Des transporteurs interurbains en Côte-d’Ivoire à Mamadou Koulibaly « Nous sommes d’accord avec vous»

Evariste Kouadio | LIDER News | 11 août 2017

La seconde partie de notre enquête à la gare routière d’Adjamé auprès des professionnels du transport interurbain par car, maillon essentiel de l’économie ivoirienne représentant 7% du produit intérieur brut.

Après S. Ouattara, qui évoquait les contraintes de la jungle fiscale, le racket policier, le coût du carburant et la dégradation avancée des voies (lire ici), nous avons rencontré D. Lamine, gestionnaire d’une entreprise de transport en commun sur la ligne Abidjan-Odienné, qui aborde la question du péage :

«Comme tout le monde, nous payons 7.500 fcfa par voyage. Nous, on salue l’action du gouvernement parce qu’il n’y a pas que le péage. C’est un ensemble : le péage, l’autoroute Abidjan-Yamoussoukro, il faut reconnaître les efforts faits par le gouvernement. Le travail fait a réduit considérablement les accidents de la circulation. Pour le péage, dire que les véhicules doivent passer sans rien payer, ce n’est pas possible ; mais là où ça devient difficile, c’est que pour un seul véhicule, mon entreprise débourse 450.000 fcfa par mois, et comme nous avons deux gros cars qui vont à Odienné, nous sommes pour le moment à 900.000 fcfa par mois. Il faut avouer que ce coût représente 80% de ce que je paye à l’ensemble du personnel. Bien sûr, c’est notre contribution à l’économie, mais c’est un autre impôt qui vient s’ajouter aux autres impôts déjà existant. 7.500 fcfa par voyage, c’est trop pour la survie de nos entreprises. Si le gouvernement pouvait mettre le péage à 3.500 fcfa par voyage, les entreprises de transport pourraient mieux supporter.

En fait, c’est beaucoup d’argent que l’Etat de Côte d’Ivoire gagne et nous, on se demande tout cet argent sert à quoi exactement. Si c’est pour l’entretien des routes, on n’a pas encore vu. La preuve : il y a toujours des parties de l’autoroute qui nécessitent actuellement des retouches. Pire, le goudron de l’autoroute n’est pas adapté aux poids lourds. Est-ce que c’est cet argent qui est utilisé pour ces travaux, je ne pense pas. Il faut que l’Etat ou le gouvernement dise clairement combien le péage rapporte et comment cet argent est utilisé.

Mieux, on doit penser à créer rapidement d’autres autoroutes car c’est beaucoup d’argent. La voie Daloa-Man est totalement impraticable ; la voie Man-Odienné a besoin d’être réhabilitée. Et puis, deux péages sur l’autoroute séparés d’une centaine de kilomètres, ce n’était pas forcément nécessaire. Si dans la journée, le 2ème péage pouvait être gratuit une fois qu’on a payé au 1er, ce serait bien. On n’aurait plus qu’à présenter seulement le ticket du jour.»

Le gouvernement ivoirien n’a jamais réagi aux interrogations de LIDER sur la gestion du péage. Quelles recettes génèrent les péages ? Quelle utilisation est faite des fonds recueillis ? Une partie est-elle affectée au remboursement de la dette ? Quelle part est allouée à l’entretien de l’ouvrage routier concerné ? Combien aux autres routes ? Les propositions du parti au flambeau, soulignant la nécessité d’une loi d’orientation des transports intérieurs qui définit le schéma directeur routier national et d’une autre loi portant statut des autoroutes en Côte d’Ivoire, ont été ignorées.

Évoquant le prix du carburant, D. Lamine s’exprime ainsi :

«Nous consommons 75 000 litres dans le mois, soit 42.750.000 fcfa/mois. Malheureusement, le carburant est indispensable à notre activité. La recette d’un voyage est d’environ 590.000 fcfa; mais le carburant seul engloutit 200.000 fcfa, sans oublier les autres charges fixes. Nous payons la cnps, l’its ; le Bic seul nous revient à 1.070.000 fcfa par an ; la patente, 4.000.000 fcfa/an, la vignette à 110.000 cfa, sans compter les visites techniques et surtout, l’amortissement du prix d’achat des cars auprès de banques. C’est difficile pour les entreprises de transport.»

Des propositions pertinentes pour booster le secteur des transports

La position de LIDER sur la question du carburant est connue : le prix à la pompe est une conséquence de l’administration des prix par l’Etat ainsi que de la situation de monopole qui appauvrit le consommateur. Comme la Société ivoirienne de raffinage constitue l’unique source d’approvisionnement du secteur en Côte d’Ivoire, les distributeurs n’ont pas la possibilité de se fournir chez des compétiteurs moins-disant que la Sir. L’absence de concurrence et l’intervention de l’Etat empêchent donc le prix de vente à la pompe de différer d’une station à l’autre, comme cela est le cas dans les pays qui fonctionnent bien. Ceux qui en pâtissent sont les consommateurs.

LIDER prévoit de mettre fin à cet état de chose et de dynamiser le secteur des transports par «la libéralisation des sources d’approvisionnement et du prix à la pompe, ainsi qu’une réorganisation et une gestion rigoureuse de tout l’environnement routier : les assurances, les visites techniques, les contrôles routiers etc. Le rôle de la police, par exemple, n’est pas de contrôler les papiers, mais de sécuriser les populations et les biens. Il faut également réglementer le système de péage et d’accès au réseau routier», comme l’exposait le Prof. Mamadou Koulibaly lors d’une rencontre avec les hommes d’affaires en septembre 2015.

L’entrepreneur D. Lamine de conclure :

«Merci de nous permettre de parler de ces choses, cela n’arrive pas souvent que l’on nous écoute. Je peux même ajouter que la Côte d’Ivoire a besoin d’une nouvelle politique dans la gestion du péage, mais aussi d’une réduction du prix du carburant. S’il y a une autre politique qui va dans ce sens, nous transporteurs, nous sommes preneurs. Dites au Président Mamadou Koulibaly que nous sommes d’accord pour une libéralisation des sources d’approvisionnement et du prix du carburant. Cela va créer la concurrence entre les entreprises et entraîner une baisse du prix à la pompe.»

Lire la 1ère partie: Il n’y a pas de route après Katiola et le racket continue

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2 réflexions au sujet de “Des transporteurs interurbains en Côte-d’Ivoire à Mamadou Koulibaly « Nous sommes d’accord avec vous»”

  1. Je salue les propositions du LIDER pour adoucir la gangrène qui pègue notre secteur des transports. Une proposition que je partage entièrement est la transparence dans la gestion des recettes. En effet, le contribuable doit savoir les montants collectés ainsi que ceux dépensés et leurs destinations. Dans nos pays, je ne comprends pas cette opacité dans la gestion de ce genre de recettes. En plus, cette transparence évite bien de malentendus et participent de la bonne gouvernance. Ainsi, les entrepreneurs comme D. Lamine et les syndicats ne pourront s’interroger continuellement sur « là où vont tous ces millions qu’ils paient ». Ils n’auront pas l’impression d’être spolié des fruits de leur dure labeur pour rien comme ils peuvent bien le penser dans le statu quo actuel.

    Sur le point de la libéralisation totale du prix à la pompe, je valide mais j’ai bien peur que ces mêmes transporteurs ne viennent se plaindre demain quand le prix du carburant va flambée à cause disons d’un conflit dans le Moyen-Orient. Une sensibilisation massive serait de mise car la libéralisation totale porte ses épines qui peuvent blesser. Nos transporteurs ont-ils la compréhension de base d’un tel mécanisme qui à terme, je pense, devrait être appliqué ? LIDER devrait en discuter.

    Je m’inscris par ailleurs en porte-à-faux face à l’assertion selon laquelle le rôle de la Police n’est pas de contrôler les papiers. Mais, que comprend LIDER quand ils disent « sécuriser les populations » ? Bien sûr que la Police doit de temps à autres s’assurer que les véhicules qui transportent les POPULATIONS sont viables et en bon état/en règle/sans surchage/sans chauffeurs ivres ou sans permis etc… pour ne pas mettre la vie de ces populations en danger. Bien sûr que la Police doit jouer ce rôle qui fait partie aussi de la sécurisation de cette population. Ceci posé, nous ne disons pas que cela doit se faire de manière intempestive à chaque carrefour ou « glôglô » comme on le dit au quartier.

  2. J’ai été rempli d’effroi quand il y a plusieurs mois, nos responsables sont passé se gargariser des recettes du péage de l »autoroute du Nord, pour une exploitation rapportant en 1 an 2 milliards de CFA. A ce compte, il vaut mieux supprimer ce péage qui ne constituerait donc qu’un tracasserie routière supplémentaire. Parce qu’à 2 milliards de rentabilité l’an, on se demande bien quand les sommes empruntées aux bailleurs seront enfin remboursées…

    Non mais, de qui se fout-on, là ? Il suffit juste de voir la fréquentation de l’autoroute, et savoir le montant payé par véhicule en une seule journée (on n’y coupe pas, y’a pas moyen de gagner l’intérieur du pays sans passer à la caisse), pour comprendre que quelqu’un, ou quelques uns, sont en train de siphonner l’économie du pays sur le modèle des criquets pèlerins. Quand je serai grand, moi aussi je ferai de la politique, y’a pas de meilleur raccourci pour s’enrichir à milliards.

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