Edito de Venance Konan: Côte-d’Ivoire « On est fatigués ! »

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Le jeudi 5 janvier dernier, le Président de la République a rencontré à Daoukro celui qu’il appelle son aîné et qu’il consulte avant la prise de toute décision importante : le président Henri Konan Bédié, président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). Les deux hommes ont parlé des affaires de la nation, et notamment de la recomposition du paysage politique de la IIIe République, avec la nomination du Vice-Président de la République, du nouveau Premier ministre, du nouveau gouvernement, les élections des présidents et vice-présidents de l’Assemblée nationale et la mise en place du Sénat.

Les nominations et élections devaient intervenir dans les jours qui suivaient. Le lendemain, vendredi 6 janvier, un groupe de soldats de Bouaké s’est mutiné pour réclamer de meilleures conditions de vie et de travail ainsi que le paiement d’une prime dite « Ecomog » qui leur serait due depuis 2011. D’autres soldats de Korhogo, de Daloa, puis de Daoukro ont suivi le mouvement, avant qu’il ne touche à des degrés divers presque toutes les garnisons du pays. Les choses sont rentrées dans l’ordre après que le Chef de l’État a marqué son « accord » pour la « prise en compte des revendications » relatives aux primes réclamées par les soldats. Bien entendu, l’enchainement de ces deux évènements n’est que le fruit d’une malheureuse coïncidence. Honni donc soit qui mal y penserait en y voyant la main de quelqu’un qui aurait cherché à montrer sa capacité de nuisance, afin d’obtenir une bonne place dans le dispositif qui se mettait en place. Et honte à qui prétendrait avoir vu le dos du nageur ! Cette fois-ci le nageur a nagé sur le dos et tout le monde a bien vu son visage. Mais faisons tout de même attention aux évidences parfois trop évidentes.

Faut-il rappeler que le fait de se faire remettre quelque chose, de l’argent notamment, qui ne vous appartient pas, au moyen d’une arme s’appelle un vol à main armée ou braquage ? Ce n’est pas la première fois que nous subissons ce genre de braquage de la part de certains éléments de nos forces armées. Cela remonte même jusqu’au temps du président Houphouët-Boigny, lorsque de jeunes recrues utilisèrent leurs armes pour obtenir ce qu’elles voulaient du pouvoir politique. Et cela ne s’est plus arrêté. La question est maintenant de savoir jusqu’où les Ivoiriens vont-ils accepter ces vols à main armée et voir le fruit de leurs efforts anéanti par l’action de soldats inconscients de leur véritable rôle dans la société, ou par celle de politiciens avides de pouvoir qui les manipuleraient. Aujourd’hui nous nous vantons d’avoir pu atteindre en un temps record, grâce au travail et au talent de notre Président, une croissance économique de près de 10%. Nous venons d’entrer dans l’année 2017, où nous nous attendons à ce que les fruits de cette croissance soient mieux distribués, afin de gommer certaines inégalités qui commençaient à devenir trop criantes.

Le Chef de l’État s’y est engagé lors de son allocution de fin d’année. Et voici par quelques coups de feu tirés en l’air, quelques soldats viennent à nouveau de donner une image plus que déplorable de notre pays, et de faire fuir ou hésiter des investisseurs ou des touristes étrangers. Cela devrait à nouveau nous interpeller sur notre patriotisme, et sur cet Ivoirien nouveau dont nous attendons l’avènement. Quel est cet Ivoirien qui, pour satisfaire sa seule ambition, est capable de ruiner le travail de toute une génération ? À vrai dire la question n’a pas de sens, dans ce pays où cette façon de fonctionner est devenue la règle depuis belle lurette. Le plus important pour nous n’est-il pas l’argent que l’on peut acquérir, quelle qu’en soit la manière ? La personne respectée chez nous n’est-elle pas celle qui détient beaucoup d’argent, même s’il est notoire qu’elle l’a volé ? Il faudra bien qu’un jour nous nous déterminions sur notre vraie ambition. Si elle est vraiment d’émerger, de bâtir un pays solide et respectable dans lequel chacun aura le minimum vital, nous devrons fonctionner en respectant une certaine éthique, et en nous réappropriant certaines valeurs. On ne demande pas aux Ivoiriens d’être des surhommes, mais de se comporter comme un peuple qui veut évoluer. Il y a quelques jours, des amis qui avaient vécu au Botswana me racontaient comment dans ce pays africain, la lutte contre la corruption n’est pas un vain mot, ni un slogan creux, mais un vrai comportement. « Il y a certainement des corrompus là-bas, puisque ce sont aussi des humains, mais ils doivent vraiment se cacher », m’ont-ils dit. Le résultat d’un tel comportement est que le Botswana est l’un des rares pays qui marchent bien sur ce continent. Nous devons également savoir déchiffrer certains signes, certains comportements observés lors des derniers scrutins, afin d’éviter certaines mauvaises surprises, car dit-on, les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Saisissons-nous de ces derniers incidents pour réajuster les choses et nettoyer là où cela est nécessaire. Sans doute qu’il fallut au début remercier certaines personnes pour leur contribution à l’avènement des temps nouveaux, ce qui justifia que l’on ne regardât pas trop dans la bouche des grilleurs d’arachides. Mais ce temps ne saurait être infini et doit un jour lui succéder celui de la juste répartition. « Et ce temps, c’est maintenant ! », comme le dirait une de nos ministres. Il est dangereux pour un pays qu’une proportion grandissante de personnes ait le sentiment, même faux, qu’une petite minorité s’accapare tout. Relisons attentivement notre histoire récente, car celui qui ne sait pas lire sa propre histoire se condamne à la revivre.

Venance Konan

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