Côte d’Ivoire: Comment Doué Mathias aurait empêché un coup d’État contre Houphouët-Boigny en 1990

Afrikipresse

Le Général de Brigade Diabagaté Soumaïla, chef d’état-major de l’armée ivoirienne de 1999 à 2000, est un promotionnaire de Feu le Général de Division Mathias Doué (inhumé le jeudi 20 avril 2017, à Williamsville.

À l’occasion de la cérémonie d’adieu organisée par l’armée, dans la matinée du jeudi, à la place d’armes de l’état-major général à Abidjan-Plateau, il a expliqué dans une longue intervention, comment son successeur direct (Doué lui a succédé en 2000. Ndlr) a mis sa vie au service de la nation. Ci-dessous, un extrait de son intervention.

« En cette triste circonstance qui nous réunit ce jour, l’honneur m’échoit de prendre la parole en ma qualité de plus ancien Chef d’État-major des armées de la République de Côte d’Ivoire, encore en vie. Au-delà de ce statut et du Protocole, c’est également un ami du disparu qui prendra ainsi la parole. Je vous prie donc d’excuser les élans émotionnels qui pourraient m’assaillir.

Souffrez que mes primeurs mots soient adressés à sa veuve, Chantal Doué, à ses enfants, mais aussi à sa maman, notre maman. Je leur présente les condoléances les plus attristées ainsi que la profonde compassion des différents corps des forces armées, de la nation ivoirienne ainsi que de toutes les personnes qui honorent de leur présence ce dernier hommage à notre frère d’arme et ami.

Bien que son parcours exemplaire et sa contribution active à service du succès des armes de la Côte d’Ivoire m’invitent au dithyrambe, mon propos sera volontairement sobre. Oui, car la sobriété était l’un des principaux traits caractéristiques de notre regretté. Mathias Doué était sobre. Cette qualité se mêlait harmonieusement à la discrétion des grands hommes, la prévenance des gens naturellement bons et l’opiniâtreté des hommes passionnés Oh tellement de qualités humaines le définissaient ! Mais celles que j’aimerais mettre en avant alors que nous sommes réunis pour lui dire adieu, sont son dévouement et son engagement, sans commune mesure, au service des armes de Côte d’Ivoire.

Ils annonçaient une des figures emblématiques de la vie militaire, mais de la vie nationale tout simplement.

Ces 50 dernières années, toutes les minutes de sa vie ont été consacrées à l’armée, à sa patrie. Mon Général, notre première rencontre remonte à septembre 1970. 47 ans déjà. Dans le véhicule qui nous amenait au sein de cette prestigieuse école militaire de Saint Cyr, j’étais anxieux et inquiet. Vous fûtes le premier visage que je rencontrai alors que je descendais du car. “Soyez les bienvenus à Saint-Cyr“ vous entendis-je dire, avant de m’aider à descendre du véhicule. Je ne vous ai plus revu les semaines qui ont suivis. Plus tard, épuisés que nous étions par le traditionnel bahutâge des nouvelles recrues, vous êtes réapparu les bras chargés de friandises et de boissons, tel un sauveur. Ce jour-là, nous fîmes alors connaissance et vous êtes devenu mon frère. Celui avec lequel j’ai partagé tout le reste de cette existence, le sobriquet mutuel de “Scrogneugneux“ dont l’origine restera définitivement notre secret à tous les deux. Je partage cet agréable souvenir alors que nous sommes réunis une dernière fois pour vous, mais sans vous, car cela me ramène à ce qui a été votre carrière militaire.

Brillant officier forgé dans le moule des plus prestigieux écoles militaires et de guerre, l’exemplarité de vos services vous prédisposait à atteindre les sommets de la hiérarchie militaire. Vos 10 premières années vous ont enseigné le verbe, la patience et l’écoute. Top instructeur à l’école des forces armées de Bouaké, vous êtes devenus juge d’instruction près du tribunal militaire avant de devenir premier substitut du commissaire au gouvernement, au parquet militaire d’Abidjan.

Vos fonctions de Directeur des affaires judiciaires et législatives militaires furent une excellente transition avant le commandement actif. C’est pourquoi, à la fin des années 80, vous voilà propulsé à votre premier commandement, celui du premier bataillon Blindé d’Akouédo, sous le commandement du Chef d’état-major d’alors, Feu le Général Félix Ory. Un commandement que vous assurez jusqu’aux évènements de mai 1990. Cette année-là, des revendications corporatistes de soldat du rang, se muèrent en un mouvement parti du camp d’Akouédo. C’est la première mutinerie que notre pays connaît. Les soldats prennent les rues, paralysant la vie économique et sociale. C’était une situation inattendue. Les hésitations des autorités, aux premières heures, ont fait qu’on a déploré quelques dégâts matériels en ville. Cependant, l’armée est en état d’alerte maximum. De nuit, les mutins arrivent à convaincre leurs frères d’armes du bataillon blindé de rallier le mouvement et de faire sortir les chars. Ce serait alors l’escalade. Mais, les plans des mutins sont contrariés par un homme qui a décidé de dormir au camp. C’est le Lieutenant-Colonel Mathias Doué, chef du corps du bataillon blindé. Il s’oppose seul à la soldatesque et exige de ses hommes de tenir leur engagement républicain. L’exercice est risqué, mais, salvateur.

Mathias Doué empêchera la sortie des blindés et permettra de circonscrire ce mouvement à des proportions gérables. Il démontrera ainsi son aptitude au commandement et montrera surtout son courage et son esprit républicain. Il sera alors consolidé dans son commandement avec le bataillon blindé, le premier bataillon d’infanterie et le commandant du camp militaire d’Akouédo.

Mon Général, vous êtes ensuite orienté vers une fonction diplomatique pendant quelques années, successivement au Japon et en République populaire de Chine. Interprétée de façons multiples, cette expérience aura eu le mérite de vous former à la parfaite maitrise des relations militaires internationales. Ce séjour asiatique sera d’ailleurs à l’origine d’un surnom qui vous suivra longtemps. Je veux dire, “Le Chinois“ (…) ».

Propos recueillis par Jean-H Koffo

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