la compétence matérielle de l’ARTCI n’est pas limitée.
Pour illustrer cette réalité, l’on pourra se référer au jugement rendu par le Tribunal de commerce d’Abidjan le 8 mai 2014. En l’occurrence, alors que le demandeur soulevait l’incompétence de l’ARTCI, le tribunal considéra que l’article 104 de l’ordonnance relative aux Télécommunications/TIC, « énumère, de façon non exhaustive, les types de litiges dont l’ARTCI connaît en premier ressort » [5]. Cela se passe de commentaires.

Cette dernière circonstance nous permet alors, opportunément, de nous interroger sur le point de savoir si l’ARTCI ne devrait pas encore être reconnue compétence pour connaître d’un litige opposant un opérateur à un client ne bénéficiant pas d’un contrat d’abonnement-type, comme il en existe des millions. En effet, selon l’ARTCI, « pour un parc global de 20 421 596 abonnés enregistrés à la fin du premier trimestre 2014, l’on peut constater que 99,5% sont des abonnés prépayés contre seulement 0,5% de post-payés. Les usagers de la téléphonie mobile en Côte d’ivoire ont donc une préférence avérée pour la formule prépayée au détriment du post-payé » [6].

II – De la juridiction compétence pour connaître, en premier ressort, d’un litige opposant un opérateur de téléphonie à client ne disposant pas d’un contrat d’abonnement-type

A suivre la réserve émise par le Président du Tribunal de commerce, la question de compétence juridictionnelle serait différemment tranchée, en l’espèce, suivant que les parties seraient encore liées ou non par un contrat d’abonnement-type. Autrement dit, s’il était établi que le contrat d’abonnement de Monsieur F. S. avait été rompu, l’ARTCI ne serait plus compétente.
Or nous soutenons que même s’agissant des litiges concernant des clients n’étant pas liés à un opérateur par un contrat d’abonnement-type, la compétence de l’ARTCI devrait encore être de mise (A). A la réalité, comme nous le signalions dans notre article du 1er août 2014, un déficit rédactionnel peut encore être relevé au niveau de l’ordonnance relative aux télécommunications (B).

A – De la survivance de la compétence de l’ARTCI

Selon nous, l’ARTCI est également compétente pour connaître des litiges qui opposeraient un opérateur ou un fournisseur de services de Télécommunications/TIC à un consommateur même non lié par un contrat d’abonnement-type.
Une telle affirmation tient, selon nous, au fait ci-dessus rappelé, que la compétence de l’ARTCI est une compétence rationae materiae non limitative. Si l’ARTCI est compétence pour connaître des litiges relatifs aux abonnés à la « formule post-payée », pourquoi ne le serait-elle pas ou ne devrait-elle pas l’être pour les litiges concernant les abonnés à la « formule prépayée », sauf à considérer qu’il n’y a pas de litige en cette matière ?
Une affirmation serait pourtant erronée et l’activité antérieure de l’ATCI – actuelle ARTCI –donne des exemples concrets de litiges ayant impliqué des clients ne bénéficiant pas d’un contrat d’abonnement-type [7].
Au-delà, pourquoi le cas d’un client en mode de facturation pré-préparé, qui aurait une contestation, ne devrait-il pas relever de la compétence de l’ARTCI ? Un tel litige ne serait-il pas digne d’être traité par l’ARTCI ? Si non, pourquoi une telle différence de régime ?
Rien ne justifierait, selon nous, une telle disparité de régime. Selon nous, également, il appartenait tout simplement au Président du Tribunal de commerce d’Abidjan de déclarer ce tribunal incompétent en l’espèce.
Mais, à y voir de près, le point de vue adopté par Monsieur S. F. et le Président du Tribunal de commerce semble trouver sa source dans une rédaction contestable de l’ordonnance relative aux Télécommunications/TIC.

B – De la nécessité de déterminer clairement le champ de compétence de l’ARTCI

Pris à la lettre, le texte de l’ordonnance relative aux télécommunications est susceptible d’interprétations divergentes concernant la situation des consommateurs comme c’était le cas en l’espèce.

Si nous continuons à soutenir que l’ARTCI est indéniablement compétence en la matière, la référence aux consommateurs bénéficiant d’un contrat-type d’abonnement pourrait être supprimée. Bénéficiant ou non d’un contrat d’abonnement-type, tout consommateur peut avoir un litige qui devrait être tranché par l’ARTCI.
L’activité antérieure de l’ATCI nous donne des exemples de personnes qui, n’étant aucunement lié à un opérateur, avaient néanmoins saisi cette dernière concernant les risques d’exposition aux antennes-relais [8].
Cela montre bien que l’existence préalable d’un contrat d’abonnement-type n’est pas un critère pertinent pour faire bénéficier les consommateurs de la juridiction de l’ARTCI.

Toute autre est, cependant, la question de compétence juridictionnelle exercée conjointement par l’ARTCI et les juridictions de droit commun. Il s’agit là, en effet, d’une question politique qu’il appartient aux autorités compétentes de trancher.

Coulibaly Ibrahim, Docteur en droit, Elève avocat

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