Côte-d’Ivoire : Les grosses réserves de Soro sur le projet d’un parti unifié du RHDP sans le PDCI-RDA

Grosses réserves de Guillaume Soro sur le projet d’un parti unifié du RHDP sans le PDCI-RDA : économie d’un grand moment de vérité au siège du RDR le 29 mars 2018

L’Editorial de Franklin Nyamsi

Professeur agrégé de philosophie

Paris, France

Quel bonheur, pour l’analyste politique que je suis, de creuser dans la pensée d’un homme d’Etat qui parle peu et qui parle vrai ! Voici 23 ans que je connais et observe le Leader Générationnel Guillaume Soro. Jamais, au grand jamais, je ne l’ai vu parler avec empressement. Mais jamais, et au grand jamais, je ne l’ai vu se taire quand le devoir de parler l’a appelé. Guillaume Soro sait, de très longue date, parler de ce qu’il faut quand il le faut. Leader syndical au milieu des bouillantes années 90, il porte la cause des étudiants et fait sortir le plus puissant syndicat estudiantin d’alors, la FESCI, de la clandestinité où il était assigné. Leader de la résistance militaro-politique contre l’exclusion et la discrimination inter-ivoiriennes entre 2002 et 2007, il prend la parole et assume les engagements de son mouvement, à chaque fois qu’il le faut, devant la Côte d’Ivoire, l’Afrique, le monde et Dieu. Et c’est ainsi qu’il obtient la rénégociation du contrat sociopolitique ivoirien en signant avec Laurent Gbagbo l’accord de paix de Ouagadougou en 2007. A la veille de la dernière crise postélectorale de 2010-2011, il prend à ses risques et périls, solennellement la parole à la résidence présidentielle, exhortant Laurent Gbagbo à accepter sa défaite du second tour pour sortir de l’Histoire par la Grande Porte. C’est donc ce même Guillaume Soro, connu pour sa réserve et son légendaire courage historiques, qui s’est rendu hier au siège de son parti, le RDR, à la Rue Lepic d’Abidjan, pour distiller quelques vérités qui marqueront à jamais la présente séquence politique dominée par la querelle entre alliés au pouvoir, à propos de la construction du parti unifié des houphouétistes. Bien sûr, celui qui écrit les présentes lignes n’est pas membre du RDR et il n’était pas présent à la réunion du 29 mars 2018. Mais de nombreuses indiscrétions diffusées sur les réseaux sociaux par des hauts cadres de ce parti –tels un Adama Diomandé de Paris – , ajoutées à ma parfaite connaissance de la pensée et de la vision politiques de Guillaume Soro, me permettent à présent de répondre avec conviction à deux questions : 1) Que retenir de ce qu’a dit Guillaume Soro à ses camarades de la direction du RDR et aux militants assemblés à la rue Lepic ce jeudi 29 mars 2018 à partir de 18 heures ? 2) Comment comprendre les images, symboles et concepts mobilisés par Guillaume Soro dans sa courte allocution devant l’élite de son parti ?

I

Ce que Guillaume Soro a dit le 29 mars 2018

Guillaume Soro, dans le ton calme et conciliant qu’on lui connaît, a clairement signalé à la Direction du RDR, après les amabilités d’usage, qu’il émettait de grosses réserves quant à l’atmosphère délétère créée par le débat sur la construction du Parti Unifié des Houphouétistes ces dernières semaines, mais aussi quant à la méthodologie adoptée par le RDR dans ce délicat dossier.

Pour ce qui est du premier point, celui la déconstruction de la confiance, il est évident pour le moindre observateur attentif que les échanges enflammés et injurieux qui ont opposé ces derniers temps les dirigeants du PDCI-RDA et du RDR ne sont ni de nature à rassurer le gouvernement dans son action, ni de nature à rassurer la population sur la stabilité et la prospérité du pays dans la paix. Une majorité au pouvoir ne s’étale pas en invectives réciproques sur les planches de meetings, les places de marchés, les réseaux sociaux et les manchettes de presse. Les spectacles de truculences verbales offerts, entre autres, par la guéguerre verbale hypermédiatisée entre les ministres Guikahué et Billon d’une part pour le PDCI-RDA, et les ministres Kandia, Cissé Bacongo, Bictogo, ou la députée Mariam Traoré d’autre part pour le RDR, ne sont pas de bons augures pour le pays. Ils envoient un mauvais signal aux populations et aux partenaires de la Côte d’Ivoire, leur indiquant sans coup férir que ceux qui gouvernent actuellement le pays ne s’entendent plus et le tirent à hue et à dia. Déterminé à œuvrer pour la paix, la prospérité et la stabilité de la Côte d’Ivoire, Guillaume Soro ne pouvait donc pas manquer cette occasion idoine de rappeler à tous le Cap de Bonne Espérance de ce pays.

Mais, le Guillaume Soro que je connais a aussi, de toute nécessité, insisté sur le second point, à savoir la méthodologie choisie par le RDR dans la construction du parti unifié. Comment caractériser cette méthodologie ? Tout le monde peut constater, comme l’a souligné Guillaume Soro, que le PDCI-RDA, tout en demeurant dans l’alliance au pouvoir avec le RDR, ne souhaite pas aujourd’hui se fondre dans un parti unifié avec le RDR et les autres partis du RHDP. Tout le monde a vu, lu et entendu les plus hautes autorités du PDCI-RDA, y compris le Président Bédié lui-même, dire à haute et intelligible voix que le PDCI-RDA ne compte pas aller au parti unifié avant la prochaine élection présidentielle. Vouloir dès lors proclamer urbi et orbi, de gré ou de force, le Parti Unifié des Houphouétistes sans la libre et volontaire adhésion du PDCI-RDA, principal allié du RDR, n’est-ce pas au fond procéder par la violence et risquer de nouveau de mener le pays à la guerre ? Guillaume Soro a invité sur ce point ses camarades du RDR à une profonde introspection et à une grande circonspection. Une méthodologie de l’unification de la majorité politique dans un parti constitué au forceps ne peut positivement prospérer dans un pays qui se veut résolument dédié à la prospérité dans la paix, la liberté et la dignité pour tous. Oui, disons-le donc avec Guillaume Soro : vouloir construire le parti unifié des houphouétistes sans le PDCI-RDA – y compris en se contentant de quelques transfuges mineurs du PDCI-RDA -, c’est déstabiliser la Côte d’Ivoire contemporaine.

Et c’est ici qu’il faut apprécier la teneur de sagesse subtile imbibée dans le discours de Soro ce 29 mars 2018.

II

Guillaume Soro et la métaphore du fleuve, des rivières et des ruisseaux : la pédagogie nautique d’un grand navigateur politique

Et s’il y a une image à retenir de l’intervention brève de Guillaume Soro le 29 mars 2018 à la rue Lepic d’Abidjan, c’est la métaphore du fleuve, des rivières et des ruisseaux.

En effet, Guillaume Soro se rappelle d’un leader de la gauche ivoirienne, Laurent Gbagbo, qui dans les années 90, répondit à ceux qui lui proposaient de créer un grand parti unifié de la gauche ivoirienne, rassemblant le FPI et toutes les autres formations politiques de gauche. Astucieux, Laurent Gbagbo répondit que ce n’est pas le fleuve qui doit aller vers les rivières, mais plutôt les rivières qui doivent couler vers le fleuve. Et le FPI d’alors avait bien raison : il était le principal parti de l’opposition ivoirienne. C’était aux autres de le rejoindre et non à lui de leur courir après.

Le principal parti au pouvoir en 2018, nous dit Guillaume Soro, c’est bel et bien le RDR. C’est lui le fleuve. Les principaux alliés, tel notamment le PDCI-RDA, sont donc, normalement des rivières. Et donc les alliés secondaires seraient comme des ruisseaux. Tel est le cas de l’UDPCI, l’UPCI, le MFA, le PIT, et autres formations politiques fort modestes.

S’adressant donc au RDR, Guillaume Soro aura su reprendre originalement cette métaphore nautique, en soulignant que si le RDR est un fleuve, il n’a pas besoin de courir après les rivières.

Donc, si le RDR court à présent après des rivières, voire des ruisseaux, cela voudrait dire qu’il ne se sent plus tout à fait fleuve. D’où vient donc un tel aveu de faiblesse ? La maturité et la lucidité politiques consisteraient pour le RDR à bien réfléchir aux causes profondes de l’inversion de courants actuellement en cours, entre le fleuve, les rivières et les ruisseaux politiques de Côte d’Ivoire. Certes, certains dirigeants du RDR auraient beau jeu de prétendre que de nombreux partis ont déjà signé l’adhésion au parti unifié et que le PDCI-RDA devra s’y plier. Mais l’argument métaphorique de Guillaume Soro resterait valable : on ne remplace pas une rivière par des ruisseaux, et surtout pas quand on ne se sent plus tout à fait fleuve !

Guillaume Soro a donc invité la direction du RDR à réfléchir aux raisons pour lesquelles c’est le RDR qui court maintenant après les alliés pour constituer à tous prix un parti unifié à court terme, alors qu’en 2005 à Paris, tout comme lors des deux précédentes élections de 2010 et 2015, ce sont les alliés qui ont accouru vers le RDR, pour constituer et développer l’alliance du RHDP. N’est-ce pas en raison des fragilités internes du RDR que ce parti pourtant au pouvoir en est à courir après ses alliés-rivières et même ses alliés-ruisseaux ? Telle est la profondeur de la métaphore filée par Tienigbanani devant les siens. Un appel à l’épreuve salvatrice du miroir.

Tout en appelant donc son parti à se ressaisir et à se raffermir sur ses propres bases, Guillaume Soro a insisté sur la nécessité de privilégier le dialogue, la négociation et la confiance avec le PDCI-RDA car il connaît les arcanes profonds de l’équilibre des plaques tectoniques de la politique ivoirienne. IL sait que la force de ce pays vient de la confiance entre ses dirigeants, d’une part, mais aussi entre les populations et leurs gouvernants, de l’autre, sans oublier la garantie de stabilité et de crédibilité requise par les grands partenaires internationaux.

Voilà pourquoi quelque chose me dit que l’intervention pointue de Guillaume Soro à la réunion de la Direction du RDR le 29 mars 2018 à Abidjan fera date.

Source: guillaumesoro.ci

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