Les 5 cinq leçons à retenir de la prise d’otages au Mali (Une France ciblée et vulnérable)

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Meurtrière, l’attaque du palace bamakois, dans laquelle au moins 27 personnes ont laissé la vie, souligne l’ampleur du défi sécuritaire auquel la France doit faire face au Sahel.

Assorti d’une prise d’otages meurtrière, l’assaut lancé ce vendredi en début de matinée par un commando djihadiste sur l’hôtel Radisson Blu de Bamako, palace du centre-ville fréquenté pour l’essentiel par les expatriés, aura neuf heures durant replongé dans l’angoisse une France traumatisée par les carnages commis une semaine plus tôt à Paris.

Il se solde par un lourd bilan -au moins 27 tués, parmi lesquels probablement trois terroristes- et alimente les craintes suscitées dans un pays fragile par la persistance, voire l’amplification, du péril criminalo-islamiste. Voici, quelques heures après le dénouement, les cinq leçons que nous lègue cet épisode.
1. Une émulation mortifère

Si elle s’avère authentique et fondée, la revendication émanant, via la télévision qatarie al-Jazira et le site mauritanien al-Akhbar, du mouvement al-Mourabitoune de « l’émir » algérien Mokhtar Belmokhtar n’aurait rien d’insolite.

Ce groupe, demeuré au terme d’une scission interne loyal à al-Qaeda et à son chef, l’Egyptien Ayman al-Zawahiri, s’était prévalu d’avoir orchestré, le 7 mars dernier, l’attentat perpétré au coeur de la capitale malienne dans l’enceinte d’un bar-restaurant du quartier de l’Hippodrome, très prisé des étrangers et des élites locales. Attentat fatal à cinq clients : trois autochtones, un Français et un Belge. Né en 2013 de la fusion entre les « Signataires par le sang » de Belmokhtar et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), al-Mourabitoune s’attribue aussi la responsabilité de diverses opérations kamikazes. Lesquelles ont notamment décimé un contingent nigérien de l’Onu puis, le 14 juillet 2014, fauché un soldat français non loin de Gao.

Le communiqué transmis hier par téléphone fait état de « la participation de nos frères d’Aqmi (al-Qaeda au Maghreb islamique ) ». Confrontés à l’essor de Daech, qui s’ingénie à conforter son statut de nec plus ultra d’une barbarie savamment mise en scène par son appareil de propagande, bousculés par le funeste pouvoir d’attraction que l’Etat islamique exerce dès lors sur les candidats à la « guerre sainte » comme sur les financiers du djihad global, les héritiers d’Oussama Ben Laden se doivent de rester actif, donc visible sur les écrans-radars de la terreur.

2. La France ciblée et vulnérable

Selon le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, aucun citoyen français ne figure parmi les victimes du Radisson. Il n’empêche. Ancien, résolu et, s’agissant de l’espace européen, solitaire, l’engagement de Paris dans le brasier saharo-sahélien, mais aussi sur le front irako-syrien, lui vaut d’apparaître comme l’ennemi prioritaire. A la logique du marchandage -enlèvements de ressortissants hexagonaux dont on monnaye le retour au pays contre une rançon, la libération de compagnons d’armes emprisonnés ou une garantie d’immunité relative-, a succédé celle du châtiment. Il s’agit, en Afrique comme ailleurs, de punir les « croisés » de leur intrusion en terre d’islam.

Or, si Daech a fourni la preuve de son aptitude à semer la mort en France, il reste plus aisé de frapper la France hors les murs. Notamment au Mali, où l’on recense environ 6000 compatriotes, binationaux compris. Authentifié le 16 novembre, mais émis dès octobre, un message d’Iyad ag-Ghali, islamiste touareg radical de nationalité malienne et patron du groupe Ansar-Eddin, récuse l’accord de paix d’Alger conclu au forceps en mai-juin entre Bamako et certaines rébellions armées du Nord et somme explicitement ses jeunes partisans d’attaquer l’ex-puissance coloniale.

3. Une mission impossible

En substituant le 1er août 2014 la dune sculptée par le vent au félin de la brousse -Barkhane après Serval-, l’état-major français a élargi son périmètre d’opération à cinq pays : Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad. Il lui faut désormais couvrir 5 millions de kilomètres carrés avec 3500 à 3800 hommes, dont un millier environ déployés au Mali, pour la plupart dans sa moitié Nord hier occupée par la nébuleuse djihadiste (Gao, Tombouctou, Kidal, Tessalit). Sur un « champ de bataille » à ce point étiré et distendu, un tel dispositif aurait pu porter ses fruits si, comme initialement envisagé, Paris avait été en mesure de passer le relais aux armées régionales, voire à une force cohérente opérant sous l’étendard de l’Union africaine. Or, on en est loin.

Certes, la pugnacité des troupes tchadiennes, tant dans le bourbier malien que sur l’échiquier ô combien piégeux du Nord-Nigeria, royaume de la secte Boko Haram, a allégé le fardeau et contraint les voisins -Cameroun et Niger notamment- à descendre dans l’arène. Pour autant, la volonté de coopération entre Etats mitoyens, affichée depuis des lustres au gré de sommets et de conférence, reste plombée par les vieux contentieux, les rivalités nouvelles, les arrière-pensées et une vision étriquée de la souveraineté nationale. Qu’il s’agisse de partager le renseignement ou de monter des campagnes transfrontalières, les progrès accomplis ces dernières années demeurent cruellement insuffisants.

D’autres facteurs entravent l’appropriation, par les acteurs de la zone Sahel-Sahara, du défi sécuritaire. A commencer par les ambiguïtés de l’Algérie et cet angle mort et mortel que constitue une Libye livrée au chaos, paradis du djihadisme et des trafics d’armes, de drogue et d’êtres humains. A quoi bon monter la garde en lisière de ce pandémonium géopolitique, sans s’y aventurer ? Il serait vain de se payer de mots : gendarme malgré lui, gendarme par défaut, le parrain français a signé avec l’aire sahélienne un bail de très longue durée.

4. Un Mali anémique

Les plus volontaristes et les plus candides -qui sont parfois les mêmes- ont voulu croire que le pacte d’Alger, évoqué plus haut, solderait le fléau de la fracture Nord-Sud. Un accord de paix, fût-il bancal, vaut mieux qu’une guérilla sans fin ? Certes. Mais voilà : ce compromis laborieux engage le plus gros de la mouvance irrédentiste touarègue, mais n’oblige en rien les milices djihadistes, qui le réprouvent. D’autres groupuscules l’ont désavoué. D’autres encore ont surgi depuis du néant, qui ne se sentent nullement tenus de le respecter.

Au-delà des serments et des voeux pieux, la méfiance perdure, intense et vénéneuse. En clair, la pacification du pays reste à faire. Pour preuve, trois événements survenus durant l’été. Le 2 juillet, six Casques Bleus burkinabés de la Minsusma -la mission onusienne- périssent dans une embuscade tendue entre Goundam et Tombouctou. Un mois plus tard, non loin de la « Cité aux 333 saints », une dizaine de soldats maliens succombent sous les balles d’un commando estampillé Aqmi. Et le 7 août, les assaillants qui assiègent l’hôtel Byblos de Sévaré (centre) laissent dans leur sillage 13 cadavres, dont ceux de quatre sous-traitants oeuvrant pour la Minusma. A l’instar de tant de nations subsahariennes, le Mali paye au prix fort l’insigne faiblesse de ses institutions, tout comme les carences d’une armée à reconstruire.
5. Un islam sous influence

Il est d’usage de célébrer -à juste titre d’ailleurs- les antidotes au fanatisme que cet « islam noir » dépeint jadis par l’orientaliste Vincent-Mansour Monteil, ouvert aux influences soufies et quiétistes, aura su secréter. Reste que, du 14e au 19e siècle, le berceau de l’humanité a connu plus d’une séquence d’implacable djihad, et sait ce que signifie la version rigoriste de la charia. Notamment dans le Nord de l’actuel Nigeria. Le dénuement du continent a fait le reste. Comment refuser les largesses de bienfaiteurs avides de financer l’érection d’une mosquée, la construction d’une école coranique, ou de vous envoyer des imams rétribués par leurs soins ? A l’image de la Libye du défunt Muammar Kadhafi, les pétromonarchies du Golfe, Arabie Saoudite en tête, se sont engouffrées dans cette brèche. Diffusant ainsi les doctrines wahhabite et salafiste.

Point d’angélisme. Il y aura, au Mali ou ailleurs, d’autres Radisson. Est-ce à dire que la guerre livrée au djihadisme est vouée à l’échec ? Non. Mais elle sera longue, féroce et coûteuse. Y compris en vies humaines.

Par Vincent Hugeux
LExpress.fr

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