Côte-d’Ivoire 1ère partie Contribution à l’avant-projet de constitution: Évaluation des forces et faiblesses

pierre

Première Partie –

Depuis son annonce, s’est installé un débat autour de l’initiative de la réforme ou du changement de la Constitution actuelle. Celui-ci porte autant sur son opportunité, sa méthode, que sur son contenu. Au regard de amplitude des reformes envisagées dans son avant-projet, il constitue un tel bouleversement de l’ordre juridique, du mode d’organisation et de gouvernance, qu’il conduit à une rupture, qui nous fait entrer dans une nouvelle ère, une nouvelle République. On parle désormais, de bonne ou mauvaise Constitution, sans pour autant, définir au préalable, les critères objectifs qui fondent une telle qualité. C’est le sujet, qui émet cette opinion, qui la juge de bonne ou mauvaise. Dès lors, la question est de savoir, sur quel système de références s’appuie-t-il ? En fonction de quels critères et suivant quelles valeurs, le fait-il ? C’est toujours en fonction de la vision que l’on se fait d’une Constitution, d’une République, qui soit conforme, de notre point de vue, suivant notre culture, notre philosophie, notre idéologie, à la notion que nous nous définissons à nous mêmes. Celle-ci peut-elle être érigée spontanément en un standard pour la collectivité nationale, qui s’imposerait à tous, sans en mesurer l’identité, alors qu’elle n’est conforme qu’à notre propre représentation, personnelle ou à celle de notre appartenance (politique et culturelle) ? À ce stade, peu importent la justesse et la valeur des catégories que nous utilisons pour la construire, elle est par nature intrinsèquement et foncièrement subjective et partisane.

À l’analyse, on s’aperçoit qu’il n’y a pas en réalité, une objectivité, qui soit une raison pure, susceptible d’élever cette dernière, au-dessus de la subjectivité du sujet ou du groupe, qui la qualifie de bonne ou de mauvaise. Au-delà, il n’existe pas un modèle universel, un modèle achevé, un standard uniforme, ou encore une norme objective, qui puisse nous sortir de l’exclusivité, à laquelle l’on puisse être contraint. Chaque peuple, chaque génération, se définit à lui-même sa Constitution ou la retouche, en fonction de ses valeurs, de son histoire, de sa culture, de ses besoins, de ses aspirations et de la représentation qu’elle se fait de son organisation et de son fonctionnement. C’est en cela qu’elle appelle au partage de vue et se soumet à l’appréciation souveraine du peuple, pour sceller ainsi le contrat social qui le lie. La classe politique d’un pays, est inévitablement intéressée et partie prenante aux enjeux de son élaboration ou de sa révision, car elle a vocation à gouverner dans le cadre qui se met en place, donc à animer les institutions prévues par une telle Constitution. C’est en cela aussi, qu’une Constitution appelle et scelle un pacte politique, avant d’être une architecture juridique, qui soit la substance, où toutes les différentes branches du droit viendront puiser leur source, pour en assurer l’expression, dans tous les domaines de l’activité.

Aussi, en l’absence d’énoncés normatifs ou prescriptifs, qui soient des impératifs catégoriques, s’imposant à tous, comme le serait par exemple une règle de droit, si nous devions déterminer ou évaluer, le caractère de ce qui est bon ou mauvais, au niveau d’une Constitution, il conviendrait de la mettre en relation avec ce qui est approprié, adéquat, bien-fondé, donc opportun, sous le rapport du contexte (évolution des données, limites ou crise des institutions) et du besoin (bilan de la crise, matérialisation des accords politiques, défis à relever); de ce qui est apte à remplir pleinement les objectifs et fonctions d’une Constitution dans une société moderne démocratique (transparence et efficacité de la gouvernance, régulation sociale et contrôle de l’action gouvernementale, protection des personnes et des biens, équilibre et stabilité des institutions); de ce qui est satisfaisant pour les attentes et aspirations des populations, donc qui apparaisse, inclusif, consensuel, et réaliste.

Lorsque, faute de les avoir prévus dans les textes, il n’est pas possible, d’élaborer une nouvelle Constitution, à partir des moyens pris de la Constitution à abroger elle-même, se pose le problème de la procédure à adopter, pour parvenir à satisfaire les trois fonctions qu’elle est destinée à remplir par essence, à savoir un pacte politique, un contrat social, un outil pacifique de régulation et de bonne Gouvernance. Dans cette perspective, quelle contrainte le pouvoir constituant peut-il exercer sur lui-même, pour résister à l’inclination presque naturelle, qui pourrait le pousser vers des intérêts partisans et des considérations politiques, s’il possède l’initiative et la maitrise de tout le processus de son élaboration ? La morale politique, le sens de l’intérêt général, la culture politique ? Nous voyons bien que seule l’intensité de ces vertus, peuvent s’opposer à cette tendance, mais sont-elles suffisantes à elles seules, et rassurent-elles ?

Or, sur la méthodologie, il n’existe que deux procédés: le premier, le plus souvent retenu, mais le plus ancien aussi (quelque peu dépassé), recourt à une Assemblée constituante (Assemblée constituante ad‘hoc, Assemblée constituante et législative), mais ce n’est ni une norme impérative, ni la panacée. Le second procédé, correspondant à la philosophie de la démocratie représentative. Une démocratie semi-directe, reflétant la logique qui nous a guidé tout au long de la confection de notre histoire constitutionnelle. Elle fait recours aux représentants élus par le peuple, suivant le principe que le peuple souverain, exprime sa souveraineté à travers ses représentants élus. Il permet ainsi de respecter, à la fois le principe de la souveraineté démocratique et le principe de la démocratie représentative, à l’opposé d’une Assemblée Ad’hoc coptée sur une base sélective, arbitraire et politique, contrairement à une représentation démocratiquement élue. Fallait-il convoquer le peuple (le constituant originaire) à une double élection préalable, à effet de lui demander de délivrer à cette fin, un mandat spécifique à des représentants de son choix, autres que ceux qu’ils se sont déjà librement choisis, si et seulement si, un tel changement s’avérait être son souhait ?

Cette solution, renvoie à un système démocratique plus direct et un héritage historique, appartenant aux révolutions. Bien que séduisante dans l’absolu, elle apparaît, en la circonstance (absence de révolution ou de coup d’État, comme en 2000), davantage appartenir au monde des idées. Est-elle vraiment appropriée ? Est-elle réaliste et en avons nous les moyens, si l’on excepte la lourdeur de sa mise en œuvre concrète (même les pays riches n’y ont plus recours aujourd’hui, cela fait partie, chez eux-mêmes, d’un passé révolu, alors que nous nous en réclamons, parce que nous voulons imiter leur démarche historique) ? Le Pouvoir constituant institué, sur le fondement constitutionnel de ses prérogatives, en a décidé autrement. En effet, l’Assemblée Nationale et le Président de la République exercent, dans cette configuration, le pouvoir constituant institué ou dérivé, au nom du peuple Souverain qui les a élu, précisément pour les représenter et agir en sa place et lieu. En vertu du suffrage universel, ils jouissent de la pleine légitimité que leur confère le mandat général qu’ils ont reçu pour représenter le peuple, sans qu’il ne soit besoin d’un mandat spécifique en addition à celui-ci.

En conséquence, la solution retenue par le Pouvoir, n’a rien de novateur ou d’isolé en matière de droit constitutionnel, et n’a rien d’illégal ou d’anti-démocratique. On pourrait lui opposer, la coutume, en ce qu’elle peut être une source de droit, mais faudrait-il, qu’elle dispose d’une tradition bien établie, sanctionnée par un usage répété. Or, de la première à la seconde république, les procédés utilisés n’ont pas été les mêmes, donc nous ne possédons, non seulement, aucune coutume (absence de constance), mais aussi d’aucune orientation, découlant de l’évolution de notre histoire constitutionnelle. Est-il impératif de vouloir emprunter, de manière inconditionnelle, à des catégorie de pensée étrangère à notre histoire ? Je l’ai déjà dit, si par hypothèse, une telle option avait prévalue, elle ne produirait que l’accord éventuel, d’une classe socio-politique intéressée et restreinte, et non la volonté du peuple lui-même, puisqu’au final, elle fait, elle aussi, recours à un système représentatif. Si celui-ci n’est pas pluriel aujourd’hui, cela engage la responsabilité de l’opposition (choix stratégique et buts politiques poursuivis). Dès lors, la consultation des forces sociopolitiques, permet d’intégrer dans le projet, la vision et les souhaits des uns et des autres. Il appartient désormais, au peuple d’apprécier, de l’approuver ou de le rejeter dans l’urne. Aussi, dans l’attente, consacrons nous à son examen, pour en évaluer les forces et les faiblesses.

1 – Sur la forme :

On observe dans le préambule, qui énonce les buts poursuivis par le constituant, et les principes directeurs de l’ordre juridique que l’on veut mettre en place, pour guider les opérateurs du droit.

a) Une confusion de locuteurs, dû à des interférences entre le rédacteur, le « moi elliptique du Pouvoir Constituant institué » et le « nous représentatif du Peuple (constituant originaire)». Exemple :

– « Considérant que l’élection démocratique… » au lieu de Considérons, car il ne s’agit plus d’une motivation, mais d’une conséquence.

– « préserver l’intégrité du territoire national » au lieu de « …l’intégrité de notre territoire national », car c’est le serment du peuple.

b) Une insuffisance très nette dans la prise en compte des enseignements de la longue et meurtrière crise que nous avons connu.

« Considérons (au lieu de considérant dans le texte) que l’élection démocratique est le moyen par lequel le peuple choisit librement ses gouvernants ; »

On pourrait dans son prolongement, ajouter comme une sorte de conséquence :

« Toute disposition de la Loi ou toute Décision des pouvoirs publics constitutionnels, visant de manière personnelle et discriminatoire, une personne en vue de l’écarter d’une élection démocratique, est réputée nulle et de nul effet, comme n’ayant jamais existé »

« Sont bannis à perpétuité de la vie politique de la nation, toute personne ou groupement, qui a recourt aux armes ou à la violence, pour conquérir le pouvoir d’État ou pour le conserver, ainsi que toute personne qui s’oppose par la force à la légalité constitutionnelle »

« Aucun résultat à une élection démocratique ne saurait être valablement prononcée, par aucune instance, sans l’accomplissement des diligences nécessaires à leur établissement »

« Aucune organe d’organisation, de contrôle, et de vérification des élections ne saurait être dépendant, menacé, suspendu ou contraint durant son activité. Ceux-ci ne peuvent en aucun cas, outrepasser leurs compétences et leurs attributions

C) On observe également une absence de précision et des omissions importantes, dans le chapitre I, traitant des libertés et droits fondamentaux, censés être protégés par l’État.

L’Article 4, qui énonce : « Tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit. »

On peut se poser la question du sort des personnes qui ne sont pas nées Ivoiriennes, mais qui le sont devenues après leurs naissances (naturalisation). Cette lacune est renforcée par l’absence de l’origine historique, dans la liste des critères de discrimination, car l’on peut être ivoirien d’origine mongole, et être discriminé en fonction de cette dernière. Aussi, il eut été plus approprié d’écrire « Tous les Ivoiriens demeurent libres et égaux devant la Loi » La Loi, comprenant les droits et les obligations, paraît une expression plus complète et précise.

Remarquons à l’alinéa 2, quelques redondances et omissions dans la liste énumérative des motifs, pouvant servir de fondement à diverses pratiques discriminatoires, comme pour race (caractéristiques génétiques) et couleur de peau, religion et croyance, culture et langue, fortune et situation socio-économique. « Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa région, de son origine sociale, de sa religion ou croyance, de son opinion, de sa fortune, de sa différence de culture ou de langue, de sa situation sociale ou de son état physique ou mental. »

Celui-ci pourrait être récrit de la manière suivante, « Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son origine historique, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de son sexe, de sa région, de son origine sociale, de sa religion, de son appartenance politique ou idéologique, de son opinion, de sa différence culturelle, de sa situation socio-économique, ou de son état physique ou mental».

L’Article 10, Al 3, stipule : « L’Etat assure la promotion et le développement de l’enseignement public général, de l’enseignement technique et de la formation professionnelle ainsi, que l’expansion de toutes les filières, selon les normes internationales de qualité et en rapport avec les besoins du marché du travail »

A qui sont laissés la charge et le développement de la recherche (fondamentale et appliquée) ? Qui soutient la création et l’innovation ? L’absence d’une volonté forte dans ces secteurs, dans la perspective de l’émergence du pays, ne peut se concevoir. Elle est nécessaire pour promouvoir le développement endogène d’une véritable capacité technologique et industrielle. Aussi, il eut été plus approprié d’écrire : « L’Etat soutient la création et l’innovation. Il assure la promotion et le développement de la recherche, de l’enseignement public général, … et les besoins de l’industrialisation du pays. »

L’Article 13, exclut les communautés villageoises de l’accès au foncier rural, alors qu’elles constituent les cellules de base de la collectivité nationale : « Seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale. »

On pourrait prévoir « Seuls l’Etat, les collectivités publiques, les communautés villageoises et les personnes physiques ivoiriennes peuvent accéder à la propriété foncière rurale… », en ajoutant éventuellement un aliéna énonçant : « Est interdit toute appropriation, vente, location d’un terrain, par une personne qui n’en a pas les qualités et les titres ».

Article 15 : On peut regretter que cet article n’institue pas une garantie générale, qui protège un revenu minimum vital au bénéfice des ménages, pourtant indispensable à la conservation de la dignité humaine. En effet, qu’en est-il des limitations relatives aux prélèvements obligatoires, des amortissements financiers des crédits (prêts), des exécutions judiciaires, notamment des saisie-attributions ?

Aussi, il serait d’une avancée certaine d’écrire « Nul ne peut être privé de ses revenus, au-delà d’une quotité dont le niveau est déterminé par la loi. » en place et lieu de « Nul ne peut être privé de ses revenus, du fait de la fiscalité, au-delà d’une quotité dont le niveau est déterminé par la loi. »

Article 17 : Les limitations confiées à la loi, pour éviter toute surprise, devraient préciser clairement, les catégories visées par cette disposition (dispositions de droit commun et service minimum obligatoire)

Ainsi, un alinéa pourrait être ajouté de la manière suivante : « L’exercice du droit de grève dans la fonction publique, est soumis à un préavis et fait l’objet d’un service minimum obligatoire dans certains secteurs d’activité sensibles. En cas de grève portant gravement atteinte à la continuité du service public ou aux besoins de la population, certains agents peuvent être réquisitionnés. Lorsque valablement motivée, la réquisition peut être arrêtée, par les ministres, les préfets ou les directeurs des structures répondant à un besoin essentiel de service public »

Article 19, al 2 et 3 « La liberté de pensée et la liberté d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion philosophique et de conviction religieuse ou de culte, sont garanties à tous. Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées. » Ici, la vertu réplétive peut se justifier par un besoin de clarté et de lisibilité. Ainsi, on pourrait dire « La liberté de pensée et la liberté d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion philosophique et politique, de conviction religieuse ou de culte, sont garanties à tous. Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées. »

« Toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou d’encourager la haine raciale, tribale ou religieuse, est interdite ». On pourrait utilement renforcer le texte en ces termes : « Toute propagande ayant pour but ou pour effet d’appeler à la violence, d’inciter à la violation de la Loi, de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou d’encourager la haine raciale, tribale ou religieuse, ou encore de faire l’apologie du terrorisme ou du « djihadisme », est interdite. »

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