Côte d’Ivoire: Ado, où la rébellion présidentielle

Je ne connais pas de près celui que ses admirateurs appellent le Prado. Mais face à ses dernières décisions en vue de favoriser, consolider et cimenter la réconciliation nationale, je voudrais l’interpeller.
Non, monsieur, l’arrestation de six journalistes n’était pas la chose à faire. L’un d’entre eux, dont la santé est précaire, avait besoin de médicaments, de soins, d’un minimum de confort. Pourquoi Monsieur Ouattara, pour lequel toute une équipe médicale s’agite au moindre signe alarmant, ne fait-il jamais preuve de cette empathie que l’on attendrait d’un Président digne de ce nom, représentant de tous les Ivoiriens ? Depuis votre irruption en Côte d’Ivoire, le pays s’est retrouvé coupé en deux: flatteurs de tout poil et camp des rattrapés d’un côté, et de l’autre, ces millions d’Ivoiriens qui avaient découvert avec Laurent Gbagbo une Côte d’Ivoire qui se relève, qui apure ses dettes; une Côte-d’Ivoire riche d’une jeunesse studieuse parce que promise à l’instruction, et qui espérait en recueillir bientôt les fruits, en devenant actrice de l’essor et de la prospérité du pays.
Monsieur Ouattara, quant à lui, n’a jamais misé sur l’instruction. Tiré de son village – quel qu’il soit… –, puis envoyé à l’étranger pour y bénéficier d’une bourse d’études l’ayant conduit jusqu’au doctorat d’économie, Monsieur Ouattara a choisi d’installer au ministère de l’Education nationale l’inamovible dame au joli minois que l’on sait, de toute évidence plus apte à organiser des compétitions sportives ou le concours de “miss Côte d’Ivoire”, qu’à encadrer la préparation des élèves au BEPC et au baccalauréat.

Quant à ses titres, certificats et autres parchemins, ils ne lui auront servi à rien, puisqu’il ne s’est montré à aucun moment capable de passer de la théorie à la pratique : son mythique carnet d’adresses, et ses promesses de pluies d’or et d’argent n’ont jamais fécondé le moindre investissement gagnant-gagnant ! Là où Feu le ministre de Laurent Gbagbo, Antoine Bohoun Bouabré, avec moins de diplômes, avait fait merveille grâce à son budget sécurisé : diminution de la dette, amélioration du niveau de vie des paysans dans la filière café-cacao, études possibles pour tous les enfants, perspective de la mise en place imminente d’une assurance maladie universelle pour tous les ivoiriens…
Il y a trois jours, six journalistes ont été arrêtés : on ne leur reprochait pas moins que d’avoir porté atteinte à la sécurité de l’état ! Quand des mutins réclamant la part de butin qu’ils n’ont pas reçue pour avoir prêté main forte à la rébellion et contribué par la violence à installer Ouattara à la présidence, obtiennent gain de cause en prenant le pays en otage, n’est-il pas évident que cette “faiblesse” du chef qui cède enfin, va faire boule de neige chez les autres copains ?

Les enseignants et fonctionnaires du pays rappellent depuis des mois, voire des années, les arriérés de salaires qui leur reviennent : ce qu’ils réclament est pourtant bien un dû, pas le pourboire promis pour bonne conduite aux tueurs de la rébellion. Mais il leur est répondu “non !”, parce qu’ils ne sont pas armés, et donc pas en mesure d’intimider comme ces soi-disant militaires qui osent défier leur Chef, accessoirement Premier Magistrat de la nation ! En Côte d’Ivoire aujourd’hui, ce n’est qu’en s’imposant par la force que l’on obtient gain de cause. Alors que la revendication des fonctionnaires relève bien de la dette que l’Etat se doit d’honorer, la “facture” des mutins ne peut être adressée qu’au toujours actuel chef de la rébellion, même si celui-ci est entre temps devenu, grâce à la France, le Président Ouattara. Notre grand Économiste, qui réussit à remplir ses caisses personnelles en vidant celles de l’Etat, se serait enrichi de 27 milliards de dollars en quatre ans selon des indiscrétions de la DGSE. Mais malgré cette immense richesse accumulée, la “dette” sauvage du chef rebelle devrait encore être payée par les deniers publics…
Soixante heures durant, six journalistes ont été détenus pour avoir osé affirmer que même la dernière des vagues de mutins, celle des Forces Spéciales, a obtenu gain de cause. Certes, ces derniers ont officiellement demandé pardon, reconnu leur erreur, et renoncé à leurs revendications. Mais dans ce pays gangrené jusqu’à la moelle, qui peut croire que les premiers mutins ont été exaucés et pas les derniers ? Pourquoi Mr Ouattara aurait-il dormi au 43ème Bima, s’il avait pu se reposer sur son armée, sur sa garde rapprochée ? Pourquoi cette valse de chaises dans l’armée et la gendarmerie, si la confiance y régnait ? Il est facile d’envoyer promener les fonctionnaires, ils ne sont pas armés ! Même les médias étrangers TV5, RFI, BBC, parlent du chantage exercé par les rebelles et de l’empressement de Ouattara à accéder à leurs requêtes !

Alors, faut-il blâmer des journalistes qui, en rapportant des faits, ne font que leur devoir ? Les médias ne sont-il là que pour encenser un pouvoir agonisant et aux abois ? Les ivoiriens sont-ils naïfs au point de croire que ce président qui leur a été imposé, qui ne se maintient au pouvoir que grâce à sa milice, ces pseudo-militaires sans foi ni loi, capables d’ériger des barrages routiers pour rançonner l’arme au poing des citoyens sans défense, aurait subitement réussi à transformer en agneaux ces fauves à qui il continue à tout devoir ?

Former Ivorian Prime Minister and President of the Rally of Republicans (RDR) Alassane Ouattara (L) speaks with Ivory Coast rebel leader Guillaume Soro 23 March 2006 in Katiola, northern Ivory Coast. Alassane Ouattara expressed his confidence 23 March in national reunification during his first visit to the rebel-held north in three and half years. Ouattara was last in the region in July 2002 during local government elections there. Two months later, the rebels took control of the north of the country after a foiled coup attempt against President Laurent Gbagbo. AFP PHOTO ISSOUF SANOGO

Monsieur Ouattara, abandonnez les conseils de vos suiveurs, payez votre dû sur vos propres deniers – ces deniers volés au peuple ! –, versez aux fonctionnaires les salaires auxquels ils ont droit, cessez d’humilier vos enseignants. La force d’un pays, c’est sa jeunesse : cessez de ne regarder qu’à travers la lorgnette de vos copains rebelles, car eux aussi prennent de l’âge, comme vous. Votre épouse même, – à laquelle le courage semble cruellement faire défaut, puisqu’elle s’est mise à l’abri en France –, votre épouse même vous trompe, avec son visage intemporellement lifté. Oui, le temps passe, et chaque jour apporte son lot de victimes. Vous ne pouvez vous obstiner à feindre de croire, avec les dépêches de l’AFP, aux seuls 3000 morts de la guerre postélectorale. En bientôt six ans de votre régime, l’hécatombe n’a jamais cessé, car rien ne fonctionne dans ce pays.

Enfermer six journalistes qui, renseignés sur place par des témoins dignes de foi, relayent des informations avérées, est-ce là un acte courageux ? Ce brusque silence des mutins, leurs “regrets”, leur demande de pardon, s’apparente plutôt au silence du chat qui a eu sa pâtée, et qui repu, se lèche les pattes. Jusqu’à la prochaine fringale…

Le courage, Monsieur, c’est de savoir assumer ses erreurs. Votre peuple – mais est-ce bien le vôtre ? –, ce peuple est brave, il a reçu des coups, il a été humilié, dépouillé, rendu orphelin de pères de mères, en deuil de ses enfants; il est sans travail, sans ressources, sans avenir. Face à lui, vos enfants et beaux-enfants ont amassé des fortunes sans le moindre effort ! Le peuple n’a pas encore répondu au mal par le mal, mais sa patience est à bout. Il ne peut plus vous suivre dans votre Com et votre étalage d’amis tous plus corrompus les uns que les autres. Ne serait-il pas temps que vous vous arrêtiez pour réfléchir et changer de cap ?
Vous qui aimez les personnages français, prenez exemple sur le général de Gaulle qui en mai 1968 a eu à faire face à des émeutes, un soulèvement ! Comportez-vous en chef d’Etat et non en despote qui ne sait qu’abaisser, humilier, mépriser. La domination par la force n’a qu’un temps; si vous ne voyez pas de porte de sortie viable pour le pays, alors faites amende honorable et demandez avec nous la libération du président Gbagbo. Si vous aimez la Côte d’Ivoire comme vous le dites, œuvrez pour son bien et non pour sa perte.

Tous connaissent votre image du “bateau Côte d’Ivoire”, voguant vers l’Emergence 2020. Mais à vous qui avez beaucoup voyagé par les airs, je suggère une autre illustration, puisée dans le domaine de l’aéronautique : il s’agit de l’avion où s’entassent pêle-mêle tout le personnel de votre administration étatique. Un bateau peut toujours se diriger, grâce à sa voilure, aux courants marins, quitte à dériver; mais l’avion gouvernemental de votre horizon 2020, privé du carburant de la confiance du peuple (née de tout ce qui n’est pas dette, mais au contraire richesse économique, essor, entreprises, universités performantes, hôpitaux et médicaments, soins, emploi, etc…), votre avion ne peut que se crasher à court terme. Votre avion n’est pas un planeur, tout ce beau monde qui a œuvré à vos côtés pour dépouiller et dépecer la Côte d’Ivoire est bien trop lourd pour l’“Adoflotte”. Vite, enfilez votre parachute avant qu’il ne soit trop tard, car le crash sera terrible, et rares seront les survivants…

Alors, préparez votre sortie dans l’atmosphère du monde réel : payez votre dû, tentez de réparer ce qui peut encore l’être. Hâtez-vous d’utilisez vos milliards pour faire, dans le peu de temps qui vous reste, le bien que vous pourrez, au lieu de continuer à enrichir des générations d’égoïstes à votre image.

Et enfin, laissez à l’Histoire et aux Ivoiriens le soin vous juger.

Shlomit Abel, 15 février 2017

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