Côte d’Ivoire – Adresse du Président Gbagbo à l’occasion de la fête de l’Indépendance

Ivoiriens, Ivoiriennes, peuples de CÔTE D’IVOIRE, très chers compatriotes, très chers habitants de la CÔTE D’IVOIRE.

Je voudrais, en ce jour solennel qui marque le 51ème anniversaire de J’Indépendance de notre pays, me joindre à chacun de vous pour rendre d’abord gloire à Dieu, notre Maître qui continue de manifester sa fidélité à noble pays, malgré les tribulations de ces derniers moments.

Ensuite, chaque anniversaire étant une occasion à la fois de faire le bilan et de dégager les perspectives, je voudrais me permette de partager avec vous quelques réflexions sur le sens profond de la journée de ce 7 août.

Cette réflexion est un exercice de prospection de nous-mêmes qui s’impose à chaque citoyen de ce pays, mais surtout aux dirigeants, et aux responsables politiques et administratifs qui ont la charge de conduire le destin de notre nation, surtout dans le contexte actuel de grands traumatismes causés à notre peuple, qui n’aspire qu’à vivre sa souveraineté en tant qu’acteur et sujet de l’humanité, et non pas comme simple objet ou simple spectateur de la construction de sa propre histoire.

L’Indépendance est une notion forte, qui renvoie à un mouvement de rupture. La rupture ici ne s’entend point d’un isolement ou d’un repli sur soi, position idéale des faibles, mais elle correspond plutôt à une métamorphose de la conscience, qui fait passer celui qui s’en prévaut, de la servitude à sa pleine responsabilisation dans le processus de construction de l’humanité.

Je continue de croire que notre monde tire sa liberté et son dynamisme de la liberté de chacune de ses composantes. Cette conviction est restée la boussole de toute mon action politique, elle ne m’a jamais quitté. C’est pourquoi, dans mes fonctions de Chef d’Etat et de Président de la République, je me suis efforcé malgré l’adversité, de donner corps à cette notion qui semblait devenir évasive et insaisissable pour nos compatriotes.

Je mesure mieux de ma position, les grandes souffrances, mais en même temps le grand mérite de tous ces hommes qui, à travers l’Histoire, ont combattu pour la Liberté et l’Indépendance de leur peuple. Je pense notamment à Martin LUTHER KING, dont l’engagement politique jusqu’à la mort a permis, plus de quarante ans après, l’élection de Barack OBAMA comme Président des ETATS-UNIS d’Amérique; à GHANDI, dont l’ œuvre continue de nourrir l’âme de la grande INDE; au Général de GAULLE qui a refusé la fatalité de la défaite pour restaurer la grandeur perdue de la France; à Mao TSE TOUNG, qui a rompu les liens de la servitude au prix d’énormes sacrifices pour donner à la CHINE sa gloire d’aujourd’hui.

Je loue le courage de MANDELA, de Kwame NKRUMAH, de Patrice LUMUMBA et de tous les autres dignes combattants de l’Afrique, qui sont des exemples de don de soi pour la liberté et la fierté du peuple africain. Je salue plus particulièrement la mémoire de nos illustres pères qui ont combattu pour dessiner les contours de ce que nous appelons Indépendance. Leur mérite est tout à fait grand dans le contexte qui était le leur.

Mais nous devons avoir à l’esprit que leur combat serait vain si nous nous arrêtions à admirer seulement leurs acquis. Les symboles de l’Etat et les armoiries de la République nous rappellent chaque jour notre devoir et notre responsabilité devant notre propre destin. Chacun est appelé à leur donner un sens réel. C’est le combat permanent qui doit mobiliser toutes les énergies des filles et fils de notre pays.

En ce qui me concerne, je continue de refuser la position de la monture dans laquelle l’on veut absolument maintenir le peuple africain. En effet, je reste persuadé que dans le rapport dialectique du cavalier et de la monture, quelles que soient la qualité et la quantité du foin que le cavalier donne à la monture, la position de celui-là (le cavalier) reste largement confortable par rapport à la position de celle-ci (la monture).

Dans un monde de compétition, il est illusoire de croire qu’un peuple peut assurer le bonheur parfait d’un autre peuple; l’Histoire ne donne aucun exemple de ce type. C’est pourquoi, dès ma prise de fonction en tant que Chef d’Etat, j’ai inscrit mes engagements politiques, économiques et sociaux, dans le sens de l’affirmation de notre souveraineté, qui constitue à mes yeux le préalable à tout épanouissement.

Sur le plan politique, le respect de la Constitution, symbole du contrat social qui fonde notre Nation, est une exigence absolue qui ne peut s’accommoder de compromis possibles. Je reste persuadé que si nous tous, nous avions donné à notre Constitution le caractère sacré qui est le sien, la crise ivoirienne aurait connu un meilleur dénouement dans de plus brefs délais. La Constitution reste le gage de notre souveraineté nationale. Elle mérite une mobilisation sans faille autour d’elle.

Je voudrais à ce niveau de mes propos, rendre hommage à tous nos valeureux combattants de la liberté, dont certains ont perdu la vie pour la défense de notre Constitution. Je pense particulièrement à nos braves soldats des Forces de Défense et de Sécurité (FDS), toutes unités confondues.

Depuis 2002, ils se sont opposés avec héroïsme, dans des conditions souvent très difficiles, à la vassalisation de notre peuple. À chaque fois qu’ils étaient proches de l’emporter, ils en ont été empêchés par la FRANCE. Ça a été le cas en novembre 2004 et en mars 2011, lorsqu’au prix de mille sacrifices, les FDS avaient pris le dessus sur l’ennemi dans la bataille décisive de la ville d’Abidjan. Elles n’ont donc pas perdu la guerre contre l’ennemi officiellement déclaré. Je leur réitère ma grande fierté et je leur demande donc de ne point cultiver un quelconque complexe d’une armée vaincue.

Je joins à ces hommages tous ces milliers de jeunes, de femmes et d’hommes, martyrs de notre jeune Histoire, qui au prix de leur vie, ont su matérialiser notre volonté d’assumer notre destin commun en tant que peuple libre, car souverain.
Je loue le courage et la bravoure du Premier Ministre, le Professeur Aké Gilbert-Marie N’GBO, Professeur émérite d’économie, par ailleurs Président de l’Université d’Abidjan¬-Cocody, et de l’ensemble des membres de son Gouvernement qui sont soit en prison, soit en exil, pour avoir choisi le camp de la liberté et de la dignité africaines.

J’associe à ces hommages également tous ces grands fonctionnaires de l’Etat qui ont tout perdu et qui vivent dans le dénuement total pour n’avoir rempli que leurs devoirs. Je garde une profonde pensée pour tous ces anonymes exilés, emprisonnés ou vivant dans la peur à cause de leur foi en la grandeur de notre pays et de l’Afrique. L’Histoire leur restituera leur gloire.

Je remercie également ces innombrables Africains vivant en Afrique et ailleurs qui portent chaque jour notre combat qui est surtout le leur, partout où le besoin se fait sentir. Je les rassure de toute mon amitié. Enfin, à tous ceux des autres peuples qui croient au destin de notre continent et qui se sont engagés à nos côtés, je leur témoigne ma profonde gratitude.

Je demande la libération de tous les prisonniers politiques, car il m’appartient à moi, et à moi seul, de rendre compte au peuple souverain de CÔTE D’IVOIRE du mandat qu’il a bien voulu me confier depuis octobre 2000.

Toujours sur le plan politique, le respect de nos Institutions me paraît être un autre aspect tout aussi important de l’exercice de notre souveraineté. C’est pourquoi nous avons négocié avec les Autorités françaises la rupture des Accords de défense qui nous liaient à l’ancienne puissance coloniale. La crise que connaît notre pays nous aura appris que dans ce monde à compétition ouverte du fait de la mondialisation, les conflits d’intérêts peuvent naître entre les nations, même les plus amies. Dans ces conditions, il vaut mieux se donner une marge de manœuvre dans l’exercice de son droit de défense.

Or, ces Accords de défense, dans leur rédaction ancienne, confiaient la défense de notre souveraineté nationale de façon exclusive et entière à une puissance étrangère. Ils limitaient notre liberté d’action. Dans la même logique, la fermeture de la base militaire française du 43ème BIMA est une exigence en adéquation avec la profonde aspiration de notre peuple. L’intervention militaire française violente dans la crise électorale ivoirienne me conforte dans mes choix. Le massacre de nos compatriotes, civils pour la plupart, et surtout jeunes, par l’armée française, nous amène à nous interroger sur le sens de l’Indépendance de notre peuple.

En l’espace de six ans (2004-2011), l’armée française a tiré et tué des citoyens ivoiriens qui ne revendiquaient rien d’autre que leur droit à la liberté. C’est le plus grand traumatisme de ma vie. Mais en même temps, ces deux massacres affermissent ma conviction que le combat pour la souveraineté demeure une question existentielle pour notre peuple. Je ne me lasserai jamais de le mener. Pour cette cause, aucune humiliation ne sera de trop pour moi. J’entends mener ce combat en faisant corps avec mon peuple, avec le concours de tous les combattants de la liberté du monde entier sur la terre de nos ancêtres.

Sur le plan économique, j’ai inscrit mon action dans la logique de l’affirmation de notre souveraineté. En effet, de 2001 à 2011, la CÔTE D’IVOIRE a vécu sur fonds propres en dépit de la division du territoire en deux. Nous avons pu assurer toutes nos obligations en tant qu’Etat à l’intérieur, et tous nos engagements à l’extérieur. Dans la même logique, malgré les difficultés dans la mise en œuvre de la réforme du secteur café-cacao, le transfert de sa gestion aux paysans témoigne également de notre volonté d’affranchir les bases de notre économie de toute aliénation.

Les notions de budget sécurisé et autres, loin d’être de simples diversions thématiques, traduisent ma pensée profonde selon laquelle nous devons compter d’abord sur nous-mêmes pour assurer notre développement. Et la CÔTE D’IVOIRE en a les moyens. Je rappelle que pour le seul exercice budgétaire 2010, malgré une fin d’année tumultueuse, les services des Impôts, des Douanes et du Trésor ont mobilisé plus de 2 200 milliards de nos francs.

Qu’il me soit permis de saluer ici, tous les fonctionnaires et agents de l’Etat de ces grandes administrations qui ont su traduire dans les faits dix ans durant notre volonté de souveraineté. Pour l’année 2011, ces services s’étaient engagés à mobiliser près de 2500 milliards de francs CFA. Malheureusement, le poids de la dette, notamment extérieure, limite la portée de nos performances. L’impact social n’a pas été la hauteur de cette performance du fait du poids de la dette.
C’est pourquoi, dès ma prise de fonction, j’ai élevé cette question au rang de priorité nationale. Le poids de la dette nous rend servile. Notre Indépendance passe aussi par notre affranchissement des chaînes de cette dette. C’est à juste raison que malgré les difficultés de tous ordres, nous avons continué de la rembourser.
Le point de décision de l’Initiative PPTE atteint en 2009, malgré la situation de crise, traduit la reconnaissance de nos efforts par la Communauté financière internationale. Nous devons tous avoir à l’esprit qu’aucun pays ne peut se développer avec l’effort exclusif des contribuables d’un autre pays. De même, un pays qui combat dans un autre pays, combat d’abord et avant tout pour les intérêts économiques de son peuple. C’est à la fois utopique et dangereux de croire et de soutenir le contraire. La CÔTE D’IVOIRE a les moyens de vivre sans endettement excessif, pourvu qu’elle ait la pleine et libre administration de ses richesses. Je reste convaincu que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes victimes des attaques que nous subissons.

Sur le plan social, notre détermination à préserver la souveraineté de notre peuple, a fait naître en chacun de nos concitoyens l’énergie nécessaire qui mobilise autour de la Nation. Malgré les anathèmes jetés sur notre jeunesse en galvaudant les grandes valeurs du patriotisme qu’elle incarne, nous avons enregistré des progrès sérieux sur la prise de conscience de notre destin commun. De ce point de vue, notre pays est devenu porteur d’une nouvelle espérance pour toute l’Afrique combattante. Toutes les grandes nations se nourrissent de leur patriotisme. La CÔTE D’IVOIRE qui ambitionne de devenir une grande nation ne peut rougir du sien.

Mes chers compatriotes, de mon lieu de détention, je continue de garder la foi en notre combat. Comme dans tous les combats, il y a des batailles perdues. Mais l’essentiel reste la finalité qui correspond à l’objectif du départ. Qu’une bataille perdue, ne nous détourne pas de notre objectif final qui est l’affirmation de notre existence en tant que communauté de destins libre et souveraine.
L’Indépendance que nous célébrons aujourd’hui exige de nous d’énormes sacrifices. Sur l’humus des corps de combattants tombés pour la liberté, germent toujours les grains de l’espérance des générations à venir. C’est la chaîne de solidarité des générations qui se perpétue jusqu’à la fin des temps. La génération qui se dérobe à ses devoirs de solidarité reste définitivement débitrice de celles qui la suivent, pour ne pas dire de l’humanité toute entière.

Les grandes puissances qui nous en imposent aujourd’hui sont passées par ces épreuves. Leurs générations actuelles jouissent des dividendes de luttes menées par leurs ancêtres. C’est une vieille loi de la nature à laquelle nous devons nous soumettre pour acquérir au bout du compte, notre pleine souveraineté. Demeurons toujours mobilisés et confiants. Car, jamais un peuple qui lutte pour acquérir sa liberté n’a été vaincu. C’est aussi une vérité historique.

Je n’ai jamais cessé de croire que le problème ivoirien doit se régler entre nous, Ivoiriens, avec l’appui sage de l’Afrique. Je continue de m’interroger donc, sur les motivations qui ont gouverné l’action des Autorités françaises, dans un conflit qui était en traitement au niveau africain. J’observe que la crise ivoirienne s’est fortement enlisée chaque fois que le Gouvernement français s’y est impliqué au-delà du raisonnable.

C’est pourquoi j’en appelle au débat politique inter-ivoirien sous l’égide des Africains. L’Afrique a toutes les compétences pour gérer ses propres contradictions. Elle doit s’assumer pleinement si elle veut cesser d’être le théâtre des expériences les plus inimaginables qui méprisent ses propres valeurs. C’est seulement à ce prix que nul n’osera encore contester sa contribution pourtant évidente, à la construction de l’Histoire de notre humanité.

Que Dieu vous bénisse, que Dieu bénisse la CÔTE D’IVOIRE.
Bonne fête de l’Indépendance à toutes et à tous !

Laurent GBAGBO

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