19 septembre 2002: Il y a 9 ans, la rébellion endeuillait la Côte d’Ivoire

Comment la date a été choisie. Le témoignage d’un acteur clé. Des vérités jamais dites…

Source: Le Nouveau Courrier

19 septembre 2002 – 19 septembre 2011: Sur les traces de la rébellion

Il y a neuf ans, une tentative de coup d’Etat sanglant se muait en rébellion. La Côte d’Ivoire était attaquée par une cohorte d’individus venus du nord du pays. Retour sur un événement qui continue de rythmer la vie politique nationale.

Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, une énième tentative de coup d’Etat contre le pouvoir du président Laurent Gbagbo, en place seulement depuis fin octobre 2010, s’opérait en Côte d’Ivoire, pendant que ce dernier était en visite officielle en Italie. Plusieurs objectifs militaires et des résidences des pontes du régime sont attaqués simultanément à Abidjan, Bouaké et Korhogo. Devant l’échec patent du coup de force à Abidjan, les putschistes vont se replier sur Bouaké et y former un kyste qui deviendra une rébellion. Avec l’appui de l’armée française qui prétextera du rapatriement des ressortissants occidentaux dans la zone pour imposer une scission du pays. La plupart des auteurs du coup d’Etat manqué étaient en exil dans des pays limitrophes. Notamment au Burkina voisin, où le gros lot du contingent dirigé par le Sgt-chef Ibrahim Coulibaly dit IB, composé de militaires en rupture de ban et d’ex-fescistes et de fescistes dissidents, avait trouvé gîte et couvert. Sous le regard bienveillant du président burkinabé, Blaise Compaoré.

Le contingent des fessistes

Plusieurs militaires s’étaient réfugiés au Burkina, pour échapper aux hommes du Général Guéï qui les avaient accusés d’avoir attenter à sa vie, en pleine transition militaire. Lors du coup du cheval blanc, la résidence du chef de la junte avait subi une attaque. Le Général-candidat s’était alors séparé des Généraux Palenfo et Abdoulaye Coulibaly, membres du Comité national de salut public (Cnsp).

En Octobre 2000, Laurent Gbagbo, l’opposant historique accède au pouvoir. Dans le même temps, entre fin 2000 et 2001, naissait au sein de la Fesci, une dissidence conduite par un certain Doumbia Major contre Blé Goudé, Sg de la Fesci d’alors. C’était l’épisode de la «crise des machettes» sur les campus. Le camp Blé Goudé voyait derrière la dissidence de Doumbia Major, la main de l’ex Sg de la Fesci, Guillaume Soro qui, entre temps, avait déposé ses valises au Rdr d’Alassane Ouattara et avait même été le colistier d’Henriette Dagri Diabaté à Port-Bouet aux législatives de 2000 que le Rdr avait finalement boycotté.

La dissidence, du moins la «rébellion» au sein de la Fesci, n’ayant pas atteint son objectif, plusieurs des meneurs se sont enfuis hors du pays. Un groupe s’est retrouvé au Burkina et l’autre au Mali. Drigoné Faya, Salif Soumahoro, Bossenan Claver dit Clarck, Kara, Morel, Timité Ben Rassoul se sont retrouvés au Mali. Au Burkina voisin, Soro et ses amis dont Soul to Soul et Doumbia Major avaient rejoint les militaires exilés, avec à leur tête le Sgt-chef IB. C’est donc depuis Ouaga que ce qui deviendra par la suite la rébellion ivoirienne se préparait. Le Chef des Opérations, IB, avait à l’époque une grosse moto. Selon un ex-proche du «contingent de Ouaga», c’est le «chef» IB lui-même qui a fait appel à Guillaume Soro pour jouer le rôle de porte-parole et diriger en quelque sorte l’aile politique.

Guei Robert victime de son «complot»

Pendant la préparation du coup, explique A. Coulibaly, chacun des soldats avait été «affecté» au meurtre de personnalités clés du régime et de plusieurs gradés de l’armée. «Voilà comment le ministre Boga Doudou et des gradés de l’armée ont été tués. Et d’autres personnalités dont des ministres et des proches même de Gbagbo devraient être assassinés pour casser le moral des troupes», révèle-t-il. Le Général Guéï Robert était dans le coup. Il avait ses éléments dans le complot. Malheureusement, explique celui qui a été pendant longtemps dans l’entourage des cerveaux du 19 septembre 2002, les propres éléments du Général Guéï avaient été retournés contre lui, sans qu’il ne s’en rende compte. Selon le plan arrêté avec Guéï, le pouvoir devrait lui être profitable pour la seconde fois. Alors qu’IB et ses hommes avaient planifié son assassinat pendant l’opération. Ainsi, c’est le sergent-chef qui devrait être amené à faire la déclaration de prise du pouvoir devant profiter, après coup, au commanditaire du coup de force.

Le coup d’état précipité au 19 septembre

La date du 19 septembre est choisie à la dernière minute. Le «contingent» de Ouaga est à Abidjan depuis quelques jours. Les hommes de Guéï sont aussi sur le terrain. L’opération est lancée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, sans que tout ne soit véritablement peaufiné. Le coup de force est un fiasco, malgré les assassinats de plusieurs dignitaires civils et militaires du régime. Et débouche sur l’assassinat du Général Guéï qui est en réalité un des acteurs clé de l’opération.

«Mais, les autorités ne savaient pas que c’était un putsch dans un autre. Parce qu’il faut savoir que la rébellion n’était pas encore prête à faire son coup d’Etat. Guéï a avancé cette date et les autres l’ont soutenu. Tout a donc échoué. Ils ont fait un repli sur Bouaké où ils installeront leur base», explique A. Coulibaly. Pendant ce temps, IB avait installé sa base à Korhogo, à l’hôtel «Le Mont Korhogo». La rébellion est ainsi née de l’échec du coup d’Etat. Cela a été possible parce que les combattants assaillants avaient été prédisposés à Bouaké et Korhogo pour les attaques simultanées des villes d’Abidjan, Bouaké et Korhogo.

Clash Soro-IB une histoire de maraboutage

Le Sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB a perdu petit à petit l’estime de ses camarades qui lui reprochait de vouloir profiter de la «mission» pour assouvir ses ambitions. «Quand on partait voir les marabouts, IB en tant chef était chargé de conduire les choses. Mais à chaque fois qu’on partait voir un marabout, ce dernier préférait le nom de Soro à celui d’IB pour les préparations mystiques, parce qu’on choisissait forcément le nom de quelqu’un pour faire les incantations. Ils disaient tous (les marabouts, ndlr) que le nom de Soro est favorable parce que son âme est faite pour diriger. Et qu’avec lui, on pouvait réussir telle ou telle autre mission», révèle Coulibaly. Dans le langage supranaturel, bien qu’il soit le chef reconnu, le nom d’IB n’est pas «mystiquement favorable», contrairement à celui de Soro.

Ce qui va faire prendre confiance à Soro qui va, dès lors, malicieusement préparer un putsch contre IB. «Soro a compris qu’il peut diriger la rébellion comme le prédisaient les astres. Il a commencé à se rendre indispensable, agissant en vrai leader du mouvement. Pendant ce temps, IB multipliait les erreurs depuis le camp de retranchement de Ouaga, en ne nommant que ses frères Kôyaka autour de lui», témoigne notre source au coeur de la rébellion.

Comment Soro récupère la machine

Guillaume Soro, alias Dr Koumalo, va surfer sur le «tribalisme» d’IB pour le fragiliser et récupérer le mouvement. Il attire l’attention des autres acteurs du mouvement sur les choix du sergent-chef IB qui se résument aux gens de sa «région». Et avec la bénédiction du destinataire de la lutte, qui tirait subtilement les ficelles, IB est fragilisé au sein de la rébellion, au profit du Dr Koumalo (Guillaume Soro, ndlr).

Le talon d’Achille d’IB, note A.C, c’est qu’il avait l’habitude de se tenir à distance du théâtre des opérations. Un coup est donc monté pour arrêter le sergentchef, afin de l’éloigner durablement, voire définitivement, du commandement de la rébellion. Avec la bénédiction du tuteur, Blaise Compaoré et de la France. Ce qui propulse Soro à la tête de la rébellion. Sur le terrain, tout était mis en oeuvre pour refroidir les hommes clés d’IB. Notamment, Adams son jeune frère qui régnait à Korhogo et Youl, chef rebelle de Pôgô, Koffi, etc. Angaman Messou a dû fuir pour se réfugier au Burkina. Plusieurs des hommes du sergent-chef encore présents dans la capitale malienne trouvent refuge en France.

Notamment, Doumbia Major, Drigoné, Soumahoro… Avec la mise en quarantaine du Sergent-chef, Soro a la main libre et s’impose à la tête de la rébellion qu’il dirige de mains de maître. Il place ses hommes clés au sein de l’appareil des Forces nouvelles.

Le renversement manqué de Soro

Le Sergent-chef IB prend conscience qu’il a été trahi par son jeune frère Soro. Il a été dupé et n’a plus d’emprise sur le mouvement qui a pourtant acquis de la notoriété sur le plan international. IB dont l’objectif demeure le renversement du président Gbagbo va tenter désespérément deux coups d’Etat dans le sud, révèle notre interlocuteur. Ses hommes lui conseillent alors de tenter par la force de reprendre «sa» rébellion, étant donné que le gros lot de ses troupes est dans le nord. Et de descendre ensuite vers le sud pour parachever le renversement du régime Gbagbo.

A un moment donné, vu l’impasse, IB, avec l’aide des services secrets français, projette de renverser Soro. Les grandes oreilles françaises lui auraient même conseillé de créer un parti politique depuis son exil au Bénin. Il tente un coup de force contre le chef de l’aile politique de la rébellion. En organisant la prise de Bouaké. Mais les services secrets français avaient déjà, et paradoxalement, informé Soro du coup qui se préparait contre lui. Avec l’aide d’un des « frères d’IB » qui se prénomme Ahmed, Soro infiltre l’opération. Il est alors programmé l’élimination des hommes d’IB encore en position de force dans le dispositif de la rébellion. Notamment Kass qui était le seul à détenir les armes lourdes de la rébellion. Il contrôlait l’aéroport de Bouaké et constituait véritablement un os dans la gorge de Soro, explique Coulibaly. «Kass était vraiment puissant. Quand il n’est pas content, personne ne voyage. Puisqu’il y avait un hélico à la disposition de la rébellion.

Soro monte les dozos contre Kass et IB

«Pendant ce temps, on fait croire aux hommes de Kass que le président Gbagbo a donné 192 milliards de Fcfa à IB et Kass pour déstabiliser la rébellion. Les hommes de Kass se retournent contre leur chef qui n’avait que ses fidèles à ses côtés. IB avait également recruté les dozos qui se retourneront finalement contre lui, puisque sénoufo pour la plupart, ethnie de Guillaume Soro», explique-t-il. Le vieux Bamba, chef des dozos, poursuit Coulibaly, fait appel à Kass qui contrôlait toujours Bouaké, pour lui faire croire qu’il menait un bon combat, à savoir redonner la rébellion à son «propriétaire délégué », le sergent-chef IB. «Kass répond à l’invitation du chef dozo qui veut lui procurer d’autres pouvoirs mystiques. Dépouillé de ses amulettes pour une énième préparation mystique, Kass est capturé et remis aux hommes de Soro. Voilà comment ils l’ont tué. Ils ont enlevé son coeur et cassé son crâne», révèle-t-il. Voilà comment la tentative de renversement de Soro a échoué, malgré la prise de Bouaké par Kass, l’homme de main d’IB.

Il disait toujours aux gens que si quelqu’un s’amuse avec lui, il met tout Bouaké en feu et Gbagbo va venir les prendre eux tous, révèle l’ex-proche d’IB. Ahmed, le «frère d’IB», fait croire à Kass que son grand frère avait donné le ok pour l’opération devant aboutir au renversement de Soro. Il lui a fait croire qu’un renfort important viendrait du nord pour l’épauler. «Effectivement, le renfort était déjà à Korhogo, mais dans le même temps Wattao et Chérif Ousmane avaient été chargés de neutraliser tout renfort. Kass était donc isolé à Bouaké, mais il ne le savait pas», souffle-t-il. Selon le témoignage de Coulibaly, Kass réussit à contrôler Bouaké, en éliminant le Chef Mobio et en neutralisant Loss et ses hommes.

La naissance du commando invisible

Après l’élimination de plusieurs de ses hommes au sein du dispositif de la rébellion, IB fait profil bas et connait même un passage à vide avec ses démêlées avec la justice française avant de réapparaître officiellement en Côte d’Ivoire avec le Commando invisible. Un commando constitué en grande partie de ses éléments qui avaient trouvé refuge dans les pays limitrophes. Il est épaulé par un Malien se faisant appelé «Colonel», basé actuellement au camp commando d’Abobo et un Burkinabé connu sous le nom de «Hamed le libérien», qui aujourd’hui encore, avec ses hommes, le centre émetteur d’Abobo.

C’est ensemble, précise notre source, qu’ils ont monté le commando invisible dans lequel figuraient des mercenaires maliens et burkinabé. Le «contingent» burkinabé occupait, selon les informations en notre possession, un bâtiment où était stocké l’essentiel de l’armement à Angré extension, à la lisière d’Abobo-Baoulé. Ils commencent ainsi la guérilla à Abidjan, réussissant à couper Abobo du reste de la ville, où IB recrutait en
masse les jeunes mécaniciens et braqueurs. Guillaume Soro, connaissant bien IB et son ambition «démesurée», n’a jamais cessé de suivre les faits et gestes de son ex-compagnon désormais à la tête du Commando invisible. Une fois l’objectif principal atteint, à savoir le renversement de Laurent Gbagbo, les hommes de Soro se sont «occupés» du cas IB. Raison officielle de l’assassinat du sergent-chef, autoproclamé Général IB, selon
le pouvoir Ouattara, c’est qu’il s’apprêtait à faire un coup d’Etat. Avec la mort d’IB, la guéguerre entre Soro et ce dernier a pris définitivement fin. Du moins, entre les deux hommes.

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