Vincent HUGEUX: « Ouattara va devoir jouer serré »

lexpress.fr

Après la chute de Gbagbo, quels défis attendent la Côte d’Ivoire? Vincent Hugeux, notre envoyé spécial de retour d’Abidjan, a répondu à vos questions.

polo: Pourquoi les médias français ont-ils joué avec autant de ferveur la partition fournie par le gouvernement de Mr Sarkozy ?

Vincent HUGEUX : C’est assez cocasse. J’avais parié avec un ami que la première question serait de cet acabit. Clarifions d’emblée le paysage. Un, je n’ai pas la prétention de répondre au nom des « médias français » dans leur ensemble. En revanche, j’assume et revendique jusqu’à la dernière virgule des papiers parus sous mon nom dans L’Express ou sur LEXPRESS.fr. Tâchez de vous affranchir du fantasme conspirationniste qui veut que la presse hexagonale soit asservie aux injonctions de l’Elysée: c’est du pipeau. Si vous avez lu, mais sans doute ne méritez vous pas un tel châtiment, les enquêtes et analyses que je consacre à la politique africaine de Paris -ou à ce qui en tient lieu- depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, si vous avez poussé l’abnégation jusqu’à parcourir mon dernier bouquin (L’Afrique en face, Armand-Colin), vous savez que je ne saurais être soupçonné de complaisance envers l’hôte du Château. Cela posé, que divers médias manquent de distance critique dès lors que la France et son armée se trouvent engagées sur des « théâtres » extérieurs, je vous le concède volontiers. Ultime remarque: la partition en question a d’abord et avant tout été écrite par un président sortant, battu à la régulière dans les urnes, et qui a préféré plonger son pays dans le chaos plutôt que de s’effacer.

Par TCI

La Joie : C’est l’armée de Guillaume Soro qui a combattu pour Ouattara pour l’installer au pouvoir. Ne pensez-vous pas que le partage du gâteau sera difficile pour Ouattara et ses alliés Guillaume Soro et Henry Konan Bedié?

Vincent HUGEUX : Question pertinente. Même s’il convient de rappeler en préambule que Guillaume Soro a certes été le chef politique des Forces Nouvelles, mais aussi, depuis les accords de Ouagadougou (2007), le Premier ministre de… Laurent Gbagbo. Ouattara se trouve en effet confronté à l’équation complexe que voici: il doit composer un « gouvernement de large union » afin de valider son discours réconciliateur; il doit aussi renvoyer l’ascenseur à ceux à qui il doit son élection (notamment le PDCI de Bédié, dont l’appel au désistement a joué un rôle décisif le 28 novembre dernier); il doit récompenser les caïds des FRCI, à qui il doit, au moins autant qu’aux électeurs, son accession effective au palais. Mais ce faisant, il lui faut aussi asseoir son autorité sur des chefs militaires dont certains devront sans doute répondre de crimes contre l’humanité. Sa crédibilité en dépend. Bref, il va falloir jouer serré…

UMDJ : Bonjour, Pouvez-vous nous confirmer l’arrestation de Monsieur Gbagbo par les forces de Monsieur Ouattara, alors que celles-ci étaient incapables de contrôler la RTI? Ou bien est-ce la force Licorne qui l’a fait! Pourquoi n’y a-t-il pas de vidéo de son arrestation, on nous le présente directement à l’hôtel du Golf, que s’est-il exactement passé svp?

Vincent HUGEUX : Il existe au moins une vidéo portant sur la fin de la séquence arrestation. On y voit un des commandants des FRCI aider Laurent Gbagbo, dans l’enceinte de la résidence de Cocody, à enfiler un gilet pare-balles et à coiffer un casque avant son transfert par la route vers l’Hôtel du Golf.
Sur le scénario de l’arrestation elle-même, le concours de l’Onuci, et au premier chef de la force française Licorne a été décisif. Il est exact que, sans cette contribution, le siège aurait pu durer encore des jours, sinon des semaines. Ce sont les bombardements de trois chars français, consécutifs au matraquage d’hélicoptères d’attaques, qui ont ouvert les brèches par lesquelles le commando FRCI s’est infiltré. Pour le reste, au moment même où l’opération prenait fin, un officier français servant au sein de l’état-major de l’Onuci m’a confié ceci: « Si on va à l’intérieur, on s’arrêtera à 1,50 mètres de Gbagbo. Il faut bien sûr que la main qui se pose sur son épaule soit une main ivoirienne. Mais pour les types de la Garde républicaine (unité d’élite fidèle à Gbagbo), il serait moins intolérable de se rendre à des gars de la Légion étrangère qu’à des rebelles. » A mon sens, Licorne a pris soin de laisser aux FRCI le soin de procéder à la capture elle-même. Mais quelques-uns des ses éléments étaient très très près du théâtre de celle-ci.

charafzino : j’aimerais savoir dans quelles circonstances a eu lieu le décès de M. Tagro car la vidéo de France 24 le montre vraiment amoché, avec la mâchoire pendante, à l’arrière d’un véhicule?

Vincent HUGEUX : Tout au long de ces heures tumultueuses, j’ai recueilli plusieurs versions de la mort de Désiré Tagro, dépeint à juste titre comme un des principaux « sécurocrates » de Gbagbo, dont il fut tour à tour ministre de l’Intérieur puis chef de cabinet. Selon l’une d’elles, fournie par une conseillère proche du couple Gbagbo, l’intéressé aurait été atteint par un tir direct au visage alors même qu’il sortait de la résidence, un linge blanc à la main et serait décédé durant son transfert entre Cocody et l’Hôtel du Golf. Scénario sujet à caution, puisqu’effectivement, comme l’attestent les images de France24 ou le récit de Jean-Philippe Rémy (Le Monde), un homme ressemblant étrangement à Tagro a été vu au Golf, assis à l’arrière d’une voiture, hébété, la mâchoire pendante et ensanglantée. Selon une source diplomatique, le même Tagro aurait en fait tenté de se suicider en se tirant une balle dans la bouche. En toute hypothèse, tout indique qu’il est passé de vie à trépas après son arrivée au Golf.

alain-bernard Carton : Chirac aurait dit un jour « l’Afrique n’est pas encore prête a recevoir la démocratie ! » Qu’en pensez vous, au regard des massacres opérés par chaque camps et le soutien de la France malgré cela à Ouattara?

Vincent HUGEUX : Pour l’anecdote, la formule attribuée à Chirac a été prononcée au début des années 1990, au sortir d’un entretien avec… le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, despote faussement bonhomme et vraiment francophile. « L’Afrique, aurait lâché le grand Jacques, n’est pas encore mûre pour la démocratie. »
Sur le fond, de grâce, n’indexez pas la maturité démocratique sur l’intensité des atrocités perpétrées de part et d’autres. Car à cette aune-là, il aurait fallu exclure du champ démocratique, pour ne citer qu’elle, l’Allemagne d’après la Shoah, l’Italie fasciste, l’Espagne franquiste, la Russie post-stalinienne et quelques autres. L’Afrique ne détient pas, loin s’en faut, le monopole de la barbarie. S’il est vrai que le dispositif électoral peut contribuer à raviver, sous d’autres formes, des antagonismes identitaires, ethniques ou religieux, ce n’est pas la démocratie, mais son absence ou son dévoiement qui conduisent au primat des armes sur les urnes. Plusieurs pays du continent, tel le Ghana, le Sénégal en 2000, le Botswana, ont été le théâtre d’alternances démocratiques qui invalident la malédiction chiraquienne. Si la société sud-africaine demeure violente et injuste, qui aurait prédit voilà 20 ans que le pluralisme y serait ancré après que Nelson Mandela en fut élu président? Ne désespérez pas de la démocratie, mais de ceux qui tentent de l’instrumentaliser à leur profit, en récusant par exemple le verdict des urnes ou en bricolant la constitution pour se tailler sur mesure le mandat de plus, qui est toujours le mandat de trop.

MCP75012 : L’Afrique est trop souvent le cadre de conflits ethniques et religieux, conséquence du découpage colonialiste. Il semblerait que le conflit ivoirien ne fasse pas exception à cette triste règle. Pourriez-vous nous en dire davantage? C’est un peu compliqué! Il semblerait que Laurent Gbagbo soit chrétien évangéliste, mais il aurait deux épouses… Alassane Ouattara serait musulman mais sa femme serait catholique et ses enfants baptisés…

Vincent HUGEUX : D’abord, les faits. Ancien élève du petit séminaire de Gagnoa (centre-ouest), Laurent Gbagbo a ensuite adhéré au matérialisme marxisant avant de rallier, dans le sillage de son épouse Simone, une secte-église évangélique, déclinaison africaine de la nébuleuse américaine Fourthsquare. La dimension messianique de ce culte n’est sans doute pas étrangère à la dérive quasiment millénariste des dernières semaines écoulées. Simone, elle, fut dans une vie antérieure la patronne de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) de Côte d’Ivoire. Quant à la seconde compagne de Gbagbo, l’ancienne journaliste Nady Bamba, épousée coutumièrement en 2000, elle vient bien d’une famille musulmane du nord-ouest. Alassane Ouattara a épousé dans les années 1990 à la mairie du 16e arrondissement de Paris, une veuve française, née Dominique Nouvian, catholique qui, selon certaines sources, serait l’héritière d’une lignée juive sépharade.
Nier le fait ethnique et les conflits qu’il contribue à déclencher serait absurde. Mais il me paraît tout aussi inepte de réduire tous les conflits africains à cette lecture essentialiste. Souvent, l’ethnie, la région d’origine, la religion sont des facteurs instrumentalisés au service d’une lutte pour le pouvoir. Tel est le cas de la Côte d’Ivoire. Bien sûr, le Nord est majoritairement peuplé de musulmans et le Sud de chrétiens. Mais Abidjan (5 millions d’habitants) est le théâtre d’un formidable brassage, d’une mixité qui défient tous les « pedigrees ». Et Ouattara n’aurait jamais pu être élu sans l’apport au second tour de l’électorat baoulé et pour l’essentiel chrétien du PDCI. Le conflit, encore une fois, est de nature politique avant tout. Du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest ou du Centre, les Ivoiriens se sentent profondément attachés à leur patrie. Voilà pourquoi l’idée d’une formalisation de la partition de facto léguée par le coup d’Etat avorté de 2002 me paraît impopulaire et, pour tout dire, stupide.

OGV : Pensez-vous que l’intervention de la France en Côte d’Ivoire est dû au pétrole du Golfe de Guinée ?

Vincent HUGEUX : En un mot, non. Très répandue, la tentation de lire tout conflit africain ou moyen-oiental par le prisme pétrolier procède d’un simplisme géopolitique aussi confortable que stérile. Pour Paris, l’enjeu du pétrole ivoirien est marginal. D’autant que Gbagbo, s’il choyait les compagnies russes ou chinoises, avait pour le moins ménagé les intérêts de Total, notamment lors de l’attribution des blocs offshore d’exploration et d’exploitation. Tout comme il avait amplement préservé les intérêts ivoiriens de Vincent Bolloré (fret maritime et manutention portuaire) ou de Martin Bouygues (BTP et téléphonie mobile).

Mathy : Que devient Blé Goudé? S’il est toujours « dans la nature », constitue-t-il un « véritable » danger face au processus de réconciliation?

Vincent HUGEUX : Selon Patrick Achi, porte-parole du gouvernement Ouattara-Soro, Charles Blé Goudé aurait été arrêté et placé en résidence surveillée ce vendredi [rectificatif: Patrick Achi s’est rétracté, vendredi soir]. Ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo, figure de proue des Jeunes Patriotes, miliciens dévoués corps et âme au même Gbagbo, orateur populiste efficace, démagogue grand teint, Blé Goudé, qui aimait tant parader avec son escorte surarmée et ses convois de limousines grand luxe, ne s’est jamais distingué par un courage physique exceptionnel. Enclin à ordonner à ses disciples de descendre dans la rue et de combattre l’infâme rebelle et l’odieux colonialiste, il s’est montré d’une discrétion de chaisière ces dernières semaines…

FORCE 225: On ne refait pas l’histoire, toutefois, ne faudrait-il pas reconnaître à Gbagbo le courage aveugle d’être allé aux élections sans avoir pu obtenir le respect des engagements internationaux sur la Démobilisation des rebelles et des milices, et surtout le Désarmement ? Pourquoi l’ONU n’a pas montré toute sa force pour faire respecter ces principes de base d’une élection apaisée ?

Vincent HUGEUX : Votre question, tout à fait pertinente, m’offre l’occasion de procéder à une petite mise au point historico-politique. Gbagbo est allé aux élections pour une seule et simple raison: il était convaincu de les remporter au second, voire au premier tour. Intoxiqué en cela par une frange de son entourage ainsi que par les sondages -à la méthodologie très contestables- fournis par l’institut français TNS-Sofres, et les conseils, en l’occurrence peu avisés, des communiquants d’Euro-RSCG. C’est Gbagbo qui a renconcé au préalable du désarmement et du casernement; c’est lui qui a validé la liste électorale laborieusement révisée; c’est encore lui qui a dissout l’ancienne Commission électorale indépendante et avalisé la composition de la nouvelle, majoritairement acquise à l’opposition. Et l’on bute ici sur cette énigme: comment ce Machiavel subsaharien, cet animal politique retors et futé, a-t-il pu se planter à ce point? Faut-il qu’il ait été aveuglé pour manquer ainsi de discernement dans ses analyses. Laurent Gbagbo a été courageux, certes, quand, seul ou presque, il a combattu pour l’instauration du pluralisme sous la tyrannie pépère d’Houphouët-Boigny. Il a connu la prison, la clandestinité et l’exil. Au fond, Cet historien de formation aura incarné un immense gâchis: il aurait pu, en reconnaissant son échec, quitte à revenir 5 ans plus tard, entrer dans l’Histoire par le portail d’honneur. Il en sort par le soupirail des despotes enivrés par le pouvoir.

PENALISTE : Sans être juriste, avez-vous été interpellé par la légalité de la détention de M. Gbagbo ? Moubarak vient d’être arrêté et placé en détention après une enquête et le prononcé d’une inculpation : Gbagbo est-il en garde à vue prolongée ou s’agit-il d’une procédure d’exception prévue en droit ivoirien (dont la tradition juridique est française)?

Vincent HUGEUX : Bien sûr, il convient de respecter scrupuleusement le droit et de garantir à l’ex-président un traitement conforme aux textes. La crédibilité de l’équipe Ouattara dépend aussi de son intransigeance en la matière. Mais en toute franchise, je trouve ces arguties juridiques un peu insolites, voire exotiques, s’agissant d’un homme qui a piétiné la loi, le droit et les textes des années durant, qui a envoyé au casse-pipes ses partisans, qui a garni ses arsenaux à prix d’or en pompant le budget de l’Etat et dont l’entêtement a coûté la vie à plusieurs centaines de ses compatriotes. Les cris d’orfraies des bonnes âmes, aussi discréditées que Jacques Vergès ou Roland Dumas, me paraissent aussi dérisoires. Et je vous invite a réfléchir à ce paradoxe singulier: c’est à Paris, berceau de l’abjection néocoloniale, que les familiers de Gbagbo viennent chercher leurs conseils. Comme, hier, ils venaient faire leurs emplettes.

VAUDOU : Depuis un an, Haïti peine à se relever malgré les nombreux dons et les promesses de la Communauté Internationale, pour sa reconstruction. De quels leviers dispose ADO pour éviter que la CI ne sombre définitivement dans le chaos? Pourquoi la CI ne subirait pas le même sort que Haïti?

Vincent HUGEUX : Pour une bonne raison: à la différence d’Haïti, pays infiniment attachant que j’ai le privilège de connaître un peu, la Côte d’Ivoire dispose d’un potentiel économique phénoménal. Le cacao (1er producteur mondial), le café, le pétrole, une terre fertile, des débouchés portuaires vitaux pour l' »hinterland » ouest-africain (Abidjan et San Pedro), une main-d’oeuvre abondante et bosseuse… A tort ou à raison, je considère que la remise sur les rails de l’ancienne « locomotive » régionale constitue le chantier le moins ardu dont hérite Ouattara. Ce n’est pas à cette aune que l’Histoire le jugera, mais à celle de sa capacité à réconcilier les Ivoiriens entre eux et avec eux-mêmes, à panser les plaies béantes de la décennie écoulée, à solder la névrose identitaire du pays des Eléphants.

somme_one : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui est arrivé aux résidents non-européens (je veux donc dire africains mais non ivoiriens) durant ces événements, et de manière plus générale, depuis 2002?

Vincent HUGEUX : Si l’on s’en tient au dernier recensement complet (1998), les étrangers, accueillis à bras ouverts par Houphouët, adepte du droit du sol, représentaient alors plus du quart de la population ivoirienne. On dénombre aujourd’hui environ 4 millions de Burkinabés, plusierus millions de Maliens, des Guinéens, Togolais, Ghanéens, Libériens…
Bouc-émissaires commodes, les « allogènes » -pour reprendre le lexique faisandé de l' »ivoirité »- ont souvent payé un lourd tribut aux crises qui secouèrent le pays au long de la décennie écoulée. Tel est encore le cas cette fois, avec les chasses aux étrangers menées dans le Grand Ouest par les miliciens pro-Gbagbo. Si ceux-ci ont ravagé les secteurs de Toulepleu et Bloléquin, à la frontière libérienne, le devoir d’équité commande à ce stade de souligner que des massacres de grande ampleur ont aussi été commis fin mars dans l’Ouest par les partisans de Ouattara, notamment dans le secteur de Duékoué.

Momo : pourquoi le comptage des bulletins du vote réclamé par Gbagbo n’a pas été fait à l’instar de ce qui c’est passé aux USA pour l’élection présidentielle – pourquoi ce traitement de deux poids deux mesures – Ouattara a été installé par son ami Sarkozy et l’histoire le retiendra – c’est une affaire entre Sarkozy et Gbagbo comme c’est aussi une affaire personnelle entre El Khadafi et Sarkozy – l’histoire aussi le retiendra –

Vincent HUGEUX : Pourquoi? Mais tout simplement parce que les résultats avaient été validés par la Commission électorale indépendante, dont la composition avait été au demeurant dûment approuvée par Laurent Gbagbo, puis certifiés par l’Onuci, dont c’était le mandat. Recompter les bulletins, soit, mais combien de fois? Une, cinq, dix? Recompter jusqu’à ce que le verdict penche du côté du vaincu? Quel dévoiement du principe même du suffrage universel! Je sais bien que le FPI de Gbagbo et ses alliés avaient pour slogans favoris « On gagne ou ou gagne! » et « Y’a rien en face! », mais il y a des limites à tout.
Pour le reste, je suis en désaccord total avec vous. Si Ouattara a été porté au pouvoir par un vaste complot, il s’agit d’un complot ourdi par les électeurs ivoiriens. Si Gbagbo avait sportivement reconnu sa défaite, la pays n’aurait eu besoin ni de l’Onu, ni de la France, ni des instances africaines pour imposer le respect du choix majoritaire des citoyens de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas, ne vous en déplaise, une histoire entre Sarkozy et Gbagbo. C’est une histoire, navrante d’ailleurs, entre Gbagbo et son ego, entre Gbagbo et lui-même, entre Gbagbo et son clan, et, dans une version moins caustique, entre Gbagbo, Ouattara, Bédié et le peuple ivoirien.

Clément : La CPI va-t-elle enquêter sur les crimes commis en Côte d’Ivoire depuis 2003 ou depuis novembre 2010?

Vincent HUGEUX : Sauf erreur de ma part, la CPI est compétente pour tous les crimes depuis sa création, à savoir me semble-t-il le 1er juillet 2002. Il serait donc logique -et juste- que les investigations des équipes du procureur Luis Moreno-Ocampo portent sur tous les épisodes postérieurs à cette date. Reste deux hypothèques: à ma connaissance, la Côte d’Ivoire ne fait pas partie des pays ayant ratifié le statut de Rome, constitutif de cette Cour; en outre, il se peut que les nouvelles autorites privilégient une comparution devant une juridiction ivoirienne.

akahounadjayi : Fillon disait aux parlementaires qu’il s’agit là d’un fort signal adressé aux dictateurs, la France devra t-elle intervenir au Togo, au Burkina, au Gabon, au Cameroun, etc. pour installer un pouvoir reflétant la démocratie dans la mesure où personne n’ignore que tous ces pays sont dirigés par des dictateurs?

Vincent HUGEUX : Objection tout à fait recevable. Vous mettez le doigt sur ce qui m’apparaît comme la principale faiblesse de l’argumentaire français: le deux poids-deux mesures. Si, touchée par la grâce, la France devenait soudain l’intransigeante déesse de la démocratie africaine, pourquoi témoigne-t-elle une telle mansuétude envers la Gabon d’Ali Bongo, dont l’élection en août 2009 paraît sujette à caution, le Cameroun de Paul Biya et sa réforme constitutionnelle taillée sur mesure, le Congo-Brazzaville de Denis Sassou-Nguesso et sa vie politique fossilisée, le Togo de Faure Gnassingbé dont on sait que l’accession au pouvoir fut entachée de fraudes massives, le Tchad d’Idriss Déby Itno, le Burkina Faso de Blaise Compaoré, dont la réélection procède du simulacre démocratique? A ce propos, il semble d’ailleurs -vengeance « posthume » de Gbagbo?- que le pouvoir du « beau Blaise » vacille quelque peu…

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