L’impossible réforme du secteur de la sécurité en Côte d’Ivoire sous Ouattara (II)

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2ème partie – Alors que les tenants du pouvoir essaient de détourner l’attention des vrais problèmes ou sont aux abonnés absents, le président de LIDER, le Pr. Mamadou Koulibaly, rend public la 2ème partie de son analyse de la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire, qui contient notamment des rappels historiques, des chiffres qui donnent le tournis, le discours que les populations auraient voulu entendre de Ouattara et les propositions courageuses de LIDER pour la réforme du secteur de la sécurité en Côte d’Ivoire.

Pr. Mamadou Koulibaly | LIDER | 15 août 2013

Entre privilèges, frustrations et indiscipline, peut-on construire une armée nouvelle, cohérente et efficace ?

Les Frci, aujourd’hui l’armée institutionnelle, compte environ 30.000 personnes pour une population dont la taille est inconnue et un pays d’approximativement 322.462 km², puisque dans la réalité nous ne connaissons même pas les frontières de la Côte d’Ivoire, même si nous enseignons tous des chiffres obtenus sans aucun cadastrage. Notre armée est pléthorique. Il nous faudrait juste 12 à 15.000 soldats pour assurer la défense du pays, pas plus. On pourrait rétorquer que cette taille proposée est aussi arbitraire. Oui, sauf que la structure actuelle du budget du ministère de la défense consacre plus de 95% des fonds à l’entretien social du personnel et de l’administration militaire. Les salaires, les baux militaires, les primes et indemnités, les cotisations retraite et autres frais de personnel ne laissent rien pour l’équipement des armées, leur entraînement et leur fonctionnement réguliers. A fin mars 2013 par exemple, sur un budget initial de 194,5 milliards de francs cfa, le ministère de la défense ne consacre que 9,7 milliards aux équipements collectifs des militaires, soit une proportion de 4,98%. En comparant ces chiffres aux 7 milliards du ministère de l’Industrie, aux 75 milliards de l’Agriculture, aux 43 milliards de la Justice, aux 200 milliards de la Santé, aux 10 milliards de la Famille et aux 126 milliards de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et en ayant à l’esprit que le ministère de la Défense et la présidence de la République sont confondus, on comprend pourquoi certains observateurs disent que nos militaires sont des privilégiés, dans une société composée majoritairement de pauvres. Notre armée est une armée qui fait du social, entretenant à grands frais des troupes qui sont parmi les 80% des actifs les mieux payés de notre pays, avec une solde de base de 120.000 francs cfa par mois pour le soldat de deuxième classe, à laquelle il faut ajouter 30.000 francs d’indemnités obligatoires, en plus de 50.000 fcfa de bail militaire.

Ainsi, avec en moyenne 200.000 francs cfa par mois, plus la sécurité de l’emploi, plus le glissement indiciaire, plus l’avancement à l’ancienneté, nos militaires se retrouvent parmi les 10% des travailleurs privilégiés ,comparés aux actifs qui sont à moins de 180.000 fcfa par an, c’est-à-dire en dessous de la ligne de pauvreté. En plus de ce budget officiel, il faut ajouter les compléments budgétaires qu’ont apporté les différents présidents de la République aux forces de défense et de sécurité (Frci, gendarmerie et police) comme contributions directes à l’entretien et aux paiements complémentaires des armées parallèles et des forces dites spéciales, qui deviennent ainsi des corps des privilégiés à l’intérieur du système militaire. On peut d’ailleurs se demander quel est le montant exact de ces financements occultes qui permettent au président de financer hors budget une partie de l’armée ?

La question qui se pose à partir de là est de savoir si le président, qui a installé son système et qui entretient à son profit le système ancien peut, et surtout veut, construire une nouvelle armée à partir de cet état des lieux ? Si la réponse est affirmative, alors cela voudrait dire qu’il faudrait réduire l’armée de moitié, donc en finir avec une armée pléthorique et en faire une armée efficace, utile, de génie, avec par exemple une infanterie bien entraînée, motivée, projetable et bien équipée. Peut-on rompre avec la logique de l’armée sociale pour en avoir une capable d’entrainement, de formation, d’appui à la police et à la gendarmerie le cas échéant, et surtout qui soit cohérente et disciplinée ?

La question de la discipline au sein de notre armée est essentielle parce que près de 80% des personnels actuels de notre armée de 30.000 hommes sont entrés dans l’armée en dehors des règles édictées par les textes de la République. La grande majorité de nos militaires le sont devenus par désobéissance, indiscipline et révolte. Une telle affirmation peut surprendre, mais regardons un peu notre histoire pour nous en convaincre. N’allons pas chercher très loin. Commençons par les années 1990, lorsque le colonel Robert Guéï devient chef d’état-major des armées (Fanci), nommé par Houphouët-Boigny alors qu’il y avait, dans cette armée, plusieurs généraux soit de corps d’armée, soit de division soit de brigade qui se retrouvaient ainsi sous les ordres d’un colonel. Cela a eu lieu alors que Ouattara était premier ministre. Cette année-là, la chaîne de commandement dans notre armée était rompue, sinon inversée. Etait-ce le début de son déclin ? La suite de l’histoire, on la connait. En 1990, nous avons la révolte de 4.000 appelés de l’armée qui refusent d’en sortir à la fin de leur service militaire. Ils y sont automatiquement incorporés par Houphouët-Boigny. En 1995, ce sont 600 appelés en fin de service qui refusent de partir et se révoltent. Ils sont maintenus dans l’armée pour y faire carrière par Bédié. En 2000, nous avons 600 appelés qui, encore une fois, se révoltent pour ne pas être radiés des effectifs de l’armée en fin de service, conformément aux règles en vigueur mais jamais respectées. Ils y sont maintenus avec une hausse de solde par le général Gueï, devenu chef d’Etat. En 2002, sous Gbagbo, l’on trouve une solution aux cas des zinzins et bahéfouè, qui sont alors 500 personnes définitivement intégrés dans l’armée. En 2003, ce sont les recrutés «haut les cœurs» qui sont environ 4.000 jeunes patriotes devenus militaires pour contrer l’avancée des rebelles du Mpci que notre armée de l’époque, vieillissante et mal équipée avait du mal à contenir. A Marcoussis, il avait été décidé de leur écartement de l’armée, ce qui n’a jamais eu lieu.

La sédimentation de tous ces militaires qui le sont devenus par révolte, par désobéissance, par indiscipline, par le contournement des règles donne un total de plus de 9.700 personnes, auxquelles il ne faut pas oublier d’ajouter 12.000 anciens Fafn qui, dans le cadre des accords de Pretoria, de Ouagadougou et de la crise postélectorale, trouvent leur place dans l’armée actuelle de notre pays. C’est donc un grand total de plus de 21.700 personnes sur une armée de 30.000 âmes, qui y sont par refus de la loi et de l’ordre, par indiscipline, par mutinerie, ce qui représente plus de 73% des militaires institutionnels du pays.

La réforme de l’armée doit donc bien admettre que la désobéissance est la première motivation du métier de militaire en Côte d’Ivoire, contrairement à l’esprit d’une armée moderne qui se fonde sur l’autorité, la hiérarchie, la discipline et le respect de la légalité. Peut-on réformer l’armée ivoirienne actuelle, fruit de cette sédimentation de mutins et d’indiscipline ? Ouattara peut-il réformer le secteur de la sécurité en ne prenant pas en compte cet aspect intangible d’indiscipline, qu’il aggrave d’ailleurs avec son penchant à encourager l’impunité et la criminalisation de l’Etat qui viennent approfondir, amplifier, systématiser, officialiser l’état déliquescent ancien ?

Au-delà de l’indiscipline, les recrutements massifs successifs posent toujours la question de la pyramide militaire. Lorsque, par exemple, Ouattara, pour satisfaire ses combattants et les Fafn, en recrute 15.000 dans l’armée, nous nous retrouvons avec une armée dans laquelle 15.000 soldats ont le même profil au départ. Ils entrent en une vague comme soldats de seconde classe, ils passeront en une vague comme première classe et seront tous en même temps caporaux, puis tous en même temps caporaux-chef, puis tous en même temps sergents, tous en même temps sous-officiers, tous en même temps officiers, puisqu’au recrutement ils ont le même profil et ont été recrutés de la même façon, par le même canal, pour les mêmes raisons et sont de surcroit de même génération. Or l’armée est une pyramide. Peut-on garder la forme pyramidale avec cette contrainte liée aux recrutements politico ethniques qui viennent de s’opérer sous nos yeux depuis le 11 avril 2011 ? Si la forme pyramidale disparaît, peut-on maintenir l’armée en tant qu’armée ? Si cette forme pyramidale doit changer, alors comment faire pour assurer l’avancement des gens de la même génération, avec le même profil et les mêmes motivations, sans créer de nouvelles frustrations qui vont accentuer et perpétuer l’indiscipline au sein de cette armée ? Dans un tel cas, comment sélectionner parmi ces soldats de deuxième classe ceux qui vont devenir des soldats de première classe, sans susciter de nouvelles frustrations et de nouvelles révoltes ; une véritable bombe à retardement, dont on anticipe déjà l’impact dans les deux décennies à venir vu l’âge moyen des troupes concernées?

Toutes ces questions pour montrer que le mode de recrutement politico ethnique introduit par Ouattara non seulement est mauvais pour le présent de notre armée, mais en plus est le ferment d’un pourrissement prévisible et de gros problèmes pour les vingt ans à venir, pour l’armée en tant qu’institution, pour les militaires en tant que citoyens et pour l’ensemble du pays en tant qu’élément d’un équilibre sous-régional en Afrique de l’ouest. L’armée Frci sera le lieu de compétition malsaine entre des gens qui ont tous les ingrédients pour se révolter tôt ou tard, comme d’habitude, dans notre pays. Ouattara, avec son ordonnance portant création des Frci couplée au jeu de l’impunité qu’il encourage depuis, a mis en place le dispositif d’un réservoir de révoltes permanentes dans la gestion des militaires, pour aujourd’hui et pour l’avenir. La preuve la plus évidente est que lui-même est obligé de reporter à plus tard, dans sept ans, des réformes qui auraient dû être faites dans l’immédiat, étant entendu qu’avec la protection que lui apportent l’Onuci et le bataillon Licorne, il n’a vraiment pas besoin des Frci et des troupes nombreuses des ex combattants. La preuve, c’est qu’il met plus de deux ans à trouver un statut à cette armée pléthorique, bureaucratique, indisciplinée, ethnique et budgétivore, mais qui a la garantie de l’emploi. La preuve, c’est que tout en affirmant sa volonté de réformer le secteur de la sécurité, il n’arrête pas de recruter dans le même temps qu’il promet de déflater les effectifs. La preuve, c’est qu’il maintient un système très inégalitaire au sein de l’armée, dans laquelle les officiers les plus éduqués et formés pour le métier se retrouvent sous les ordres de guerriers pour qui être militaires, c’est monter des rebellions et tuer des hommes. La preuve, c’est le scandale du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion (Ddr) et la constitution pour Ouattara d’une armée de réserve cachée dans les structures paramilitaires.

Le scandale du Ddr

Comme notre président aime ces derniers temps se référer aux accords de Marcoussis, il semble opportun de lui rappeler que le Ddr, contrairement à l’apatridie, nous arrive de là-bas. Le programme à l’époque s’appelait Ddrrr pour le Désarmement, la Démobilisation, le Rapatriement des mercenaires (qui, soit dit en passant, sont toujours présents et nombreux dans le mont Péko, même si leur chef Amadé Ouremi a été appelé à d’autres fonctions), la Réinstallation et la Réinsertion des combattants. Dans l’accord politique de Ouagadougou, le programme s’est appelé Pnddr, mais le fond du projet semble être le même : fusionner les Fds et les Fafn pour en sortir une nouvelle armée qui, selon l’Apo, «doit être le reflet de l’unité et de la cohésion nationales et la garantie de la stabilité des institutions républicaines (…) attachée aux valeurs d’intégrité et de moralité républicaine (…) un mécanisme spécial de restructuration et de refondation de l’armée sera adopté par ordonnance pour fixer le cadre général d’organisation, de composition et de fonctionnement des nouvelles forces et défense et de sécurité.» Les deux délégations qui ont négocié ces accords étaient conduites de part et d’autre par Désiré Tagro, conseiller spécial du président de la république de l’époque Laurent Gbagbo et Louis-André Dacoury-Tabley, secrétaire général adjoint des Forces nouvelles. La fin du processus du Ddr devait conduire tout droit aux élections et tout était prévu pour que l’accord soit réalisé et achevé en 10 mois à partir du 04 mars 2007, date de sa signature. Rien n’a été fait six ans après. Bien au contraire, les bandes armées ont refusé d’être désarmées, puis elles ont été réarmées et aujourd’hui, c’est le président Ouattara, lui-même ministre de la Défense, qui refuse le Ddr tout en dépensant des sommes colossales pour faire croire qu’il voudrait désarmer et même qu’il est en train de désarmer. Les incohérences entre le conseil national de sécurité, le ministère de la Défense et l’état-major militaire, le système de protection militaire de son régime à trois niveaux, son manque de réaction lorsque ses hommes en armes commettent des crimes et l’impunité qu’il leur accorde prouvent que le blocage du Ddr est l’œuvre pleine et entière du président de la République Alassane Dramane Ouattara et de lui seul.

La démobilisation? Elle se fait avec les armes conservées par les démobilisés, qui se convertissent pour beaucoup en coupeurs de route et en brigands de grands chemins, attaquant et pillant les villages sans que leurs anciens compagnons d’armes devenus des institutionnels n’arrivent à les stopper. La réinsertion ? Elle ne se fait pas dans les milieux civils et non fonctionnarisés. Bien au contraire, nous voyons 2.000 éléments des Fafn réinsérés dans la garde pénitentiaire, qui est un corps paramilitaire. Les faux réinsérés le sont dans un corps dans lequel ils gardent leurs armes. Nous voyons aussi 2.000 autres éléments des Fafn insérés dans le corps des douanes, qui est également un corps paramilitaire qui leur permet de conserver leurs armes. Nous voyons aussi 1.000 autres éléments des Fafn insérés dans le corps paramilitaire des gardes des eaux et forêts. Nous voyons enfin 1.500 éléments des Fafn reconvertis dans le civil avec la présomption qu’ils ont préalablement déposé toutes leurs armes. Donc, sur les 6.500 réinsérés, 5.000 restent en possession de leurs armes dans des corps militarisés. Ils ont un statut civil, mais gardent leurs armes d’anciens guerriers des Fafn. On retrouve l’armée de réserve de Ouattara au cœur de la garde des douanes et des frontières, de la garde des prisons, de la préservation des eaux et forêts. Ces hommes armés peuvent être à tout moment remobilisés pour la cause des forces répressives de Côte d’Ivoire. Ils sont maintenus par les privilèges que Ouattara leur offre et prennent en otage l’Etat. Nous retrouverons, dans ces corps paramilitaires, les mêmes phénomènes de promotion et de gestion de carrière que pour la génération recrutée au même moment avec les mêmes profils, le tout agrémenté par l’indiscipline, la désobéissance.

Pour mémoire il faut savoir que nous trainons encore les séquelles mal gérées du passé, lorsqu’en 1991, alors que Ouattara était chef du gouvernement, l’Etat s’est tiré une balle dans le pied. Une décision présidentielle institua à l’époque la limite d’âge unique à 55 ans, qui sera appliquée sans nuance, sans textes d’accompagnement et qui va précipiter la détérioration de l’outil de défense par une fonctionnarisation de fait des appelés et des engagés. La correction de cette absurdité aujourd’hui ne relève pas de la volonté des techniciens de la défense ou de l’armée, mais de celle des décideurs politiques législateurs et exécutifs. L’ennui, c’est que c’est le même Ouattara qui est en ce moment président de la République. Aura-t-il la volonté de défaire ce qui a été fait lorsqu’il était premier ministre ? Le doute est permis.

On pourrait comprendre que les gendarmes et les policiers puissent aller à 55 ans à la retraite, mais cela ne doit pas s’appliquer aux militaires, qui obéissent à d’autres contraintes d’emploi des forces, selon les réponses stratégiques et tactiques à apporter aux menaces et risques qui pèseraient sur le pays et l’adéquation des moyens qui y seraient consacrés. Mais pour cela, encore faudrait-il que l’on dispose d’un concept d’emploi des forces.

Quand, en 2001, le statut militaire est attribué aux policiers, l’Etat achève de se tirer une deuxième balle dans l’autre pied. Par démagogie et clientélisme, l’alignement des statuts des forces de défense et de sécurité crée un puissant lobby corporatiste qui interdit toutes réformes. En y rajoutant une vague de recrutement de 13.000 à 15.000 ex rebelles avides d’obtenir la sécurité de l’emploi, nous obtenons un monstre intouchable sous peine de révolte des forces armées.

Que faire alors ?

La première chose qui s’impose est de comprendre qu’il doit être mis un terme définitif aux nombreuses années d’instrumentalisation de l’armée, de la police et de la gendarmerie par les hommes politiques à des fins partisanes. Les métiers de militaire, de gendarme et de policier ne peuvent pas être des emplois justes bons pour prendre les armes. Les hommes et les femmes qui sont dans ces métiers ont certes des armes, mais ils n’ont pas pour vocation d’utiliser ces armes pour tuer leurs concitoyens non armés, les populations civiles ou de faire des coups d’état. Nous n’avons besoin ni d’une armée pléthorique, ni d’une armée bureaucratique, ni d’une armée de revanchards, de frustrés, de justiciers ethniques et encore moins d’une armée de vandales indisciplinés. Dans l’armée, les gens doivent être bien formés, à l’image des enfants de troupes de l’Empt. Notre pays a besoin d’ingénieurs militaires, de juristes militaires, de médecins militaires, de chimistes militaires, d’architecte militaires, de plombiers, de maçons, de menuisiers militaires… Nous pouvons construire une telle armée. Nous devons construire cette armée. Nous allons la construire.

Pour cela, nous devons d’abord définir notre «doctrine» de défense et de sécurité qui ne soit pas un chapelet de déclamations et de vœux pieux. La défense et la sécurité nationales pour quoi faire ? Nous faut-il une armée de conscription ou une armée professionnelle ? Nous faut-il encore avoir recours à des appelés ou bien doit-on se contenter des seuls engagés ? Quels doivent être les proportions entre les appelés et les engagés ? Pour quelles durées les uns et les autres seraient mis au service de l’armée ? Pour quelles missions et dans quel cadre?

Dans la Cedeao et l’Uemoa, auxquelles nous appartenons, sommes-nous menacés au point de devoir avoir des militaires prêts à se battre avec des pays voisins ? Si non, alors quelles doivent être les missions d’une armée nationale moderne, bien formée, disciplinée et équipée ? Cette doctrine proposée doit faire l’objet d’un débat public et nous devons en déduire un concept cohérent «d’emploi des forces» et une loi de programmation militaire. Après quoi, nous devons réduire les effectifs de moitié et prendre les dispositions afin que les partis ethniques n’utilisent plus nos forces de sécurité et de défense comme leurs branches armées. Les institutions de la République doivent cesser d’être des jouets aux mains des partis politiques et de leurs leaders. Pour cela, un statut des partis politiques est plus qu’urgent et le statut de l’opposition en est une des prémices, autant qu’un statut de la fonction militaire. Une fois la doctrine de la sécurité et de la défense déterminée, débattue et adoptée, il nous faudra passer à une réduction des effectifs.

Les militaires se sont révoltés très souvent parce qu’ils ont le sentiment qu’une fois sortis de la fonction militaire pour les engagés et du service militaire pour les appelés, ils ne seront livrés qu’au chômage, à la désespérance. L’armée doit former les hommes qui y sont déjà et arrêter tout nouveau recrutement militaire et paramilitaire. Les cadres de l’armée ne doivent pas être formés seulement pour se retrouver dans les bureaux du ministère, dans les préfectures et les hautes administrations publiques, mais ils doivent être opérationnels et participer d’une part à la formation civique des jeunes citoyens mais aussi à l’apprentissage de métiers et à la formation technique des populations en milieu rural. Les camps militaires doivent être sortis des villes et être situés dans des zones réservées à l’armée, à ses recherches, à son entrainement, à sa formation. Cette dernière devrait mettre l’accent sur les chefs de niveau intermédiaire (capitaines, lieutenants), capables de commandement pour redonner à l’armée sa légitimité, son charisme et son légalisme. Le budget du ministère de la défense, dans une proportion d’au moins 30%, devrait servir à donner des capacités à l’armée, à l’équiper et à l’entraîner aux métiers militaires et civils. Les soldes des militaires, leurs baux et tout le volet social devraient être contenus dans 70% au maximum. Aujourd’hui, dans notre armée, la proportion est de 95% pour le volet social et 5% pour les capacités. Peut-on encore parler d’armée ?

La rupture est urgente et nécessaire, mais ce n’est pas demain ni avant 2015 que l’on peut espérer rompre avec notre actuelle armée de com-zones, vu que le gouvernement ne semble même pas prêt à prendre les premières mesures qui s’imposent, contre l’impunité par exemple. Lorsque Ouattara arrêtera d’avoir peur du peuple de Côte d’Ivoire, lorsqu’il arrêtera d’être fier de sa rébellion, lorsqu’il décidera de se mettre à la démocratie et au respect du droit et de la loi, lorsqu’il arrêtera de violer impunément son serment constitutionnel, lorsqu’il arrêtera de croire que sa mission est plutôt économique et que la réconciliation n’est que la cinquième roue de carrosse, lorsqu’il arrêtera de penser que sous son régime, il n’y a ni corruption, ni détournement massif de deniers publics, alors peut-être que la réforme du secteur de la sécurité deviendra une option sérieusement envisageable.

L’armée ivoirienne a connu sa première révolte lorsque les politiciens civils ont commencé, dans les années 90, à payer des loubards, à les loger, à les blanchir pour «sécuriser» les campus et étouffer les contestations naissantes après les fiascos des politiques économiques d’ajustement structurel et les dépenses de prestige qui avaient vidé les caisses de l’Etat sous la houlette du président Houphouët-Boigny et du premier ministre d’alors, Alassane Dramane Ouattara. Les appelés de l’armée qui gagnaient beaucoup moins que les loubards de l’Etat, dont certains sont aux affaires aujourd’hui, en ont déduit qu’il n’y avait aucune raison pour qu’eux partent de la fonction militaire au moment où les hommes politiques, qui le leur enjoignaient, embauchaient des loubards à des fins partisanes. Le personnel politique doit être conséquent.

Il n’y a aucun signal aujourd’hui qui puisse amener à penser que les pratiques actuelles de blocage du Ddr, de confusion dans les missions du Cns, du ministère de la Défense, du ministère de l’Intérieur, de l’état-major militaire puissent s’arrêter avant les élections de 2015. Et le fait pour Ouattara, 30 mois avant la fin de son mandat, de demander un nouveau mandat et de se mettre en campagne est un signe avant-coureur de sa volonté d’organiser des élections violentes et de tout faire pour se maintenir en place. Son discours de Korhogo aurait pu et aurait dû être : «Nous n’avons jamais voulu qu’il y ait une guerre et une rébellion en Côte d’Ivoire. Nous étions engagés dans un combat politique pour atteindre nos objectifs, ce à quoi nous croyions : la démocratie. Les plus jeunes ont pensé que cette voie était trop longue. Nous avons eu une rébellion. Nous le regrettons, comme nous regrettons tout le mal qu’elle a pu vous faire, vous imposer ici pendant de longues années. Vous avez été privés ici, dans les zones Cno, d’éducation, de santé, d’infrastructures, de cohésion. Nous le regrettons. La Côte d’Ivoire en a souffert. L’homme du sud en a souffert, celui de l’ouest aussi, comme ceux de l’est et du centre. Nous le regrettons. Pour en finir, nous nous sommes investis fortement dans le processus de sortie de crise. Aujourd’hui, ces tristes souvenirs doivent être oubliés. Nous vous demandons pardon à vous ici, populations des Savanes, mais aussi à toutes les populations de Côte d’Ivoire pour tout le mal que cette rébellion a pu causer. Aujourd’hui, je suis le président de la Côte d’Ivoire, j’aimerais que tous les protagonistes de cette longue crise admettent comme moi, qu’elle nous aura été préjudiciable à tous. Nous devons nous excuser les uns auprès des autres. Je fais ma part, je les invite à faire autant. La paix et la réconciliation sont à ce prix. Reconnaitre qu’on a pu se tromper. Qu’on a fait des choix douloureux pour notre pays et pour notre peuple. Regretter cela. Tirer les leçons et nous engager à ne faire en sorte que personne d’autre ne puisse être obligé d’emprunter de telles voies. Je les invite à nous retrouver et à envisager comment repartir dans la cohésion, la fraternité, la démocratie et le respect de la loi. Je suis solennellement engagé dans ce chemin. Tout est possible, tout peux s’arranger entre nous pour l’intérêt de notre beau pays. Je leur demande de venir m’y rejoindre pour ce moment de bilan, de leçons et de nouveau départ.» Mais il n’a pas été prononcé, ce discours. Au lieu de cela, Ouattara, comme à son habitude, a plutôt célébré l’illusion de prétendus succès économiques, la vengeance, le crime, la haine, le tribalisme, la division, la menace, la peur, l’impunité et l’improbabilité d’une future élection présidentielle «à supposer, disait-il, que nous puissions les organiser en 2015».

Maintenant que par vos soins, tout est mélangé, c’est quoi la suite, monsieur le président ?

Mamadou Koulibaly
Président de LIDER – Liberté et Démocratie pour la République

Lire la 1ère partie ici: http://lider-ci.org/limpossible-reforme-du-secteur-de-la-securite-en-cote-divoire-sous-ouattara/

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