Côte-d’Ivoire: Guéi, attentat de Bassam…Les révélations d’un ancien garde du corps de Bédié

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Interview – Adama Ouattara (ancien gendarme membre de la garde rapprochée de Bédié, opposant politique) fait des révélations:

« Si je disais non à Bédié, il ne serait jamais devenu président de la République… »

Voici celui qui avait intérêt à voir disparaître le général Guéi

Les Ivoiriens ne seront plus indulgents si les autorités se laissent surprendre par un autre Bassam

Il a été gendarme et formateur au sein de ce corps. Aujourd’hui à la retraite, il s’est revêtu d’un manteau de politicien en tant que président du Mouvement ivoirien pour le renouveau (Mire). Son ambition l’a conduit à être candidat à la dernière présidentielle en Côte d’Ivoire. Sa candidature fut rejetée. Adama Ouattara livre dans cette interview un pan de l’histoire politique de la Côte d’Ivoire ces dernières années et se prononce sur des sujets de l’actualité brûlante. Il se veut critique

Quel commentaire vous inspire l’attaque djihadiste de Grand Bassam, la première du genre en Côte d’Ivoire et la gestion de cette affaire par le gouvernement ? Que faut-il pour faire face à la menace ?

J’ai été très bouleversé par les actes atroces, lâches et ignobles de ces terroristes. En ce moment de douleur pour tout le pays, toutes mes pensées vont à l’endroit des malheureuses victimes et des familles endeuillées.

En tant qu’Expert Conseil en Sécurité, je suis en partie satisfait de la réaction rapide de nos Forces de sécurité qui ont su donner la réplique à ces barbares, même si les Ivoiriens ont déploré la mauvaise gestion de cet événement par la RTI qui nous démontre, une fois de plus, son manque de professionnalisme médiatique.
Le gouvernement malgré quelques contradictions dans la communication des faits, a tant bien que mal su rassurer nos populations. Mais cette indulgence des Ivoiriens ne peut durer longtemps, si nos autorités se laissent surprendre par un « Bassam bis », raison pour laquelle le gouvernement ne doit ménager aucun effort pour restaurer l’esprit de sécurité au sein des Communautés nationale et internationale.

Les terroristes ont déclaré la guerre à la Côte d’Ivoire et cette guerre n’est pas conventionnelle, elle est asymétrique. C’est-à-dire que l’ennemi est fondu dans la population et il faut des techniques sécuritaires appropriées pour y faire face. Je suis disposé à apporter mon expérience sécuritaire à mon pays, si les autorités politiques le veulent bien. Je le dis, parce qu’aucun membre du gouvernement actuel ne voudra de la contribution stratégique et technique d’un opposant politique.

Trois mois après le début du second mandat d’Alassane Ouattara, quel regard critique portez-vous sur sa gestion en tant que politique et leader d’opinion ?

Le Président Alassane Ouattara ne fera rien de nouveau qui puisse rassurer les Ivoiriens sur leur avenir. Car ce dernier n’a aucun chapitre dans son programme de gouvernement qui va dans le sens du progrès social et de la réconciliation, seuls gages d’un futur radieux pour notre pays. Ce qui est marrant, c’est le fait que les gouvernants actuels nous enfument avec leur concept d’émergence. Nous ne sommes pas dupes, nous ne voyons pas d’amélioration des conditions de vie, de paix et de cohésion sociale des populations. Pour parler d’émergence, il faut que le président définisse au peuple les étapes que la Côte d’Ivoire doit gravir pour émerger, c’est-à-dire les éléments constitutifs de cette émergence, ensuite il doit nous donner l’exemple d’un pays dit émergent. C’est à partir de ces indices que les Ivoiriens pourront juger si le pays s’achemine ou pas vers l’émergence. Je déduis de cette analyse politique que les riches qui sont actuellement au pouvoir seront de plus en plus riches et le peuple de plus en plus pauvre. Par conséquent, « la solution » est devenue le problème.

Un gouvernement a été formé le 12 janvier 2016. Auriez-vous donné votre accord pour y entrer si vous étiez consulté ? Pourquoi ?

Si j’avais été consulté pour faire partie de ce gouvernement, j’aurais donné mon accord pour un seul poste. Celui du ministère de la Réconciliation Nationale à condition d’avoir les mains libres afin de négocier le retour du Président Gbagbo en Côte d’Ivoire pour amorcer la vraie politique de réconciliation des Ivoiriens.

Le 28 janvier 2016 s’est ouvert le procès de Laurent Gbagbo et Blé Goudé à La Haye. Après les premières déclarations et les témoignages qui ont suivi, quelles
observations faites-vous ? Etes-vous d’avis qu’il faut ramener cette affaire en Côte d’Ivoire comme le suggèrent certains ?

Avec tout ce que nous avons vu lors de la première partie de ce procès, nous nous rendons compte que c’est la politique ivoirienne qui est jugée et il y aura des rebondissements qui vont déterminer l’avenir de la CPI. Cette Institution Judiciaire Internationale est en train de nous dévoiler son caractère politique et c’est la politique qui prime dans ce lieu. Nous pouvons ironiquement déduire que la CPI signifie “Cour Politique Internationale”. Par ailleurs, j’ai toujours dit que le transfèrement de Gbagbo est une violation de notre constitution.

Comment voyez-vous l’issue de ce procès en termes de verdict et de leçon à retenir ?

Ce procès est un procès politique et il y aura un verdict politique en fonction des intérêts politiques.

Un autre procès qui a marqué l’actualité, c’est celui des assassins du général Guéi. Le verdict est connu, prison à vie pour Dogbo Blé et Séka Yapo. Est-ce un verdict exemplaire pour l’histoire ?

Souffrez que je ne donne aucune opinion sur le verdict de ce procès.

Vous qui avez servi dans l’armée à un haut niveau, qu’est-ce que vous savez de cette affaire d’assassinat du général Guéi ? Qui avait intérêt à l’éliminer ?
Je ne maîtrise pas le dossier de cette affaire, car au moment des faits j’étais en service à Bouaké, mais je sais que le Général Guéi s’était imposé comme une pièce incontournable de la scène politique Ivoirienne. Il avait bousculé certaines habitudes et des acquis, il faisait partie des quatre personnalités du microcosme politique qui ont marqué la crise en Côte d’Ivoire que la presse nommait “les quatre Grands”. C’est donc évident que certains politiciens avaient intérêt à le voir disparaître.

A qui faites-vous allusion quand vous dites «certains politiciens avaient intérêt à le voir disparaître » ?

La crise politico-militaire que traversait la Côte d’Ivoire avait pour but principal l’occupation du fauteuil présidentiel. Il y avait « quatre grands » en présence, mais le Général Guéi était celui que tous les autres craignaient le plus, alors imaginez à qui profiterait l’absence de l’ex-président de la transition ivoirienne.

On parle souvent de l’assassinat du général Guéi sans parler du coup d’état de 1999 ou de l’accession de Bédié au pouvoir en 1993 après le décès d’Houphouët. Vous étiez membre de la garde de Bédié. Que savez-vous de ces deux périodes de notre histoire commune ?

En 1993 nous avons aidé le président Bédié à accéder au pouvoir, en application de la Constitution ivoirienne et quelques mois plus tard j’ai été évincé de mon poste à la présidence à cause de la rivalité entre le président Bédié et le premier ministre Alassane Ouattara.
Quant au coup d’état de 1999, il a été la résultante d’une révolte militaire mal gérée et d’un climat politique délétère dû à la guerre de succession entre les héritiers de feu le président Houphouët. Malheureusement, ce fut l’entrée de la violence sur la scène politique ivoirienne jusqu’à la crise post-électorale qui a déchiré le tissu social.

Soyez un peu plus explicite. Comment avez-vous aidé Bédié et comment vous avez perdu votre poste dans sa garde ? Voulez-vous dire que votre patronyme « Ouattara » vous a desservi ?

J’étais l’un des chefs chargés de la sécurité du président de l’Assemblée nationale. Le soir du 07 décembre 1993 à la mort du président Houphouët, j’ai été sollicité par le président Bédié pour une mission spéciale à la RTI pour sa déclaration de prise de pouvoir. Si j’avais refusé, il ne serait jamais devenu président de la République. Car ce jour-là, il était seul, très seul.
Peut-être qu’après sa prise de pouvoir, il a estimé que j’avais maintenant le mauvais patronyme pour faire partie de sa sécurité. Ce que je sais, c’est que ce dernier ne pourra jamais payer sa dette.

Dites-nous un peu comment vous avez connu tous ces leaders qui monopolisent la vie politique aujourd’hui. Je veux parler de Bédié, Ouattara, Gbagbo et même Guéi. De qui êtes-vous proche du point de vue idéologique puisque vous faites la politique maintenant ?

Étant un témoin majeur de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, j’ai fait éditer un livre qui sortira dans les prochains jours en France, puis en Côte d’Ivoire. Vous aurez donc l’opportunité de comprendre beaucoup de choses à travers mon devoir de vérité. Entre autres, les causes, les acteurs et les responsables de la crise dans notre beau pays. Notre formation politique se revendique du centre-gauche, donc vous pouvez aisément imaginer qui des acteurs que vous avez cités est le plus proche de
nous.

On vous dit aussi proche du défunt putschiste Ibrahim Coulibaly dit IB. Est-ce une rumeur entretenue ou une réalité qui a vécu ?

Qui n’a pas été proche de IB ?

Hormis le président Houphouët, tous les hommes politiques qui ont eu à diriger ou qui dirigent actuellement la Côte d’Ivoire ont tous été proches de Ibrahima Coulibaly à un moment donné de leur carrière politique, soit par amitié ou par intérêts convergents. Mon livre va vous éclairer.

Vous-même, gendarme à la retraite, vous faites vos pas en politique. D’où est venue cette passion pour la politique, chose assez rare pour des gens de votre ex-profession ?

Mon métier de Gendarme m’a permis de côtoyer de très près nos politiciens et c’est leur cynisme et leur incompétence qui m’ont poussé dans l’arène politique. Après le décès du président Félix Houphouët-Boigny, c’est parce que la Côte d’Ivoire n’a pas eu de bons chefs à sa tête que nous sommes dans ce bourbier aujourd’hui.

Qu’est-ce que vous entendez par « bon chef » ?

Un chef, c’est celui qui prône la justice, c’est celui qui protège les libertés, c’est celui qui respecte ses engagements, c’est celui qui rassure le peuple et non celui qui terrorise ou emprisonne ses opposants. Un bon chef est celui qui prend les préoccupations du peuple pour en faire une priorité. Quand un pays a un bon chef, il y a l’Unité Nationale, la cohésion sociale est très renforcée, les populations vivent dans la fraternité et la paix.

Quels ont été vos succès et vos déboires dans votre carrière de gendarme ?

J’ai aimé mon métier et j’ai été un bon Gendarme, mais j’ai été très déçu par le comportement de certains politiciens tribalistes qui n’ont jamais compris les fonctions réelles de la Gendarmerie et pour aller plus loin qui ignorent les réalités du peuple qu’ils disent gouverner.

Votre candidature a été rejetée à la dernière présidentielle alors que vous avez participé aux législatives en 2011. Comment vous avez vécu cet événement ?

Je rappelle que le juge constitutionnel mettait en doute votre moralité pour justifier le rejet de votre candidature. C’est toujours avec une certaine amertume que j’évoque cette situation d’injustice. J’ai mal pour mon pays avec des Institutions défaillantes comme le Conseil Constitutionnel qui mine le jeu démocratique par leurs décisions iniques. Tout est mis en œuvre pour faire barrage aux candidats qui peuvent inquiéter le Président sortant, y compris des éliminations physiques déguisées. Pour mémoire, la Côte d’Ivoire est aujourd’hui en lambeaux à cause de ces tristement célèbres Institutions qui ne disent pas le Droit et qui décident à la place du peuple. Je suis d’autant plus déçu du président de la République qui fut exclu de la course à la présidence par ces mêmes manœuvres et qui est resté sans réaction face à l’injustice dont j’ai été victime. Je me suis trompé sur son compte en pensant qu’il avait une culture démocratique occidentale et qu’il n’allait jamais cautionner une forfaiture antidémocratique. Ce qui me réjouit aujourd’hui est le fait que maintenant tout le monde sait que le jeu démocratique est truqué en Côte d’Ivoire. L’anecdote, c’est le fait que ce soit le Président du Conseil Constitutionnel, magistrat et ex-secrétaire général par intérim du MPCI qui ait tenu de tels propos avec dédain sur moi. Allez-y comprendre quelque chose sur la problématique de la probité et de la bonne moralité.

SD à Abidjan

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