La libération de Gbagbo est la condition nécessaire pour la paix en Côte-d’ivoire (Prao Séraphin)

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Prao Yao Séraphin, analyste politique

« La vérité est si obscurcie en ces temps et le mensonge si établi qu’à moins d’aimer la vérité on ne saurait la reconnaître » (Blaise Pascal)

La paix est un bien vide dont les effets sont perceptibles dans les comportements des hommes, c’est pourquoi, la construction d’une société paisible et apaisée ne relèvent pas d’une simple proclamation. Les Ivoiriens cherchent aujourd’hui une voie, celle de la réconciliation, en vain. Comment vivre après la haine, après la guerre civile, après le crime contre l’humanité ? Comment refaire du lien avec son proche devenu un temps si lointain ? En d’autres termes, comment faire du juste avec de l’injuste ? C’est à l’examen de ces différentes questions que sont consacrées les lignes qui suivent.

Les causes de la crise actuelle en Côte d’Ivoire

Depuis la mort de Felix Houphouët Boigny, notre pays, la Côte d’Ivoire s’est engluée dans une crise militaro-politique, détruisant au passage son économie et la cohésion sociale. Cette dernière nous a été retirée dans la passivité indifférente du plus grand nombre, avec la complicité active de quelques-uns.
Les Ivoiriens espéraient sortir de cette crise politique et sociale au soir du 28 Novembre 2010 mais finalement c’est à un spectacle ridicule auquel ils ont été gratifiés. Disons-le tout de suite : la crise actuelle est multiforme. Les causes sont complexes et trouvent leurs fondements dans des faits émiettés à l’échelle brève de l’histoire de notre pays. Cependant, on peut noter quelques faits saillants : la crise économique des années 1990, la succession de Felix Houphouët Boigny, la question identitaire, la question foncière et la crise postélectorale. De façon caricaturale et volontaire, nous aborderons la crise actuelle sous le prisme de la crise postélectorale de 2010. A la suite des élections présidentielles, la commission électorale indépendante (CEI) n’est pas arrivée à départager le candidat de la LMP (Laurent GBAGBO) et celui du RHDP (Alassane OUATTARA) dans les délais.
Finalement, c’est au quartier général du Candidat du RHDP que le Président de la CEI va proclamer Alassane OUATTARA, vainqueur des élections tandis que le Conseil Constitutionnel, pour sa part, proclamait Laurent GBAGBO, président de la république. Le pays va vivre des moments uniques et iniques de son histoire.
Cette situation a donné lieu à des violations graves des droits de l’homme dont les faits saillants sont les suivants : des déplacements massifs de populations, des populations intimidées ou contraintes dans leurs mouvements ainsi que de nombreuses pertes en vie humaine dans plusieurs localités du pays. Laurent Gbagbo sera capturé avec l’aide de l’armée française et Alassane Ouattara prend les rênes du pouvoir.

La CDVR à la poursuite d’une cause perdue

Le pardon en Côte d’ivoire, c’est du bricolage pour le moment car le processus de réconciliation piloté par Charles Konan BANNY, se confond en des initiatives de réconciliation inaudibles. Et pourtant la CDVR doit impérativement réussir à unifier la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens. Les exemples de réussite ne manquent pas : on cite la conférence nationale au Benin et la commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud. Aux temps présents, reconnaissons que la CDVR est programmée pour échouer. Elle n’a pas été bien conçue, or il est admis que la pensée précède l’action. Inféodée à l’homme fort d’Abidjan, elle est devenue un instrument au service du politique au lieu d’être un vecteur d’union. Nous avons succombé à l’empressement pour finalement mal dénouer les nœuds. La CDVR n’a jamais été une tribune où les ivoiriens pouvaient se parler et se retrouver. En Côte d’Ivoire, la CDVR a fondamentalement trois défauts : elle n’a pas eu l’onction du peuple mais d’un homme : le Président Alassane OUATTARA, elle n’est pas indépendante et le Président de la CDVR n’est pas neutre dans la crise ivoirienne. Dans la configuration actuelle, l’œuvre de la CDVR est semblable à une grenouille qui veut devenir aussi grosse qu’une vache.

La libération de Laurent Gbagbo est la condition nécessaire

Nous énumérons ici deux raisons qui militent en faveur de cette affirmation.

Première raison : la réconciliation doit être inclusive. L’idéal de la réconciliation évoque les retrouvailles fraternelles et chaleureuses de personnes qui ont su surmonter leurs rivalités et faire taire leurs querelles pour établir entre elles des relations d’amitié. Après des moments difficiles dans notre pays, les ivoiriens doivent se réconcilier pour avancer. En 2001, le Forum de la réconciliation organisé par Laurent Gbagbo a réuni tous les acteurs politiques du pays, c’est-à-dire Bédié, Ouattara, Gbagbo et Guei. Il fallait que ces politiciens se retrouvent car ce sont eux qui étaient à la base de cette crise. Aujourd’hui cette raison trouve plus que jamais sa validité. Il y avait deux camps en belligérance : le camp LMP et le camp RHDP. Laurent Gbagbo, le représentant du camp LMP doit sortir de sa prison, revenir en Côte d’Ivoire pour que la réconciliation soit effective. Tout autre arrangement n’est que sorcellerie et comédie. Le camp LMP aspire à la paix mais à la vraie paix. D’ailleurs, dès l’arrestation du Président Laurent GBAGBO, ses proches manifestaient le désir d’aller à la paix. Il faut que tous les ivoiriens se retrouvent pour non seulement dissiper leurs malentendus mais poser ensemble les jalons d’une nouvelle Côte d’Ivoire. Car la réconciliation ne se proclame pas, elle se construit avec les éléments en conflit.
Deuxième raison : la difficulté pour Ouattara de rendre une justice équitable. La première exigence du contrat social que dépeint Jean Jacques ROUSSEAU est la suivante : pour que la justice soit assurée, nul ne doit être au-dessus des lois et celles-ci doivent garantir la liberté et l’intégrité de chaque citoyen. ARISTOTE met l’accent sur l’importance de l’équité : « l’équitable est un ajustement de ce qui est légal », un correctif de la loi garantissant l’établissement d’une justice supérieure à celle que prétend incarner d’elle-même la loi. Pour être simple : pourquoi poursuivre uniquement les mauvais d’un seul camp ? La Commission nationale d’enquête (CNE), a rendu son «Rapport sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire survenues dans la période du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011». En quelques mots, le rapport dit : “les forces armées pro-Gbagbo sont responsables de la mort de 1.452 personnes (dont 1.009 exécutions sommaires), tandis que les Forces républicaines (FRCI) de M. Ouattara ont causé la mort de 727 personnes (dont 545 exécutions sommaires).. ». La commission a aussi mis en cause les forces non conventionnelles qui ont combattu, comme les miliciens pro-Gbagbo ou les chasseurs traditionnels “dozo” qui, selon de nombreux témoignages, ont agi aux côtés des FRCI et ont tué 200 personnes d`après la CNE.” Avec ces chiffres, il apparaît que les bourreaux sont dans les deux camps. Pourquoi le Président Ouattara ne poursuit pas les bourreaux de son camp ? Et pourtant selon le porte-parole adjoint de l’ONUCI, Kenneth Blackman : « l’avenir de la Côte d’Ivoire dépendra aussi de la manière dont sera géré le secteur de la justice, qui doit être équitable ». En effet, sans une justice équitable, la Côte d’Ivoire ne connaîtra pas de sitôt la paix et la stabilité politique. Nous constatons que le Président Ouattara n’arrive pas à poursuivre les bourreaux de son camp de peur de perdre son pouvoir. Dans ce cas, la libération de Laurent Gbagbo est la condition nécessaire pour sauver son pouvoir.

La réconciliation par le haut et par le bas suffiront pour ramener la paix en Côte d’Ivoire

Les Ivoiriens doivent savoir qu’il faut d’abord que les politiques fassent la paix pour une réconciliation sincère. C’est ce que l’on appelle : la réconciliation par le haut. Une fois que les politiques se retrouvent tous, y compris Gbagbo, les populations auront le cœur apaisé pour se parler et se pardonner. Cette dernière étape est la réconciliation par le bas. Lorsque vous avez des populations foncièrement instrumentalisées par les politiques, point n’est besoin d’un sophiste pour nous dire qu’il suffit que les politiques fassent la paix pour que les populations désarment les cœurs et les pensées. La réconciliation par le haut et la réconciliation par le bas constituent les deux jambes de la réconciliation en Côte d’Ivoire. Privilégier uniquement la réconciliation par le bas est une erreur autant que penser une simple réconciliation par le haut. Ne commettons plus ces erreurs au risque qu’elles deviennent des fautes.

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