Côte-d’Ivoire – Quand le RDR réussit la prouesse de dresser ses propres militants contre Ouattara

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Par Diarra Sékou Oumar

Le rdr est le seul parti politique en Côte-d’Ivoire à réaliser la prouesse de dresser ses propres militants contre lui et son leader…

Cela n’a jamais été vu en Côte d’Ivoire. Le RDR est la seule formation politique à l’avoir réalisé, brillamment réussi : amener ses propres militants à se liguer contre elle et son mentor. Devant un tel désastre, il convient de se poser les questions justes : que s’est-il vraiment passé pour qu’on en arrive là ? La réponse est toute simple : la fétichisation d’un homme, le président Ouattara, dont les décisions, même les plus impopulaires, sont reçues comme des homélies patristiques sans la moindre résistance par des militants fanatisés à outrance, des courtisans et séides dont le seul objectif est de faire l’âne pour recevoir le foin. Aucune observation pertinente de leur part pouvant amener le chef à réviser sa copie, craignant de perdre leurs postes, si toutefois, leurs critiques venaient à l’irriter. Monsieur Ouattara est certes très brillant, étalant une connaissance profonde des questions bancaires et économiques. Nul ne peut le contester et j’avoue la grande considération et le profond respect que j’ai pour lui, au nom de son excellence et de ses qualités de technocrate accompli. Cependant, cela ne fait pas pour autant de lui, un démiurge. Il demeure un homme avec ses qualités et ses faiblesses. Il peut donc se tromper, mais il est nécessaire que cela puisse lui être rappelé de façon courageuse et dans le respect dû à son rang. C’est d’ailleurs à cette fin que sont commis les conseillers et collaborateurs qu’il s’est, avec les coudées franches, choisis et nommés.

Il y a aussi, comme je l’ai mentionné hier dans une communication, l’adoption de cette conception économico-politique faisant la part belle à la rentabilité au grand dam de l’être ; cela n’a fait qu’aggraver une situation de pauvreté qui est des plus préoccupantes du continent.

Enfin, il y a ces poisons de l’égoïsme, du népotisme et de l’arrogance qui sont les « vertus » les mieux partagées au RDR. Aucun égard pour des militants qui ont payé de leur chair et de leur sang pour l’accession du président Ouattara à la magistrature suprême. Mieux, des familles entières ont été décimées pour ce combat pour la légalité et pour la liberté. Comme récompense à tous ces sacrifices consentis, il leur est servi de l’indifférence, de l’impertinence, un manque de considération frisant quelquefois l’humiliation. Sous leurs yeux médusés et désabusés, on fait venir des parents, enfants, neveux, cousins, oncles, frères, grands-parents, courtisans de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie, à qui sont indûment confiés, quasiment, tous les postes à responsabilités, laissant en rade, les grenadiers voltigeurs à leurs arias et soucis quotidiens. Dans cette logique définie, même pour occuper les postes de subalternes, inaugurer les chrysanthèmes, il faut appartenir à certaines lignées ou certaines familles. C’est pareil pour les concours où des listes circulent avec des noms rigoureusement triés. À l’issue de ces concours d’opérette, beaucoup de ces « heureux élus » qui avaient déjà commencé à savourer leur joie, se rendent compte qu’il ne s’agissait, en réalité, que d’une grotesque mystification, une farce, un canular.

À la vérité, les militants ne demandent pas à être recrutés à la pelle à la fonction publique, suite à de pseudos concours organisés. Ils réclament plutôt l’organisation de concours où les principes de l’objectivité et de la rigueur seront respectés afin que leurs rejetons qui se trouvent être parmi les meilleurs à l’école, aient la chance de travailler et qu’ils puissent leur venir en aide. Je suis enseignant depuis une dizaine d’années et je peux le certifier : les enfants des pauvres, des personnes démunies sont, curieusement, les meilleurs à l’école. Malheureusement, ils sont recalés lors des concours parce qu’incapables de payer les montants prohibitifs qui leur sont demandés. Et quand bien même leurs parents s’endettent à l’effet d’honorer ce qui leur est requis comme somme à payer, ils sont victimes d’escroquerie, d’abus de confiance sous des regards complices.

Mais lorsqu’on se montre incapable d’améliorer les conditions d’existence de populations à travers l’érection de mesures de haute portée sociale, il ne faut pas non plus aggraver leur situation déjà intenable. Que nenni ! Quotidiennement, ce sont des flambées incontrôlées de prix des denrées de première nécessité, des destructions irrégulières de maisons habitées le plus souvent par ses propres militants, vivant dans des quartiers précaires, sans dédommagement (Abobo, Attécoubé, Koumassi, Adjamé). On peut, à tout le moins, comprendre qu’ils vivent dans ces quartiers parce qu’ils n’ont pas de moyens pour se louer les villas cossues de Cocody, de la Riviera, du Plateau … Personne de sensée ne vivrait dans de telles conditions alors qu’elle détient des centaines de millions dans des comptes en banque. Certes, on nous dira qu’on le fait pour des raisons de sécurité. Même quand on s’adonne à des opérations de déguerpissement pour des raisons de sécurité, il faut trouver des refuges de transit pour les populations déplacées, le temps de leur trouver des lieux d’habitation définitifs. C’est ce qui se fait dans les pays développés, auxquels, on veut, à tout prix, ressembler et, mieux, rattraper et dépasser en moins de dix ans de règne d’un régime. Voici, de façon synthétique, comment le RDR (Rassemblement des Républicains), a réussi la prouesse historique de se mettre ses propres militants à dos.

Le père de la nation ivoirienne, feu le président Houphouët-Boigny, a été, jusqu’à son rappel à Dieu, auréolé de l’indéfectible et inconditionnelle assistance de ses militants qui le vénéraient, mieux, le déifiaient, pour certains. Même mort, il continue de régner, de façon immatérielle, avec l’assentiment de ses hommes, sur sa formation politique qui n’est autre que le PDCI RDA. Le président Henri Konan Bédié qui lui a succédé, a toujours été soutenu par le PDCI RDA, bien qu’évincé du pouvoir suite au pronunciamiento de 1999, qui porta feu le général Guéi au pouvoir. Il y a eu, certes, des velléités de putsch interne (au sein du PDCI), pendant son exil en France, conduites principalement par l’inénarrable Laurent Dona Fologo, mais très vite mâtées. Le président Bédié a été réinstallé dans son fauteuil de président du parti, dès son retour d’exil, preuve qu’il n’avait jamais été lâché par ses ‘’soldats’’. Il en a été de même, dans une certaine mesure, pour le général Guéi, victime de sa propre naïveté politique et de la roublardise de Laurent Gbagbo. L’UDPCI (aujourd’hui incarné par le ministre des affaires étrangères, El Hadj Abdallah Mabri Toikeuse Albert), parti qu’il a fondé avant sa mort, est resté fidèle à la ligne idéologique qu’il a définie, preuve de sa fidélité à son mentor. Quant à l’ex chef d’État, le président Laurent Gbagbo, quoique pensionnaire d’un univers carcéral en Europe, continue de bénéficier du soutien sans faille et actif de ses militants. Une pétition pour réclamer sa libération, est en ce moment en cours et on y dénombre déjà des millions de signatures. On pourrait légitimement se demander pourquoi une telle effervescence et engouement autour de son nom ? La réponse me paraît toute évidente : c’est tout simplement parce que Laurent Gbagbo, malgré les nombreux ratés qu’on peut lui reprocher, avait une vision sociale et socialisante de la politique et de l’économie. Sous Laurent Gbagbo, le taux de pauvreté était aussi préoccupant, mais les populations vivaient plus dignement, arrivaient à manger à leur faim, vaquaient librement à leurs activités sans être traquées ou pourchassées. On me parlera de désordre, de licence, mais certains désordres sont, de loin, préférables à un contexte économique, dit-on rigoriste, qui ne profite qu’à des gens déjà riches, abandonnant la majorité de la population à ses difficultés quotidiennes. Lors des casses et pillages qui ont eu lieu cette semaine, en réponse aux tarifs prohibitifs figurant sur les factures d’électricité qui ont été distribuées, deux fois, en moins d’un mois, en s’attaquant aux locaux de la CIE, aux structures financières et symboles de l’État, les populations ont tenté par ces moyens, certes condamnables, d’envoyer un message aux autorités : un message véhiculant un profond mal-être, un drame intérieur abyssal, un désarroi économique des plus inquiétants. Ce message doit être savamment décodé afin que la thérapie qui sera choisie, puisse être à propos. Comme signifié dans une de mes tribunes d’hier, il faut que ce soit une panacée fondée sur les valeurs de la raison et non sur des pistes privilégiant la répression sauvage et aveugle. Le ver étant déjà dans le fruit, on ne fera que jeter de l’huile sur le feu, envenimer une situation qui est déjà assez grave. On accuse l’opposition, mais elle ne fait qu’exploiter intelligemment la misère dans laquelle vivent les populations. Honnêtement, a-t-on vraiment besoin de rappeler à un individu tenaillé par la disette qu’il a faim et que pour pouvoir améliorer ses conditions, il doit revendiquer, faire la révolution ? Comme le disait Rousseau : « La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués (…) La maladie, dit-il, vient de Dieu, j’en conviens. Mais est-il interdit d’appeler le médecin ? » (Cf. Du contrat social) Cette bouc-émissairisation de l’opposition doit être mise sous le boisseau pour réel un décodage du message émis, qui s’articule, principalement, autour de la notion de pauvreté, c’est-à-dire de misère, de pénurie. La cause supprimée, l’effet disparaîtra certainement et absolument. Un ventre creux est une proie facile pour tout aventurier. Il faut sauver ce qui peut encore l’être. Entre temps, le PDCI ne fait que se consolider autour de son leader. Cette crise, cette désaffection au sein du RDR, leur profitent grandement. Le président Bédié ne peut que se frotter les mains. Il n’en demandait pas mieux. C’est ce que Machiavel subsume sous le concept de ‘’virtù’’ : savoir tirer un intérêt des crises qui minent l’allié, avoir le sens des situations, l’esprit de suite et de prévision. Dieu nous garde !!!

Docteur Sékou Oumar Diarra
Professeur de philosophie
E-mail : diarra.skououmar262@gmail.com

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