Le Franc CFA permet-il d’accroitre les échanges commerciaux ?

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KRAMO Germain

Le 09 avril 2016, les ministres des finances, les gouverneurs des banques centrales et les présidents des institutions régionales de la zone Franc se sont réunis à Yaoundé pour réfléchir sur l’adaptation des politiques publiques face à la baisse des cours des matières premières extractives. Tous les participants étaient unanimes sur la nécessité de diversifier les économies et d’accroître les échanges entre les pays de la zone franc. Les discussions ont porté sur les modalités idoines pour y arriver.

Ainsi, les participants à cette rencontre ont arrêté plusieurs mesures pour l’approfondissement de l’intégration régionale (monétaire et commerciale) en zone franc. Parmi celles-ci, la décision des gouverneurs des banques centrales des deux zones de rendre interchangeables les francs CFA d’Afrique de l’Ouest et du Centre dans un futur proche, a retenu l’attention de tout le monde. Selon les deux gouverneurs, cette mesure va favoriser l’accroissement des échanges entre les deux zones.

Même si cette mesure permet aux touristes originaires des deux zones de ne plus supporter les frais de conversion, elle ne permettra pas d’accroitre significativement les échanges entre les deux zones. Nous tenons pour preuve la faiblesse du commerce intra-communautaire dans les deux zones. Bien que les pays membres de chacune des deux zones utilisent la même monnaie depuis des décennies, les niveaux des échanges intra-UEMOA et intra-CEMAC demeurent faibles. En 2014 le commerce intra-UEMOA représentait 14,9% du volume total de leurs échanges. Quant au commerce intra-CEMAC, il se situait à 3% du volume total de leurs échanges. Il est aussi bon d’ajouter que l’existence de visas entre ces pays contribue à freiner l’intégration entre ces deux zones en limitant la libre circulation des personnes. Par ailleurs, en 2014, les exportations des pays de l’UEMOA vers les pays de la CEMAC représentaient 3,7% de leurs exportations totales. Quant aux importations de l’UEMOA en provenance de la CEMAC représentent 2,1% de leurs importations totales.

Pour accroître les échanges, les participants à la rencontre de Yaoundé ont aussi recommandé l’harmonisation du cadre juridique, avec en prime la transposition et l’application de la réglementation communautaire, la suppression des barrières non-tarifaires qui constituent des freins importants aux échanges, ainsi que le développement des infrastructures régionales de transport. Malgré toutes ces bonnes résolutions, le commerce entre ces deux zones ne pourra pas être stimulé s’il n’y a pas un changement profond de la structure actuelle des économies de la zone franc. En effet, ces pays sont essentiellement des exportateurs de matières premières brutes. Selon les données de COMTRADE, près de 70% des exportations de l’UEMOA sont constituées par des produits agricoles et miniers. Quant aux pays de la CEMAC, près de 90% de leurs exportations sont constituées de matières premières. L’absence de transformation des matières premières est le principal frein aux échanges entre les deux zones. La spécialisation actuelle est peu propice à l’intégration régionale. En effet, ces pays ne disposant pas de secteurs industriels développés, la production des matières premières par l’ensemble de ces pays ne favorise pas les échanges croisés comme c’est le cas pour les produits manufacturés (échange de gamme ou de similitude). Par exemple, bien que la France et l’Allemagne produisent toutes les deux des voitures, cela ne les empêche pas d’échanger des voitures de gammes différentes. En revanche, la Côte d’Ivoire et le Cameroun ne peuvent pas échanger des fèves de cacao tant que celles-ci restent à l’état brut, car il n’y a pas de différenciation en raison de l’absence de transformation et de valorisation. Respectivement près de 50% et 60% des importations de l’UEMOA et de la CEMAC sont constituées par des produits manufacturiers. Donc une différenciation suivie par les entreprises dans les deux régions, une valorisation et un ciblage de niches, permettront d’augmenter les flux d’exportations entre les deux zones. Vu la part importante des produits agroindustriels dans les importations des pays de la zone franc, le secteur de l’agro-industrie est un secteur sur lequel ces pays peuvent s’appuyer pour accroître leurs échanges. D’autant que les processus de transformation sont complètement maîtrisables et ne nécessitent pas de technologies de pointe pour ajouter de la valeur. Pour faciliter l’intégration commerciale, les entraves au niveau des logistiques et des infrastructures doivent être levées. En effet, il y a une faible interconnexion entre les états membres et une vétusté des infrastructures routières. Par exemple, seulement 15 % du réseau routier de l’UEMOA est revêtu (contre 12% du réseau routier de la CEMAC).

En outre, les pays de la zone franc envisagent aussi de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale, qui prive encore les Etats, de ressources importantes pour leur développement. Certes, l’évasion fiscale constitue une perte importante de ressources. Mais le principal et réel problème de ces pays c’est leur incapacité à mobiliser les ressources internes à cause de la prépondérance du secteur informel et de la corruption. A cela il faut aussi ajouter la pression et l’iniquité fiscale qui poussent à la fraude et à l’incivisme fiscal.

En définitive, selon les participants de la rencontre semestrielle de la zone franc de Yaoundé, les économies de la zone se portent bien donc il n’y a pas lieu de se précipiter pour réformer le franc CFA. Ils brandissent comme arguments la réduction du risque et du coût de change avec la détention d’une monnaie unique et la stabilité des économies de la zone franc. Mais la stabilité que cette monnaie offre est illusoire et trop cher payée car elle prive les économies d’importantes ressources qui auraient pu être investies dans la mise à niveau du tissu productif pour créer plus de valeur ajoutée sur place (50% des devises étant retenus dans le compte d’opérations). De plus, le franc CFA n’a permis ni l’augmentation des échanges, ni la compétitivité des économies de la région. Au contraire, avec la parité fixe, il pénalise la compétitivité avec un euro cher. Par conséquent, des réformes pour modifier l’arrimage à l’euro par une parité fixe et la révision du fonctionnement du compte d’opérations sont indispensables et permettront de redynamiser d’avantage les économies. La zone franc ne doit pas être seulement un vestige de la colonisation mais un véritable instrument sur lequel les pays membres peuvent s’appuyer pour impulser leur développement.

KRAMO Germain, Chercheur Associé au CIRES – Côte d’Ivoire.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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