Une affaire de 900 millions de Fcfa divise la Chefferie du village d’Anonkoua Kouté en Cote-d’Ivoire (vente des terrains)

Un climat délétère règne à Anonkoua Kouté, un village atchan situé au nord-ouest de la commune d’Abobo. Le chef du village et certains habitants ne parlent plus le même langage. Une situation qui a des impacts négatifs sur les projets de développement du village.

A l’origine de ce conflit qui prend sa source en 2012, la gestion de 900 millions de Fcfa relatifs à la vente des terrains qui ont servi à abriter les locaux de l’Opération des nations unies en Côte d’Ivoire (ex-Onuci) et des incompréhensions liées au mode de succession des chefs de village.

La fronde est dirigée par N’Kayo Simon et Bancouly Magne Louis, respectivement coordonnateur principal et secrétaire général de la génération Tchagba d’Anonkoua Kouté. Ce groupe a tenu une réunion sur la place publique du village le 29 décembre 2017, pour «annoncer officiellement à la communauté villageoise la fin du mandat de Dogoua Akéo Antoine, l’actuel chef du village ». Au terme de cette assemblée, les deux porte-parole ont fait le point de leurs griefs contre l’autorité coutumière.

Selon eux, les participants à cette réunion reprochent à leur chef qu’ils veulent démettre « la mauvaise gestion des fonds » générés par les prélèvements des taxes du marché du village ainsi que ceux de la pharmacie et des kiosques installés sur l’espace villageois. De plus, ce groupe veut qu’il rende clairement compte de la gestion des fonds estimés à 900 millions de Fcfa qui proviennent de la vente des terrains appartenant à des familles du village. Ce site a été utilisé pour les bureaux de l’ex-Onuci.

« De 2003 à 2017, il ne rend pas compte de sa gestion. Chaque fois que nous faisons des démarches dans ce sens, en lieu et place d’une rencontre pour nous entendre sur ces préoccupations, ce sont plutôt des convocations de la gendarmerie ou de la police auxquelles nous devrons répondre », soutient le groupe.

Par ailleurs, ce groupe affirme qu’au regard du mode de succession de pouvoir en pays Atchan, la génération Dougbo à laquelle appartient l’actuel chef et qui gère les affaires du village depuis 2003 a terminé son mandat. Cette génération doit transmettre le pouvoir au Tchagba dont sont issus les opposants.

« Conformément à la tradition, la génération Dougbo n’est plus au pouvoir après 15 ans de gestion. Nous les Tchagba, nous prenons le pouvoir à partir d’aujourd’hui. Tous ceux qui ont géré le village ont été informés le 15 juillet 2017 afin qu’ils prennent les dispositions pour transmettre le pouvoir à la génération suivante. Pour faciliter leur tâche, nous leur avons accordé une période allant du 28 juillet au 2 septembre 2017 pour qu’ils nous rendent compte des 15 ans de gestion », ajoutent ces plaignants. Ils disent avoir adressé des courriers aux autorités compétentes (ministère de l’Intérieur, gendarmerie, police, District autonome d’Abidjan) sur la décision qui met fin au pouvoir des Dougbo dans ce villag. Ce, pour les informer de la situation.

Dans le souci d’équilibrer les informations, nous avons rencontré la chefferie d’Anonkoua Kouté le 13 janvier 2018, à la résidence du principal mis en cause, Dogoua Akéo Antoine, sise dans ledit village afin d’avoir sa version des faits. Pour la circonstance, il était entouré de Dakoué Abolé Jean et Akou N’Dy Mathieu, respectivement chef résident et chef des notables du village. Sur la question de la succession, il a fait savoir que c’est en 2005 que sa fonction de chef de village a commencé. Mais, il a été investi coutumièrement le 1er avril 2006. Il brandit un exemplaire de son arrêté de nomination portant le numéro 718/MI/DGAT/DCA/SDCAD du 7 juin 2006 délivré par le ministère de l’Intérieur. A partir de ces deux éléments, il conclut que ces adversaires ne donnent pas les vraies informations. « Logiquement, c’est en 2020 que mon mandat prend fin conformément aux 15 ans de gestion de pouvoir stipulée par la tradition Atchan. Donc, nous sommes toujours au pouvoir et nous vaquons librement à nos occupations », dit-il. Il a également précisé que les Tchagba qui se plaignent sont des dissidents dont certains sont exclus de cette génération. S’agissant de la « gestion opaque », la chefferie estime que ce sont les mêmes griefs qui sont exprimés dans presque tous le village Atchan, lorsque des personnes ne veulent plus de leur chef. Car, « les gens accusent trop souvent sans preuve. »

Concernant les 900 millions de Fcfa, la chefferie a dit sa part de vérité. « Au sortir de la crise post-électorale, en 2012, pour faire face à la paupérisation dans le village, un comité de gestion mis en place a vendu 30 hectares sur 58 appartenant à 26 familles du village. Je précise que je ne suis pas membre de ce comité de gestion. Pour preuve de solidarité, ce comité a décidé que le payement soit étendu à tous ceux dont les parcelles n’ont pas été vendues. Ainsi, 682 millions de francs ont été partagés aux 26 familles. A la surprise générale, en 2015, Kouadou Ange Paul accuse le comité de gestion d’avoir détourné 500 millions. Sur sa plainte, 4 membres de ce comité dont un géomètre se sont retrouvés en prison. Ils ont été détenus pendant 15 mois où un parmi eux, fils du village, est décédé. Pour finir, la justice a décidé d’un non-lieu et ils ont été libérés ».

Toujours selon lui, c’est cette situation qui crée le climat délétère, au point où les familles, les générations et même les églises sont aujourd’hui divisées. « Il faut reconnaître que la cohésion du village a pris un coup. Nous travaillons pour ramener la paix », déclare-t-il. La chefferie rejette toutes les accusations tendant à faire croire qu’elle n’a pas fait de compte rendu de sa gestion. Pour elle, les opposants sont dans une logique de défiance. Ils ne participent pas aux réunions du village auxquelles ils sont conviés, réunions au cours desquelles les participants sont régulièrement informés de la gestion de 2007 à aujourd’hui. « Je dirai qu’ils sont en conflit avec la coutume. Aucun respect des lois du village. Nous enregistrons de l’usurpation de titre, de l’insubordination, de la désobéissance civile. Par exemple, sans informer les autorités, ils tiennent des réunions sur la place publique. Récemment, ils ont empêché ceux qui prélèvent les taxes au marché de faire leur travail. Nous faisons les réunions du village dans les bureaux. Mais eux, ils veulent qu’on aille parler du village sur la place publique. Parfois, quand on constate qu’ils troublent l’ordre public, j’informe les autorités compétentes », révèle la chefferie.

Pour terminer, Dogoua Akéo Antoine a lancé un appel dans le sens de l’apaisement tout en attirant l’attention des personnes qui sont pressées d’arriver au pouvoir alors que la tradition a clairement défini les périodes de gestion des groupes de génération. « C’est un effet de mode. Les coups d’état ou les destitutions des chefs causent beaucoup de désagréments. Mettons-nous ensemble et que chacun attende son tour pour gérer le pouvoir. Je demande pardon à tous les villages Ebrié, nous n’allons pas nous éterniser au pouvoir, mais seulement, respectons les procédures de destitutions de nos chefs de village », a-t-il lancé.

ALFRED KOUAME
CORRESPONDANT

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