Le FPI et sa guéguerre « perdant-perdant » [par Théophile Kouamouo]

Theophile-Kouamouo

Le Nouveau Courrier

Gueule de bois. Les lendemains du Congrès mort-né du Front populaire ivoirien (FPI), navire amiral de la gauche ivoirienne, sont rudes pour les militants et les sympathisants du parti cofondé par le président Laurent Gbagbo. Ils le sont encore plus pour les cadres de cette formation politique, engagés depuis plusieurs mois dans une bataille au couteau où tous les coups sont permis. En effet, les deux camps – « affidés » et « frondeurs » – sortent particulièrement affaiblis de cette « guerre » qui n’est finalement pas allée jusqu’à son terme. Si la situation prêtait à ironiser, on aurait dit qu’à la suite des Chinois qui ont popularisé en Afrique le concept de contrat « gagnant-gagnant », les dirigeants du FPI ont inventé le concept de guéguerre « perdant-perdant ». A ce stade d’un affrontement qui durera encore un certain temps, selon toute évidence, chacun des deux « belligérants » a perdu des plumes. Et le seul vrai vainqueur de ce tourbillon de haine entre « camarades » est Alassane Ouattara. D’abord parce que pendant qu’ils se battent entre eux, ses opposants lui « collent » une paix royale. Ensuite, parce qu’il a désormais toutes les cartes en main pour déstabiliser « proprement » son opposition, en la « mélangeant ».

Affi N’Guessan plus que jamais coupé de la base de son parti

Il a voulu suspendre la tenue du Congrès du FPI, histoire de faire triompher ses vues sur la candidature de Gbagbo devant la justice ivoirienne, au sujet de laquelle il ne peut pas ignorer qu’elle est inféodée à Ouattara. Il y est parvenu. En dépit des rodomontades de ses adversaires, le Congrès n’a pas eu lieu, ce qui a fait dire à un quotidien proche du pouvoir, qu’il a «maté sa rébellion».
Pour l’instant, il demeure président du parti à la rose, et le statu quo joue en sa faveur d’un point de vue purement administratif. Mais il est plus que jamais en déphasage avec une base qui ne comprend pas qu’il ait invité le loup Ouattara dans la bergerie FPI, en faisant appel à l’institution judiciaire, son cheval de Troie. Son avenir politique est pour le moins compromis. Ancien Premier ministre, longtemps président du parti au pouvoir, il figurait jusqu’ici sur µ la « short-list » des potentiels « présidentiables » à court ou moyen terme. Et voilà qu’un grand nombre des électeurs qui pouvaient l’aider à réaliser cette ambition tout à fait légitime le vouent aux gémonies, ou sont gagnés par un doute qui prend de plus en plus de place. Alassane Ouattara et ses héritiers – Hamed Bakayoko, Guillaume Soro ainsi que les étoiles montantes du PDCI – ne peuvent que se réjouir de compromettre la destinée d’Affi, y compris en le soutenant comme la corde soutient le pendu. Après avoir éloigné pour longtemps, avec l’aide de la communauté internationale, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, et peut-être demain Simone Gbagbo. Après avoir participé à «démystifier» Mamadou Koulibaly.

Les « anti-Affi » face au spectre de la « clandestinité »

Si la seule force de la clameur décidait des combats politiques, ils auraient triomphé. Les « frondeurs » anti-Affi ont eu l’intelligence tactique d’obtenir l’onction d’un Laurent Gbagbo qui est plus que jamais dans les coeurs d’un très grand nombre d’Ivoiriens, pour lesquels il représente, au-delà de la figure charismatique, un martyr vivant du néocolonialisme français. Quels que soient les agendas politiques à moyen et long terme de ceux qui se battent pour l’élection de Gbagbo à la tête du FPI, ils surfent sur une puissante lame de fond. Mais voilà ! La semaine qui vient de s’achever leur a démontré que le rapport de forces est une notion qui ne se limite pas à l’enthousiasme que l’on peut susciter lors des meetings. La réalité est que le FPI de l’intérieur dispose d’un espace politique limité, précaire et (à peine) garanti par une «communauté internationale» à la fois un peu gênée aux entournures de soutenir des dictatures trop voyantes et sans état d’âme lorsque ses projections rencontrent celles des dictatures en question. Si demain, le pouvoir Ouattara «choisit» de reconnaître une branche du FPI contre l’autre, qui sera de facto poussée vers la clandestinité, il ne trouvera en face de lui aucune véritable contradiction. Les dignitaires du FPI, sexagénaires pour un grand nombre d’entre eux, se sentent-ils en mesure d’assumer un retour à la lutte clandestine abandonnée depuis un quart de siècle et à laquelle de nombreux jeunes militants, venus à la politique après 2000, n’ont absolument pas été formés ? Pas si sûr. Sont-ils disposés à mettre en veilleuse les activités politiques visibles et à laisser l’initiative à la coordination du FPI en exil ? Cette possibilité est-elle seulement viable, dans la mesure où Alassane Ouattara multiplierait dans ce cas de figure les pressions sur les autorités des pays voisins dans lesquels les cadres « pro-Gbagbo » vivent ?

Et Gbagbo, dans tout ça ?

Le fait que sa descente dans l’arène n’ait pas accouché comme on pouvait l’attendre d’une unité même de façade au sein de sa famille politique est une terrible nouvelle pour le président Gbagbo. On peut toujours dire que ceux qui le « défient » sont minoritaires. Mais même s’ils ne représentaient que le cinquième de l’appareil, cela serait toujours un problème. L’opération politique qui consistait à fédérer les deux bords sous la houlette tutélaire du « réprouvé de Scheveningen » était audacieuse. Si elle avait produit les effets escomptés, elle aurait, plus que toute autre chose, renforcé son aura et la crainte qu’il suscite chez ses adversaires. Las. Cela n’a pas suffi. On peut toujours se consoler en disant que les « traîtres » sont « vendus », et que c’est pour cette raison que les choses n’ont pas fonctionné. Mais il faut admettre que l’opération a été souvent mal menée par un certain nombre de relais, qui n’ont pas su « s’envoyer » alors qu’on les « envoyait ». Aujourd’hui, Gbagbo est descendu dans la mêlée ; ses chances d’obtenir éventuellement une liberté provisoire assortie de conditions plus ou moins humiliantes sont désormais minuscules. Pendant ce temps, le bureau du procureur auprès de la CPI « s’amuse » à citer près d’une centaine de témoins, ce qui est inédit, pour faire traîner en longueur le procès qui ne se terminera selon toute évidence, et dans le meilleur des cas, que dans les dernières années de la décennie en cours. Si sa « prise de risque » avait changé la donne de manière radicale, elle aurait compensé les probables dommages en termes de confort de vie pour un homme qui aura 70 ans en mai prochain. Mais pour l’instant, se dégage une désagréable odeur de gâchis…
Bien entendu, le meilleur est souvent le plus proche voisin du pire en politique, et quelque chose de positif peut toujours sortir de cette inutile guerre fratricide. Dans ce cas, les « belligérants » se souviendront peut-être que l’unité est une quête de tous les jours, qu’elle est le bien le plus précieux des communautés soumises à la répression et qu’elle mérite bien quelques sacrifices d’orgueil.

Théophile Kouamouo

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