Vers des présidentielles dangereuses en Côte-d’Ivoire (Le Carnet de Colette Braeckman)

3_Journaliste_Colette_Braeckman_vertelde_levendig_over_haar_ervaringen

LeSoir.be, Bruxelles

Le premier tour de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, programmé pour le 25 octobre prochain, sera suivie de près par tous ceux qui espèrent qu’un scrutin apaisé permettra à ce pays phare de l’Afrique de l’Ouest d’oublier le traumatisme laissé par le scrutin précédent. En 2010 en effet, la contestation de l’élection présidentielle s’était traduite par des affrontements meurtriers entre les partisans des deux principaux rivaux, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Plus de 3000 Ivoiriens avaient alors été victimes des violences et 300.000 personnes s’étaient réfugiées dans les pays voisins.

Jouissant de l’appui de la France, Alassane Ouattara et son parti RDR (Rassemblement des républicains) soutenu par les combattants des Forces nouvelles, avait alors été déclaré vainqueur des élections tandis que le président en exercice Laurent Gbagbo, refusant de reconnaître sa défaite, avait lancé dans la bataille ses partisans les « Jeunes Patriotes » avant d’être attaqué dans son palais, mis en déroute et arrêté par une intervention militaire française. Depuis lors, l’ex président, détenu à La Haye, attend de passer en jugement devant la Cour pénale internationale . Quant à Alassane Ouattara, un économiste issu des rangs du Fonds monétaire international et favori des bailleurs internationaux, il a misé sur le redressement du pays et la Côte d’Ivoire, principal producteur mondial de cacao , a retrouvé un taux de croissance de 7%.

Malgré des inégalités persistantes, les succès économiques de Ouattara devraient lui permettre de remporter le scrutin, ce qui légitimera définitivement son pouvoir.

Cependant, le malaise persiste : alors que dix candidats à l’élection présidentielle avaient été retenus par le Conseil constitutionnel, plusieurs d’entre eux ont suspendu leur candidature, dont Amara Essy, ancien ministre des affaires étrangères, qui dirige la Coalition nationale pour le changement, une alliance de plusieurs opposants à Ouattara ainsi que Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale et fondateur du parti Lider. Tous deux ont dénoncé une « mascarade électorale », une « élection délibérément sabotée », accusant la Commission électorale de ne pas être impartiale et soulignant que son président, Bagayoko, était déjà en fonctions en 2010, lorsque la proclamation des résultats donna le signal au déclenchement des violences. De son côté Amnesty International a appelé la Côte d’Ivoire à mettre fin aux arrestations arbitraires d’opposants et a dénoncé le climat de peur précédant la campagne.

La victoire probable de M. Ouattara risque ainsi d’être ternie tant par le retrait d’opposants de poids que par l’abstention d’un nombre important d’électeurs qui, estimant que les jeux sont faits, choisiront de boycotter le scrutin. Pour l’instant cependant, Pascal Afi N’Guessan, le candidat du parti de Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI) demeure en lice et, sur les terres de l’Ouest ivoirien où il fait campagne , c’est l’ombre du président déchu et détenu qui pèse toujours sur la perspective des élections.

Plusieurs ouvrages récemment parus démontrent que la campagne se déroule aussi sur le plan éditorial et que Laurent Gbagbo, réduit au silence, garde des avocats bien en verve. C’est ainsi que le journaliste François Mattei (1) restitue un long dialogue mené avec Gbagbo depuis sa prison de Scheveningen, que l’ancien conseiller spécial du chef de l’Etat Bernard Hourdin (2) dénonce l’ « imposture » par laquelle Ouattara, originaire du Burkina Faso aurait réussi à s’imposer en Côte d’Ivoire. Avec force détails, Hourdin explique comment l’actuelle «Première dame », Dominique Nouvian Folloroux, très proche du défunt président Houphouet Boigny, grâce auquel elle fit fortune dans l’immobilier, mena Ouattara jusqu’aux sommets du pouvoir. Quant à la journaliste Fanny Pingeaud, qui avait suivi sur le terrain l’élection contestée de 2010, elle confirme avec force détails et précisions le rôle joué alors par la France et explique pourquoi, vu de Paris, le nationaliste Laurent Gbagbo qui entendait diversifier les partenaires économiques de son pays était devenu sinon un homme à abattre du moins une personnalité à écarter à tout prix…

François Mattei et Laurent Gbagbo, Pour la vérité et la justice, Editions du Moment
Bernard Hourdin, les Ouattara, une imposture ivoirienne, Editions du Moment
Fanny Pingeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, Editions Vents d’ailleurs

Commentaires Facebook

Les commentaires sont fermés.