Côte d’Ivoire – Moustapha Chafi, le mandat d’arrêt international et Hamed Bakayoko (question)

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Lu pour vous
Question à Hamed Bakayoko: Depuis 2011, la Mauritanie a émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de Moustapha Chafi, conseiller très spécial de Compaoré, pour ses liens très étroits avec les organisations terroristes. Ce monsieur séjourne tranquillement à Abidjan. Vous attendez quoi pour l’arrêter ? (Nathalie Y.)

Moustapha Chafi, le Jacques Foccart « sans valises » du Sahel

Moustapha Chafi (la cinquantaine passée) éminence grise de la diplomatie souterraine des « guerriers » des dunes et des antichambres présidentielles. Portrait d’un lobbyiste atypique.

Ouaga 2005. A L’hôtel Kimpesky. Une silhouette frêle attend dans un petit salon discret du palace ses invités de marque. Salif Diallo, François Campaoré, deux éléments clé du système de l’époque, et quelques diplomates de la sous-région accrédités au Burkina, sont reçus par le Mollah du désert et ami inconditionnel de Blaise Campaoré. Une partie de civilité courtoise entre gens d’en haut qui ont pris l’habitude, depuis des années, de s’entretenir avec l’homme.

Craint et adulé par la haute hiérarchie politique et militaire burkinabée, Moustapha Chafi est un surdoué de la real politik. Au gré des tumultes de la vie politique qui ont forgé sa personnalité et son tempérament, loin de sa Mauritanie natale, qui l’accusait régulièrement de «coup d’Etat », et de bailleurs de fonds des « cavaliers du changement », mouvance qui faillit venir à bout du régime de Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya un certain 8 juin 2003, il a su tisser sa toile au gré des tempêtes de sable. « Si j’étais faiseur de coups d’Etat ou de rébellions, je pense que je ne bénéficierais pas de toute la confiance et des relations dont je jouis aujourd’hui », confiait-il à l’organe de presse mauritanien Al Akhbar en juin dernier.

Aux yeux des groupuscules islamistes évoluant dans ce sanctuaire agité et complexe, il passe pour un allié sûr et un Emir du désert sans turban. Il connait les Cheikh, les chefs de guerre, les intermédiaires, les guides et les habitants nomades.

Beaucoup d’inimitiés

Celui qui n’a jamais eu à gérer de fonds publics dit avoir commencé sa carrière très jeune dans la… philatélie, avec des partenaires arméniens. C’est là qu’il a gagné suffisamment d’argent avant d’évoluer vers d’autres activités. Lesquelles ? L’homme n’en dit pas grand chose à Al Akhbar, opposant aux journalistes la recommandation du prophète Mohamed : « Scellez-le autour de vos affaires. »

Chafi, qui déteste jouer aux apprentis sorciers, est un pur clone du Maréchal Sully et de son mentor Henri IV. A Ouagadougou, où il s’est installé dans une résidence modeste (moins huppée que celles de certains dignitaires qui le courtisent), avec son épouse et ses quatre enfants, il est presque le Blaise bis, le confident et pourfendeur dans l’ombre des détracteurs de l’homme fort du Faso. Difficile de le fréquenter et de mettre la main sur lui. A distance, mais dans le secret des uns et des autres, il maîtrise son univers. Vaut mieux l’avoir avec soi que contre soi, ergotait-on dans l’entourage de Laurent Gbagbo, lors du déclenchement de la rébellion en 2002, où, sans la moindre preuve, le nom de ce seigneur du désert a été cité par les ultras. La règle semble bien assimilée chez les hauts dignitaires de la République du Faso. Ce statut d’éminence grise lui vaut beaucoup d’inimitiés.

Urbi et orbi, ce Mauritanien polyglotte (il parle haoussa, tamacheck, hassanya, dioula et peulh) est un raccourci sûr pour être dans les grâces de Blaise Campaoré. Ce dernier, dit-on, lui a donné carte blanche dans ses missions de « bons offices » en Afrique et dans le monde. Un proche du conseiller occulte nous a révélé qu’il était un bon trait d’union entre la famille du président Campaoré et le chef. Ceux qui le fréquentent disent que sa loyauté envers ses amis est demeurée inoxydable. Malgré la tempête des épreuves.

Le Foccart « sans valises »

Cette proximité avec Blaise Campaoré lui a permis d’aller au chaudron des dunes du no man’s land sahélien pour négocier la libération des deux otages espagnols et des Canadiens, en 2010. Avec un carnet d’adresses qui s’étale de Nouakchott aux Comores, il sait mettre en musique ses opérations. Même au moment critique où les espoirs sont minces. C’est lui qui a mis à contribution ses connexions dans l’univers implacable des guerriers et seigneurs du désert, sur demande des services de renseignements occidentaux et avec la bénédiction du chef de l’Etat burkinabé, l’an dernier, pour passer à table avec le chef de guerre rebelle algérien islamiste, Moktar Belmoktar. « Personne ne pouvait fléchir la position de Belmoktar. Sauf lui », a reconnu un officiel nigérien contacté par Les Afriques. Après neuf mois de captivité, les otages sont libérés. Et Chafi redore son blason le 23 août 2010 en s’imposant comme une puissante machine souterraine dans le Sahara malien. Aux yeux des groupuscules islamistes évoluant dans ce sanctuaire agité et complexe, il passe pour un allié sûr et un émir du désert sans turban. Il connaît les Cheikh, les chefs de guerre, les intermédiaires, les guides et les habitants nomades.

A l’opposé du spécialiste emblématique du village franco-africain, Jacques Foccart et de « son héritier », Robert Bourgi, empêtré dans une sulfureuse affaire de mallettes d’argent entre l’Elysée et ses ex-colonies, le goguenard Moustapha Chafi n’est pas un mondain. Il tient à rester un éternel conseiller de l’ombre auprès de bons nombre de chefs d’Etat africains qui le sollicitent pour sa maîtrise des enjeux géostratégiques de la région. « L’argent dénature les rapports et tue la vertu de la lucidité », aimait-il lancer à ses proches. Nos informations recoupées soutiennent que son argent, tiré de ses prestations de service, est en grande partie injecté dans des activités caritatives. Habitué des lambris dorés des palais africains, notamment Koulouba, Niamey, Abidjan et Conakry, Moustapha Chafi n’aime ni le bruit ni l’odeur des affaires. A Ouaga, il continue de fréquenter son ami, ex-président guinéen, qui a échappé à une tentative d’assassinat, le capitaine Moussa Dadis Camara. Ce dernier lui doit la prouesse d’être évacué à bord d’un avion médicalisé à destination de Rabat. Aussi, il a beaucoup manœuvré pour lui trouver un point de chute dorée auprès de Blaise. Ses détracteurs, pour le discréditer, balancent tout de go, qu’il est un espion chocolaté (jargon diplomatique) ou un honorable correspondant (jargon militaire). Faux, s’emballe cet officier malien, proche de l’homme. « C’est vrai qu’il est un vrai renard, bien connecté, mais pas ce genre de personne. »

Fils d’une grande tribu

Son pater, Limam Chafi, membre influent de la tribu maraboutique, les Tajakkane, orfèvre du Coran et du négoce, a beaucoup forgé la personnalité du jeune bédouin-marabout dès sa tendre enfance. Très connecté jadis dans les milieux à Niamey, sous l’ère Hamani Diori, ancien président du Niger, Limam Chafi y a laissé une empreinte indélébile. Ici, la piété et le privilège tribal ont permis à la famille Chafi d’étendre son ascendant sur la région du Niger, sur l’Algérie, en passant par le Mali. A la faveur de la chute de son ex-ami et disciple de président, la donne change. Limam Chafi n’attend pas l’arrivée des nouveaux barons du régime. Cap sur Nouakchott. Moustapha Chafi le suit, laissant derrière lui des hommes sur qui il peut compter. Une corde de plus à son arc. Il sait que son heure de gloire va sonner. Le rêve du petit devient réalité. Le vent tourne. Défenseur des opprimés et combattant de la liberté et de la démocratie, sa fougue de jeunesse panafricaniste le rapproche des convulsions révolutionnaires de Thomas Sankara. Ouagadougou devient sa forteresse idéologique. Son destin partira d’ici, avant d’étendre ses connexions dans les autres capitales du Sahel. Il découvre Tripoli, après son soutien sans faille à Gougouni Ouedei, et se rapproche des éminences grises du système, comme Ali Tréki, la famille Warfalla et Dr Omar Charif. Seul trait de différence avec son père, Limam Chafi, Moustapha n’est pas un fou d’Allah.

L’équation Ould Abdel Aziz

Nouakchott n’est plus en odeur de sainteté avec l’émir du désert depuis l’arrivée aux affaires de l’actuel président Mohamed Ould Abdel Aziz. Amis d’hier, ennemis d’aujourd’hui, les deux hommes ont coupé les ponts. Moustapha Chafi, mentor de l’ancien président Sidi Cheikh Abdellahi, n’a pas digéré la pilule de la destitution de celui-ci, le 6 août 2008. « Chafi a beaucoup contribué à la mise en selle de Sidi Abdellahi, quand les militaires cherchaient un cobaye civil pour le retour à la démocratie en Mauritanie », clame un connaisseur du dossier. C’est lui aussi qui a huilé les relations entre Sidi Abdellahi et l’opposant historique et ancien président de l’assemblée nationale mauritanienne Messaoud Ould Boukheir, en 2007, au moment où tout le monde soutenait que c’était impossible. Le coup d’état du président Ould Abdel Aziz a été la goutte de trop.

A Nouakchott, une source se veut formelle : « Je suis au courant de la tentative de médiation avortée du président Aziz auprès de Chafi, via des missi dominici. La rencontre devait avoir lieu à Bamako ». C’est Chafi qui y opposa un refus. Les relations sont devenues exécrables. Dernier coup de massue : la mort des cinq combattants d’AQMI, suite au raid franco-mauritanien dans les sables mouvants du Sahara malien.

Pourtant, Chafi compte beaucoup d’amis : Ely Ould Mohamed Vall, le capitaine Diop Moustapha, réfugié politique à Paris, Saleh Ould Hanana, ancien chef des « cavaliers du changement » reconverti en honorable député pacifique d’Aioun, Sarr Ibrahima, opposant et candidat aux présidentielles de 2007, Lahcen Dedew, leader islamiste mauritanien…

C’est toujours la passe d’armes entre Nouakchott et le conseiller lobbyiste en chef de Blaise. Lors de l’investiture du président Ouattara, beaucoup d’officiels ont été très gênés de voir que les deux hommes se détestaient à tel point…

Jusqu’avant le coup d’Etat d’Ely Ould Mohamed Vall en 2005, l’homme était à la fois le mentor et l’hébergeur attitré des putschistes dénommés « cavaliers du changement », qui ont longtemps fugué dans les dunes du no man’s land sahélien. Pour échapper à la traque des services secrets mauritaniens, gracieusement budgétisés par un compte logé à la présidence. Chafi, qui aurait échappé à une tentative d’enlèvement à Lomé en 2004, par les mêmes services mauritaniens, est aujourd’hui au zénith de sa carrière, en étant conseiller spécial du président Alassane Ouattara et conseiller spécial du président nigérien Mamadou Issoufou.

ISMAEL AIDARA
Gfm.sn

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