Dernier round à la Haye

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J’ai trouvé cette photo de Fatou Bensouda, toute fringante, toute belle, probablement lors de son installation de procureur général à la CPI. Elle n’avait manifestement pas encore été confrontée à l’écrasante responsabilité de la prise en charge du « Dossier Gbagbo », un dossier empoisonné, laissé par son prédécesseur Ocampo, lequel ne cachait pas sa sympathie pour Soro Guillaume : certaines photos le rappelaient bien, ainsi que le texte des félicitations adressées au nouveau président de l’Assemblée nationale, que Soro, très honoré, s’était empressé de publier sur sa page Facebook.

Il m’est difficile d’admettre que cette Gambienne, prise entre deux feux, relaie uniquement la voix de ses maîtres européens de la Françafrique, et se ferme à la réalité de cette Afrique enchaînée, toujours impuissante à se dégager du joug des esclavagistes du 21ème siècle, à visage et à langage “humain”, et se soit laissé piéger de la sorte lors de ces séances de confirmation des charges contre le Président Laurent Gbagbo. Dans le rapport appelé DCC (document contenant les charges), pas une fois n’est mentionnée l’expression « recomptage des voix », alors que tous les articles publiés par la défense, les amis du président, et le président Gbagbo lui-même, n’ont cessé dès l’origine de la crise de le demander. Le Président lui-même, lorsqu’il a pris la parole le 5 décembre 2011 devant la CPI, a dit : J’ai été arrêté le 11 avril 2011 sous les bombes françaises, moi le Président de la République. La résidence du Président de la République a été bombardée du 31 mars au 11 avril. »

« Moi, le président de la république » : autrement dit, « il va falloir que vous démontriez que je ne le suis plus. C’est ma parole contre la vôtre, ma vérité et mon sens de l’honneur contre vos allégations mensongères et vos bombes meurtrières ».

Le président Sarkozy, dans son discours de Dakar, avait reproché aux Africains de ne pas être “assez” entrés dans l’histoire. Or, au vu de ce qui se passe en ce moment à la CPI, on a la nette impression que ce sont le procureur, les protagonistes de l’accusation et leurs commanditaires françafricains et onusiens qui sont en train de sortir de l’histoire, tellement ils sont confondus par la voix de la défense, qui, méthodiquement, réduit à néant leur argumentation. Tout dans le dossier des charges n’est qu’à peu près : aucune enquête sérieuse, témoins peu fiables, témoignages tronqués, résumés partiels et orientés; les images de torture imputables à l’armée régulière ont été manipulées; on est allé jusqu’à nous resservir les photos kényanes de 2008, ces mêmes photos que la député RDR et secrétaire générale de l’Assemblée nationale ivoirienne, Mme Mah Sogona Bamba, avait déjà agitées devant les caméras de France 24 pour accuser le camp Gbagbo, avant de devoir se rétracter – du bout des lèvres –, une fois démasquée par l’auteur des photos lui-même!

Avant le début du procès, lors de la lecture du DCC, beaucoup d’Ivoiriens avaient déjà mis en lumière les failles, les mensonges, les omissions de l’accusation : aucun mot sur le massacre de Duékoué et sa répétition de Nahibly – pour ne citer que ces deux-là –, la marche vers la télévision, marche “pacifique” des « moutons » ouattariens, alors que circulaient des vidéos où nous voyions des hommes armés de RPG encadrer les manifestants… Comment est-il possible que l’équipe du procureur se soit laissé convaincre que le dossier de la défense ne pèserait pas lourd, face aux charges “en béton” de l’accusation ? Il est vrai que cette “Cour Pénale Internationale”, qui ne juge que des Africains, se croyait jusque-là invulnérable : n’est-elle pas soutenue et stipendiée par la «communauté internationale », ce monstre imaginaire qui a pris fait et cause pour le remplacement manu militari du Président Gbagbo par Le Docteur en économie de service. Ce dernier, dès son adolescence a été formaté : boursier et carriériste du FMI, pion manipulable à souhait, encadré par des lobbies financiers et occultes, l’homme a été sélectionné, puis, de promotion en promotion, propulsé jusqu’au sommet dans les boudoirs feutrés de la Finance, là où il n’avait aucune chance d’acquérir la moindre expérience en politique et en relations humaines ; ses seuls atouts : sa réaction positive à la flatterie, sa vénalité, la violence de ses ripostes contre quiconque s’oppose à la volonté de ses patrons. Avec à ses côtés depuis longtemps, l’élément féminin de la douceur, en la personne de l’épouse à l’éternel sourire : cette vamp blonde ayant gravi, à force d’astuce, tous les échelons de la réussite, aujourd’hui métamorphosée devant les caméras en dame patronnesse. Elle qui, en retard de deux siècles, se contente de parler vaccins, cartables, galas de bienfaisance, inaugurations de piscines, nouveau centres de dialyse pour africains fortunés, et va d’école en école vendre aux jeunes filles son boniment d’un autre âge : « travaillez bien à l’école, si vous voulez me ressembler et réussir ! »

L’argumentation de la défense est écrasante : au delà de cette humiliation publique, encore aggravée par la publication du nouveau rapport d’Amnesty International, accablant pour Ouattara et ses chefs de guerre, je n’arrive pas à comprendre la tactique de madame le Procureur. Pourquoi disparaît-elle le lendemain du début des audiences ? Pourquoi la retrouvons-nous en Italie pour présenter la CPI et ses objectifs dans une conférence à l’université de Trente le 26 février ? «The Court’s Achievements, Challenges and Prospects for the Future» Quelle ironie dans le sujet abordé : vanter les succès d’une cour dont elle ne suit même pas les travaux !

Concrètement, j’aurais envie de dire que les audiences de cette Cour me font penser à un procès de Nuremberg à l’envers : l’accusé n’est pas ce monstre nazi que l’on veut bien nous présenter; les avocats chargés de l’enfoncer déploient une tactique totalement inconsistante, et c’est à la défense qu’il revient en ce moment de mettre KO les vrais monstres nazis, tapis dans les coulisses, mais absents de la Haye. La tactique de l’accusation ne consiste pas à produire des témoins susceptibles d’émouvoir le public et les juges, de susciter la sympathie à l’égard des victimes rdr et affiliées et la répulsion à l’égard du prévenu, comme lors du procès de Nuremberg : cette tactique-là est hors de sa portée, les témoins en question n’existant pas. Le résultat, c’est que l’on on se croirait plutôt, à chaque moment du réquisitoire, devant une cour martiale militaire du temps des nazis, où retentirait dans toute son actualité la parole du ministre de la propagande Joseph Goebbels après l’incendie du Reichstag en 1933 : « Plus le mensonge est gros, plus il passe. Plus souvent il est répété, plus le peuple le croit … »

C’est dans cet état d’esprit que Fatou Bensouda, se reposant sur l’épaisseur du dossier en béton armé de mensonges et d’omissions monté par Ocampo et ses mentors, a cru pouvoir se préparer à la légère pour ces auditions, pensant qu’il suffisait d’inonder la défense de documents pour celle-ci en soit submergée, et se perde, noyée dans les détails. Fatou Bensouda, qui visiblement n’aime pas se plonger dans l’historique des faits dans leurs menus détails, n’a pas pensé qu’en face, des juristes blancs épris de justice prendraient à cœur l’injustice faite au Président constitutionnellement investi de la Côte d’Ivoire, un noir, alors qu’elle, une Gambienne, même si elle s’habille encore quelquefois à l’africaine, si elle tresse encore ses cheveux, a mis de côté son identité et son devoir de s’investir pour la libération définitive de tant peuples soi-disant « indépendants », mais en vérité plus que jamais assujettis à l’Occident, comme les mamelles d’une mère épuisée à l’appétit d’un glouton insatiable… Cet Occident qui ne peut plus compter sur les mamelles desséchées de ses propres ressources pour nourrir ses sujets en faillite, même s’ils l’ignorent encore…

Quand maître Altit a été nommé, j’ai été surprise que le président Gbagbo n’ait pas choisi une équipe de juristes africains. Mais en y regardant de plus près, je suis heureuse aujourd’hui, parce que l’étendard du droit a rarement été levé aussi haut. C’est dans le camp adverse, animé et présidé par une africaine, que l’on s’est figé dans une posture purement politicienne, la recherche de la vérité s’effaçant devant la routine de la raison du plus fort. Oh, comme je comprends maintenant cette phrase attribuée à Valéry Giscard d’Estaing en 1970 : « la France n’a pas de pétrole mais elle a des idées ». Les idées n’étaient pas celles d’un cerveau scientifique en ébullition capable de concocter des solutions en France, sur le terrain, mais celles de l’esclavagiste colon qui n’en finit pas d’exploiter hors de chez lui un filon qui ne lui appartient pas, et ne lui a jamais appartenu. Condamnée à refouler ses sentiments, Fatou Bensouda, l’africaine, calée du bon côté du pré carré, joue comme Ouattara au “gentil caniche à son maîmaître”. Mais pour chacune de ses promotions sur fond de désertion, la petite africaine soumise devra un jour rendre des comptes; elle n’a pas encore réalisé son retard de quelques décennies : entre temps, des hommes se sont levés; et s’ils n’ont pas eu le temps de s’affirmer, c’est que la France s’est dépêchée de les occire… Maître Altit n’a-t-il pas rappelé dans son discours inaugural qu’« en cinquante ans, la France est intervenue militairement une quarantaine de fois en Afrique » ?

Paradoxalement, Nicolas Sarkozy a eu raison d’affirmer que l’Afrique n’était pas entrée dans l’histoire; encore lui aurait-il fallu préciser qu’il s’agissait de l’Afrique à son image et à sa botte : celle de l’africaine Bensouda et de tous ceux de ses collègues noirs qui se contentent de faire allégeance. En face, nous trouvons maître Altit – qui avait déjà été le défenseur du franco israélien Guilad Shalit, détenu cinq ans par le Hamas à Gaza, partageant alors avec Michel Gbagbo “l’honneur” de n’être jamais nommé dans la liste des Français emprisonnés à l’étranger –. Maître Altit et son équipe de choc, le professeur de droit international, l’Israélien Dov Jacobs, et les deux brillantes avocates Mesdames Naouri et Ivanovic. Je suis impressionnée par la qualité de leurs interventions, leur connaissance de la situation, leur connaissance du terrain, l’impeccable rigueur de leurs démonstrations, leur profond respect du droit, de la Constitution, et du Président Gbagbo, toujours évoqué avec son titre.

Oui, paradoxalement, dans leur défense du président Gbagbo, ces juristes, blancs pour la plupart, sont plus africains que l’Africaine de service dans son rôle de Procureur, parce qu’ils représentent ce « temps qui est l’autre nom de D.ieu », le temps de la justice, de la vérité, de l’apurement des comptes, du jugement. Ils sont blancs, mais leur cœur est droit, il est ivoirien, de cette Côte d’Ivoire qui veut vivre libre, en paix, en harmonie, cette Côte d’Ivoire dont rêvait le martyr Philippe Rémond.

En face, il y a un discours clean, aseptisé, caricatural à force d’être à charge -« Haro sur le baudet Gbagbo »-, mais faisant l’impasse totale sur la véracité des faits, en bradant la vérité. Au lieu de donner la priorité à la recherche du droit et de la justice, la démarche du procureur s’inscrit dans une logique directement inspirée du nazisme : celle de la soumission servile à la force et aux intérêts très particuliers du Reich occidental, mortellement allergique au dévoilement de la vérité.

« Plus jamais çà !», criaient les foules au sortir des ténèbres de l’époque nazie. De ce cri, nous allons entendre l’actualisation à la Haye : si la défense arrive à déstabiliser et à convaincre les juges, – désignés par les états européens aux poches percées –, de libérer le président Gbagbo, alors, oui, quelque chose se sera mis en marche, un avant-goût du Royaume qui vient.

Sinon, alors il reviendra aux Ivoiriens, escortés de la foule de leurs compagnons de cœur, Africains ou non, de mettre le pied dans l’eau pour que se fende la mer, ouvrant le chemin de leur terre promise, cette Éburnie de leurs vœux, de leurs prières, et des nôtres.

Shlomit Abel, 27 février 2013

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