Révision constitutionnelle en Côte-d’Ivoire ou la dérive autocratique ? (Jean-Francois Fakoly)

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Le concept de démocratie a tellement été malmené au cours du processus d’élaboration de la nouvelle constitution qu’il est devenu méconnaissable. Commençons par énoncer les faits, car ils
sont têtus :

1. L’esprit de la constitution dictée par un seul homme (le chef de l’État). « Le comité d’experts n’a été que la plume du président » (dixit Ouraga Obou, lors de la cérémonie de remise des travaux)

2. Des députés de la république formellement interdits d’apporter le moindre amendement à ce texte parfait

3. Les manifestations de protestation contre le texte interdites

4. Le vote à bulletin multiple, vieille technologie de fraude électorale inventée par le PDCI ressuscité par ceux-là même qui l’ont combattu avec acharnement (FPI et le RDR)

5. Un suffrage (à venir) non équitable : monopolisation des médias publics par le camp du Oui, utilisation des moyens de l’État (tous les ministres sont en campagne avec les moyens ministériels), achats des consciences (distribution de 180 motos à Korhogo pour ne citer qu’un exemple)

6. Suspension des medias de l’opposition

Affirmer après cette moisson de faits que nous sommes encore dans une démocratie relève de la plaisanterie et traduit méconnaitre du sens de ce mot. Peut-être convient-il mieux pour qualifier la situation ivoirienne, d’employer le néologisme de Houngnikpo (2004) : la DÉMOCRATURE, cette sorte de démocratie mâtinée de dictature qui caractérise la majorité des régimes politiques africains. Pourtant, les choses avaient bien commencé en 1990 dans ce que l’histoire retiendra comme le printemps démocratique africain. L’heure était à l’euphorie après la chute du mur de Belin. Les manifestants dans toutes les grandes capitales africaines appelaient à la fin des dictatures, les prévisions étaient optimistes. C’est à ce moment qu’a paru le livre de Francis Fukuyama (1992), La fin de l’histoire et le dernier homme. Par ce titre, l’auteur entendait affirmer que l’humanité avait atteint de façon irréversible la dernière marche de son évolution politique et que la démocratie libérale s’imposait partout dans le monde. C’était mal connaitre l’homme noir moderne. En fin connaisseur des sociétés africaines, un autre Francis, celui-là ivoirien (Francis Akindes, 1996) avait abouti à une conclusion inverse : l’effervescence des rues africaines n’était qu’un mirage démocratique. Les cultures africaines selon l’auteur avaient quelque chose d’irréductiblement non-démocratique. Dans la même veine Jacques Chirac, le président français, avait affirmé reprenant en cela les paroles de Houphouët Boigny, de Éyadema, de Mobutu, de Moussa Traoré et bien d’autres autocrates africains, que l’Afrique n’était pas prête à la démocratie. Cette boutade lui avait valu des accusations de racisme, mais les faits semblent lui donner raison, la majorité des États Africains en 2016 sont des sortes de syncrétisme, mélangeant autoritarisme et élections libres (mais truquées). Bien sûr des exceptions (qui confirment la règle) existent. Elles sont trop belles et trop rares pour être passées sous silence : l’Afrique du Sud, Bénin, Ghana, Sénégal, Maurice…Partout ailleurs, l’heure est à la désillusion : on assiste presque
partout à des régressions autoritaires. Les politologues ne manquent pas d’imagination pour qualifier ses démocraties en trompe-œil : démocratie sans choix, autoritarisme démocratique, etc.

Dans cette lutte à la dégénérescence démocratique, les parties de droite comme de gauche se valent. Les régimes changent, mais les pratiques sont les mêmes. Quelles remarquables similitudes entre Bédié, Gueï, Gbagbo, Ouattara :

1. Monopolisation des médias d’État et propagande à outrance

2. manipulation de la constitution pour fausser la compétition électorale, c’est-à-dire utiliser la constitution pour écarter un adversaire et éviter de l’affronter (exclusion d’Ado, institution de la vice-présidence pour court-circuiter GS, etc.)

3. Interdiction des marches de l’opposition

4. Parlement monocolore, donc aucune séparation entre pouvoir législatif et exécutif dévoyant la finalité de cette institution dont la quintessence selon Montesquieu se trouve dans le contrepoids qu’elle oppose à l’exécutif.

5. Une justice aux ordres (mandat d’arrêt international contre Ado en 1999 aujourd’hui,
justice des vainqueurs de la guerre)

6. enrichissement illicite : scandale des 18 milliards (régime Bédié), les détournements dans la filière café-cacao (régime Gbagbo), le scandale de l’université (régime Ado) avec à la clé impunité totale, même pas un petit remboursement.

L’histoire semble se répéter à chaque fois, les démocrates d’hier (opposition) devenant les autocrates une fois au pouvoir et cela avec la complicité des intellectuels organiques de leurs partis. Hier, les partisans du FPI applaudissaient les interdictions de marches du RDR et sa jeunesse désœuvrée prête à des contres-marches pour mater du « Russe ». Aujourd’hui mutatis mutandis pour le RDR. Des anciens leaders de jeunesse de ce parti, ignorant des règles élémentaires de la démocratie ont appelé à une contre mobilisation contre Le front du refus, la manifestation de ce groupe a d’ailleurs été interdite. Les intellectuels du RDR assistent médusés comme ceux d’hier (FPI), terrorisés par les mises en garde d’Amadou Soumahoro, à la liquidation des acquis démocratiques. Le problème en Afrique est que la boussole des intellectuels, en principe, sentinelles et gardiens des valeurs démocratiques, est malheureusement ni la vertu (au sens de civisme), ni les valeurs démocratiques ni aucun autre concept, mais l’appartenance ethnique et les bourdonnements du ventre. Ainsi au nom de la fidélité au groupe ou de la manducation (mangecratie), on piétine tous les principes auxquels on a auparavant crû.

Conséquence de cette duplicité, de ces contorsions entre les propos tenus dans l’opposition et ceux tenus une fois au pouvoir : la croyance aux vertus de la démocratie s’est effritée, produisant une sorte d’apathie chez le citoyen. Selon la dernière étude d’Afrobaromètre (2012) plus de 72% des Ivoiriens étaient indifférents à la nature du régime. De plus, ceux qui soutiennent qu’un régime non démocratique est préférable dans certaines circonstances (11%) étaient presqu’équivalent aux inconditionnels de la démocratie (seulement 12%).

Faut-il pour autant désespérer ?

NON. On parle de plus en plus d’un Ivoirien nouveau, il devra faire sursaut d’orgueil. Il faudrait que les intellectuels aient le courage de leur conviction et qu’à l’intérieur de leurs chapelles politiques respectives, ils résistent contre les courants rétrogrades de la dictature, du tribalisme, de la haine, du manichéisme (pro-Ado, anti-Ado) afin de contraindre dans un premier temps leur parti politique, puis partant, la société tout entière à aller vers un certain progrès intellectuel et politique. Ainsi, l’espoir est permis, il ne s’agit plus de se taire et avaler des couleuvres lorsque ses principes sont atteints. On peut être RDR et critiquer en interne comme en externe les dérives du parti, tout comme on aurait pu être FPI et s’opposer aux dérives ivoiritaires. L’intellectuel devra assumer son rôle de sentinelle ou il ne le sera pas. La bataille de 2020 qui vient de débuter n’opposera pas les houphouetistes au frontistes ou le RDR au FPI, mais plutôt les démocrates de tout bord aux conservateurs autocrates de tous horizons. Les partis qui ne s’ajusteront pas à cette donne dépériront. Mais cela relève de la divination, me dira-t-on. Mais si le président peut rêver d’une constitution qui traverse le temps, pourquoi ne rêverions-nous pas d’un sursaut démocratique.

Jean-Francois Fakoly

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