Boko Haram, l’armée nigériane et les risques de coup-d’état au Nigeria comme en 2012 au Mali

L'Emire de Kano Ado Bayero et Goodluck Jonathan REUTERS/Stringer)
L’Emire de Kano Ado Bayero et Goodluck Jonathan REUTERS/Stringer)

Précision
L’auteur Commandant Shawn Russell est un officier de l’armée des États-Unis en poste à Washington, DC, qui se spécialise dans les affaires politiques et militaires africaines. Les vues et opinions exprimées ici sont celles de l’auteur et n’impliquent pas nécessairement celles du gouvernement des États-Unis ou du ministère américain de la Défense.

Echos du coup d’état malien de 2012 dans le Nigeria d’aujourd’hui

Des troupes pauvrement équipées avec un commandement médiocre, qui restent sur le terrain pendant des périodes prolongées, dans la partie la plus dangereuse de l’arrière-pays, se trouvent confronter à une insurrection sérieuse et grandissante. Après avoir subi de nombreuses défaites face aux rebelles, qui militairement les surpassaient – avec une tactique militaire plus sophistiquée, les soldats ont commencé à déserter en masse, abandonnant les armes et les équipements à l’ennemi. De colère et de frustration, ils se sont finalement tournés vers ceux qu’ils blâment pour cette situation, et ont renversé le gouvernement, ce qui a entrainé un véritable chaos à travers le pays, et qui a de forte chance de durer des années.

Bien que cela puisse sembler un résumé rapide du putsch de mars 2012 au Mali, qui a plongé le pays dans une confusion totale qui dure jusqu’à aujourd’hui, ce tableau risque de bientôt décrire la situation au Nigéria. Il devient très important d’examiner les possibilités d’un renversement de gouvernement à Abuja sur les bases des implications sécuritaires de la région concernant la lutte contre Boko Haram, le groupe terroriste sévissant dans le nord-est du Nigéria qui se bat pour établir un état islamique.

Troublants points communs

Lorsqu’on compare le Nigéria au Mali, le nombre et la variété des similitudes est frappante.

Premièrement, les deux pays ont une histoire de coups d’état successifs: au Mali en 1968 et 1991, avant le plus récent de 2012; et au Nigéria en 1966, 1975, 1983, et 1985 (il y a eu un coup d’état manqué en 1990). Une fois qu’un pays a eu l’expérience d’un coup d’état, les risques de récidive augmentent (le piège du “coup d’état”). Et ceux qui envisagent la possibilité de pareilles actions et qui en connaissent l’historique et donc les possibles bénéfices pour ceux qui saisissent le pouvoir – sont d’autant plus prêts à renverser le gouvernement eux-mêmes.

Un autre parallèle peut être fait à partir des nombreuses indications sur la base de la colère grandissante des militaires au sujet de leur manque d’équipement et les priorités sécuritaires du gouvernement. Pendant plusieurs années, le président malien Amadou Touré (qui avait lui-même pris le pouvoir en 1991 par un coup d’état), a fourni de meilleures ressources, salaires, et formations aux Bérets Rouges des forces armées maliennes (MAF), qui avait été sous son commandement direct à une période de sa carrière militaire et qui plus tard ont constitué sa garde présidentielle. En faisant certains choix pour la survie du régime, il a marginalisé le reste de l’armée, y compris ceux servant dans le nord du pays dont la frustration n’a pas arrêté de grandir dû à des conditions de vie difficile pour ne pas dire précaire et la perception d’un favoritisme qui les marginalisaient pendant qu’ils combattaient une rébellion touarègue de plus en plus forte. Les soldats ont commencé, progressivement, à montrer un manquement à la discipline, abandonnant leurs bases et, dans certains cas, se ralliant aux rebelles. Après de nombreux mois d’un mécontentement grandissant contre la manière dont le gouvernement a géré la crise, l’armée a renversé le président Amadou Touré.

De manière similaire, le gouvernement d’Abuja à prioriser ses efforts sécuritaires contre Boko Haram, ainsi que les élections présidentielles de février 2015. Ces inquiétudes sont bien fondées, comme la violence après les élections de 2011 qui ont résulté par la mort de plus de 800 personnes et 65,000 déplacés.
Boko Haram a récemment étendu sa zone d’opération, organisant des attaques à la bombe à Abuja et Lagos, et augmentant la menace pendant la période électorale en distrayant le gouvernement de la crise dans la région nord-est du pays.
Ces élections, y compris la préparation sécuritaire, ont de fortes chances d’être les plus chères des 50 dernières années; ajoutant à cela la première réduction budgétaire militaire de ces 10 dernières années, cela n’aide pas à améliorer les ressources militaires et diminuer la colère des unités basées dans le nord du pays.

Le Nigéria a également mis la priorité sur la sécurité dans la région du fleuve Niger riche en pétrole. La production de pétrole compte pour 75% des revenues gouvernementaux et 95% de ses revenues boursiers, mais entre 2003 et 2008, les attaques persistantes et le vol de pétrole par des activistes avaient énormément perturbé la production, stoppant les activités sur environ la moitié des champs de pétrole. Cela a coûté au pays environ 100 milliards de dollars. Pour trouver une solution à ce problème qui devenait une menace à l’économie nigériane, donc à la stabilité du pays, en 2009 le président d’alors Umaru Yar’ Adua a créé un programme d’amnistie qui a couté environ 500 million de dollars par an. Les participants reçoivent 420 dollars par mois, et plusieurs des mêmes activistes qui a un moment attaquaient les infrastructures pétrolières, maintenant reçoivent des centaines de millions de dollars sous la forme de contrats de sécurité, malgré cela, jusqu’à plus de 30% de la production journalière de pétrole est perdue à cause de vol.

La conséquence de ces difficiles priorités sécuritaires et aussi des ressources limitées, pour atteindre les buts, est que la situation dans la région nord-est du Nigéria est pire qu’elle ne l’était au Mali. Les soldats ne gagnent pas plus de 92 dollars par mois. De plus, le manque d’équipement et de ressources, a été un facteur majeur à la colère des troupes, entrainant des défections, et également des agressions physiques violentes à l’encontre de la hiérarchie. Au mois de mai 2014, les militaires ont tiré sur leur commandant de division en charge des opérations de contre-attaque contre Boko Haram. Au mois d’aout, il y a eu une mutinerie à cause du manque d’équipement et les troupes ont refusé de se mobiliser pour les opérations à venir contre le groupe Boko Haram. Le même mois, des centaines de soldats ont fui la bataille pour se réfugier au Cameroun; Yaoundé a annoncé 700 déserteurs, alors qu’Abuja indiquait que 480 soldats avaient traversé la frontière accidentellement pendant les manœuvres. Ensuite en novembre, 300 autres soldats ont déserté pour se réfugier au Cameroun avant la bataille contre Boko Haram.

En ajoutant à la colère des troupes, la corruption endémique des officiers supérieurs accusés de complicité avec Boko Haram, les menaces de mutineries sont palpables parmi les unités déjà frileuses.

La probabilité d’un succès

Malgré les similitudes entre le Mali et le Nigeria, il y a de nombreuses différences qui diminuent les chances d’un coup d’état réussi contre Abuja. Sans la participation des forces de sécurité proches du pouvoir, les chances d’une action de cette sorte sont minimes. Et au Mali, la colère montante contre le gouvernement s’est étendue, au delà du nord, jusqu’à la capitale régionale. Les épouses et les membres de famille des soldats ont envahi les bâtiments gouvernementaux, ont attaqué les commerces appartenant aux touaregs, et ont tenu des manifestations violentes dans la capitale dans les semaines qui ont précédé le coup d’état. Ce sont les soldats à Bamako qui se sont levés contre Amadou Toumani Touré, donnant peu de temps au gouvernement pour réagir. Le président pris la fuite rapidement, exfiltré par sa garde présidentielle.
Au Nigéria, par contre, les cas de protestations de militaires ont été limités aux unités engagés pour la lutte contre Boko Haram. Dans le passé, le gouvernement avait réagi rapidement et efficacement à toute manifestation de trouble. Mais il y a eu très peu de preuve de mécontentement par ceux qui sont à Abuja, parmi les officiers ou les soldats de rang.

De plus, Le Nigeria est connu pour le niveau de corruption dans sa classe politique, la police, et l’élite militaire. Bien que cela soit aussi un problème au Mali, au Nigéria le problème est beaucoup plus envahissant parce que le niveau réel de patronage disponible pour assurer leur soutien, que l’ancien président Yar’Adua caractérisait de “plus grande corruption institutionnalisée de l’histoire de la nation.”
Le gouvernement est entrain d’enquêter sur 50 milliards de dollars de revenue entre janvier 2012 et juillet 2013.

Un budget de sécurité qui fait presque 25% des 29 milliards de dollars du budget fédéral et ne fait que permettre l’enrichissement illicite. Le Président Godluck Jonathan a remanié de nombreuses fois son cabinet afin de créer un cercle restreint de personnes de confiance, un moyen d’élargir le nombre de personnes appartenant à l’élite sociale qui lui doivent leur position et réduisant ainsi les menaces de coup d’état. Il a dissout complètement le cabinet de son prédécesseur dès qu’il a pris fonction en 2010, et en 2012 les officiers supérieurs clés, et une douzaine d’autres depuis. Et il a également utilisé les caisses de l’état pour faire la cour aux gouverneurs les plus influents du pays, dont le vote est primordial pour gagner les élections présidentielles.
Juste après son élection comme président en 2013, il a approuvé leur demande de 2 milliards d’un fonds de réserve prévu comme tampon contre la fluctuation des prix du pétrole. En Novembre 2014, ils ont réclamé 2 milliards additionnels, et avec Jonathan Godluck qui se trouve en face de Muhammadu Buhari, un ancien militaire de haut rang, musulman nordique connu pour ses positions anti-corruption dures, il y a de fortes chances qu’il cède à cette nouvelle requête. Ceci risque de laisser le pays avec une marge de protection très mince au cas ou il y aurait de nouvelles baisses de prix du pétrole, mais cela devrait lui assurer le soutien nécessaire de l’élite pendant les élections.

Les implications sécuritaires d’un coup d’état

Les implications sécuritaires d’un coup d’état sont spécialement terribles ou des acteurs non-étatiques, de vastes régions non gouvernées, et des tensions ethnico-religieuses de longue date s’entremêlent pour former le pire scénario pour un gouvernement instable supporté par des forces de sécurité douteuses. La prise de contrôle militaire au Mali a permis à al-Qaeda, qui est largement financé par des dizaines de millions de dollars de paiements de rançons – offrant de l’espace pour des opérations régionales, avec plus de 28 attaques au Mali et au Niger en 2014, y compris au moins 13 attaques depuis octobre 2014.

Mais les impacts d’un coup d’état au Nigéria aujourd’hui – réussi ou pas -seraient des plus dévastateurs pour les efforts sécuritaires dans la région nord-est. Une importante mutinerie affaiblirait beaucoup et démoraliserait l’armée, et résulterait en des désertions très étendues et en grande partie détruirait les derniers vestiges d’une présence sécuritaire dans la région. Le vide sécuritaire résultant cèderait d’importantes bandes de territoires à Boko Haram, permettant au groupe de renforcer ses buts et leur permettraient d’effectivement pouvoir créer un état islamique au Nigéria. A partir de là , il pourrait même conduire plus d’attaques contre le Nigéria et les pays voisins: ils opèrent au Cameroun et au Niger depuis au moins 2012, et leurs attaques sont devenues de plus en plus audacieuses et mortelles.
Une offensive par les pouvoirs de la région pourrait provisoirement freiner leurs opérations, mais résulterait en un plus grand nombre de réfugiés fuyant la zone (plus de 140,000 personnes ont fui le Nigeria pour les pays voisins, pendant que 700,000 sont des déplacés a l’intérieur du pays), et qui probablement aura pour effet une augmentation des attaques et représailles contre la population civile. S’il ya une quelconque bonne nouvelle qui découle de tout cela, c’est que Boko Haram a montré très peu d’enthousiasme à se joindre à un jihadisme global, et a très peu en commun avec ceux qui en font partie. Mais cela serait une petite consolation pour la population des régions qu’ils occupent.

La menace d’un coup d’état serait en outre une menace pour la sécurité dans le Delta du Niger, et par conséquent pour les infrastructures pétrolières. Le Président Jonathan prête beaucoup d’attention à cette région, et les militants ont d’ailleurs menacé Abuja de châtiment si Jonathan Godluck n’est pas réélu. De nouvelles attaques contre les infrastructures pétrolières perturberaient à nouveau la production, pousseraient à la fermeture de champs de pétrole, et diminuerait une source de revenues primordiale. Après des décennies de mauvaise gestion pendant les différentes juntes, l’économie nigériane a commencé à se redresser grâce à l’augmentation du prix du pétrole et les réformes économiques du gouvernement démocratique depuis 1999. Mais avec le prix du pétrole qui baisse, et un gouvernement non-démocratiquement élu, se remettre d’un coup d’état aujourd’hui prendrait certainement plus de temps.

Conclusion

Pour le moment, les chances d’une tentative de coup d’état au Nigéria sont minimes. Tant que les intérêts des parties prenantes sont protégées, ils seront prêts à tolérer Boko Haram, plutôt que de défier le Président Jonathan Godluck concernant les ratés de ses approches pour juguler le problème Boko Haram (cela est d’autant plus vrai que leur corruption est un des facteurs qui a affaibli l’armée). L’élite qui s’est enrichie de la corruption et du favoritisme semble percevoir le problème dans le nord est du pays comme une situation malheureuse, même embarrassante, mais sans intérêt pour eux. Le manque total de réaction du gouvernement d’Abuja au sujet du kidnapping en avril 2014 de presque 300 filles – malgré la mobilisation mondiale et la pression internationale – est une indication claire de la stratégie du gouvernement. Tant que les attaques ne touchent pas les intérêts lucratifs et enracinés de l’establishment nigérian, le régime de Jonathan Godluck est tranquille.

Cependant, le risque augmente à l’approche des élections de 2015. Un audit des 50 million de dollars de revenue de la production de pétrole doit être fait d’ici fin janvier et si jamais il est prouvé que des officiels du gouvernement ont détourné l’argent cela provoquera des réactions dans la population. En plus, la frustration dans l’armée s’amplifie et une insurrection pourrait servir de conducteur pour que le désordre et la violence s’installent, provoquant des mutineries à d’autres endroits par ceux qui sont fatigués de la hiérarchie corrompue qui ne fait que s’enrichir et tout cela pourrait inciter certains à faire un coup d’état. Le résultat serait que la loyauté des militaires et donc de la sécurité du régime ne pourrait plus être garantie.

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