Côte d’Ivoire: Il faut remettre Simone Gbagbo à la CPI (HRW)

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Les juges de la Cour pénale internationale ont statué qu’ils sont compétents pour juger l’épouse de l’ex-président ivoirien

(Bruxelles, le 11 décembre 2014) – Les autorités ivoiriennes devraient remettre sans tarder Simone Gbagbo, l’épouse de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, à la Cour pénale internationale (CPI), a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les juges de la CPI ont statué, le 11 décembre 2014, que la Cour était compétente pour traiter le dossier à charge constitué contre Simone Gbagbo. La CPI a retenu à son encontre quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité relatifs aux violences meurtrières qui ont suivi l’élection présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire.

La décision d’admissibilité, étape indispensable dans le traitement de tous les dossiers soumis à la CPI, vise à évaluer chaque cas en fonction de certains critères qui doivent être remplis avant que la CPI ne puisse se saisir de l’affaire. Dans ce cas particulier, ces critères incluent la question de savoir si les chefs d’accusation retenus contre Simone Gbagbo en Côte d’Ivoire sont relatifs essentiellement aux mêmes crimes que ceux qui figurent dans le dossier à charge de la CPI et, dans ce cas, si les autorités ivoiriennes ont la volonté et la capacité de la juger.

« La décision annoncée aujourd’hui souligne qu’en dépit des progrès accomplis dans sa reconstruction après la crise postélectorale, la Côte d’Ivoire a encore beaucoup à faire lorsqu’il s’agit de faire rendre des comptes aux individus soupçonnés d’avoir commis les crimes les plus graves », a déclaré Param-Preet Singh, juriste senior au programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Transférer Simone Gbagbo à La Haye permettrait de démontrer la détermination du gouvernement ivoirien à faire en sorte que justice soit rendue aux victimes des forces pro-Gbagbo. »

Les résultats reconnus par la communauté internationale ont proclamé l’actuel président, Alassane Ouattara, vainqueur de l’élection de novembre 2010, mais son adversaire Laurent Gbagbo a refusé de quitter ses fonctions présidentielles. Une crise de cinq mois s’en est suivie, au cours de laquelle au moins 3 000 personnes ont été tuées et 150 femmes violées, lors d’attaques souvent perpétrées selon des critères politiques, ethniques et religieux.

Simone Gbagbo est assignée à résidence en Côte d’Ivoire depuis avril 2011 et la CPI a émis un mandat d’arrêt sous scellés contre elle en février 2012. En octobre 2013, en réponse aux juges de la Cour qui demandaient aux autorités ivoiriennes de répondre à ce mandat d’arrêt, celles-ci ont officiellement contesté la recevabilité de l’affaire Simone Gbagbo devant la CPI, au motif qu’elle était jugée en Côte d’Ivoire essentiellement pour les mêmes crimes. En août 2014, les juges de la CPI ont demandé un supplément d’informations sur le dossier judiciaire ivoirien à l’encontre de Simone Gbagbo, que les autorités ivoiriennes leur ont fourni en octobre.

En 2003, le gouvernement ivoirien, sous la présidence de Laurent Gbagbo, avait émis une déclaration dans laquelle il reconnaissait la compétence de la CPI pour juger des crimes commis lors d’événements survenus en Côte d’Ivoire après le 19 septembre 2002, position qui a été réaffirmée par le président Ouattara en 2010 et en 2011. La CPI a alors ouvert une enquête, en octobre 2011. La Côte d’Ivoire a adhéré officiellement au Statut de Rome, le traité ayant institué la CPI, en 2013.

Les autorités ivoiriennes ont inculpé Simone Gbagbo à la fois de graves violations des droits humains, notamment de génocide, et de crimes contre l’État. Son procès pour ce dernier chef d’accusation, où elle devait comparaître aux côtés de plus de 80 co-accusés, devait s’ouvrir en octobre 2014 mais a été reporté après la première comparution des accusés, en partie parce que la défense a réclamé davantage de temps pour se préparer.

Après avoir analysé la documentation fournie par les autorités de ivoiriennes concernant les poursuites contre Simone Gbagbo devant les juridictions nationales, les juges de la CPI ont conclu que les crimes allégués pour lesquels elle est actuellement poursuivie ne sont pas les mêmes que ceux inclus dans l’affaire devant la CPI – en effet, les meurtres, viols et actes causant de grandes souffrances ou des atteintes à l’intégrité physique ou mentale des individus ne sont pas pris en compte. De plus, les juges ont déterminé que Simone Gbagbo avait été accusée en 2012 de crimes similaires à ceux cités dans l’affaire devant la CPI, mais que les autorités judiciaires nationales n’avaient pas pris de mesures tangibles, concrètes et progressives afin d’établir sa responsabilité pénale pour ces crimes. La décision de la CPI peut faire l’objet d’un appel.

Plus tôt cette année, la CPI a confirmé la validité de quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité à l’encontre de Laurent Gbagbo, ce qui signifie qu’il va passer en jugement, son procès étant pour l’instant prévu pour s’ouvrir en juillet 2015. Charles Blé Goudé, allié proche et ancien ministre de Laurent Gbagbo, est lui aussi détenu par la CPI. Les juges de la CPI ont également décidé le 11 décembre de confirmer quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité à son encontre et l’ont renvoyé en procès. Le Bureau du Procureur avait déjà informé les juges de son intention de proposer de joindre son procès à celui de Laurent Gbagbo.

En juin 2011, le gouvernement de Côte d’Ivoire a créé une Cellule spéciale d’enquête chargée de mener des enquêtes judiciaires sur les graves crimes commis dans le pays lors de la période postélectorale et de poursuivre leurs auteurs en justice, mais un manque flagrant de progrès a été constaté dans le traitement des dossiers concernant certains des graves crimes commis pendant la crise. Les problèmes relevés par Human Rights Watch dans un rapport publié en 2013 demeurent dans une large mesure non résolus. Parmi ceux-ci, figurent l’absence de protection pour les juges, les procureurs et les témoins impliqués dans les dossiers sensibles, ainsi que le manque d’indépendance du système judiciaire en général.

La CPI n’a toujours pas engagé la moindre procédure à l’encontre de membres des forces pro-Ouattara, bien que des commissions d’enquête internationale et ivoirienne ont établi que les deux camps avaient commis des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. De même, les autorités ivoiriennes n’ont engagé aucune procédure judiciaire contre des membres des Forces républicaines du président Ouattara qui ont été impliqués dans des crimes commis durant la crise. La Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a déclaré à plusieurs reprises que ses enquêtes étaient impartiales et qu’elles se poursuivaient.

« Le manque de progrès de la Côte d’Ivoire quand il s’agit de faire rendre des comptes aux individus des deux camps accusés d’avoir commis des atrocités lors de la période postélectorale, souligne le rôle crucial que joue la CPI en Côte d’Ivoire », a conclu Param-Preet Singh. « Il faut que la CPI étende le champ de son action et y inclue les membres du camp Ouattara pour mettre fin au statu quo en matière de justice en Côte d’Ivoire. »

Pour consulter d’autres communiqués ou rapports de Human Rights Watch sur la justice internationale, veuillez suivre le lien:
http://www.hrw.org/fr/topic/international-justice

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