L’affaire Aguib Touré en Côte-d’Ivoire où quand le pouvoir déconstruit sa propre image

L’affaire Aguib Touré, du nom de cet imam qui s’est fendu d’un prêche sermon, tançant vertement le régime Ouattara, fait grand bruit en même temps qu’elle agace la communauté musulmane. Mardi 3 juillet ce dignitaire religieux a été convoqué à la direction des renseignements généraux, une section de la police nationale. Il ne retournera plus chez lui et ses proches sont sans nouvelles de lui depuis. Incarcéré ? Mais où ? La seule certitude est que l’imam n’est pas retourné chez lui après son interrogatoire, le deuxième du genre. Pour la première fois en juin dernier, il avait été entendu après avoir brocardé l’église catholique. Une prédication qui avait tout l’air d’une haine religieuse quand il interdisait aux fidèles musulmans d’envoyer leurs enfants dans les écoles confessionnelles catholiques.

Que reproche-t-on à l’imam cette fois ?

Dans une vidéo disponible sur les réseaux sociaux, sur un ton rageur l’imam s’en prend au régime sur, au moins, deux sujets qui font l’actualité en Côte d’Ivoire, le coût du pèlerinage à la Mecque et le déguerpissement des quartiers défavorisés. Sur le premier sujet, l’imam fait valoir que tous les prédécesseurs d’Alassane Ouattara au pouvoir n’ont pas augmenté les frais du voyage qui s’élèvent aujourd’hui à un peu plus de deux millions de FCFA. Sur le deuxième sujet, l’homme de Dieu exprime sa révolte sur les cas de déguerpissements qui ont jeté des milliers de familles à la rue.

Dans son prêche, il n’use pas de langue de bois, préférant un langage direct et simple à comprendre. « Dieu ne vous aidera que par l’intermédiaire des plus démunis parmi vous. Donc faut pas casser maison des pauvres pour donner terrain aux riches. Si tu as cassé maison des pauvres pour donner terrain aux riches, dieu va frapper les riches en frappant le pays », fulmine-t-il sa colère.
L’imam s’invite aussi sur le terrain de la politique en prévenant le président de la République du danger d’un troisième mandat pour le pays. Dans des mots choisis, il lâche : « Si tu sais que trois mandats ça va créer problème dans le pays, faut partir. (…) Si tu es resté là ils vont nous tuer et peut-être que toi-même ils vont te tuer ». C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et surtout quand il ajoute ce sermon d’une nature comique, devenu en l’espace de quelques heures un slogan pour les internautes ivoiriens : « Avant de partir, pardon, pardon, il faut diminuer le (coût du) pèlerinage !»

Depuis le débat fait rage sur les réseaux sociaux et les associations musulmanes restent muettes, le Cosim de El Hadj Boikary Fofana en particulier. Aucune déclaration formelle de leur part sauf des actions discrètes pour comprendre l’affaire qui enflamme pourtant la toile. L’imam a-t-il dit des choses réelles ou a-t-il menti ? A-t-il tenu un discours politicien appelant la communauté à la vindicte contre le régime ou a-t-il interpellé comme c’est le rôle des ministres du culte ?

Les commentaires vont dans tous les sens et il se trouve des coreligionnaires qui vouent aux gémonies l’imam. Plus grave encore, des voix et des écrits présentent l’imam comme un malien qui veut semer la zizanie en Côte d’Ivoire. Toute la curiosité de cette affaire est là. Les autorités ivoiriennes arrêtent-elles l’imam pour délit d’opinion ou pour atteinte à la sureté de l’Etat ?

Toujours est-il qu’en Côte d’Ivoire les faits sont établis. A savoir que des quartiers sont déguerpis en faveur de riches acquéreurs, cas de Cocody Danga, que le coût du Hadj a augmenté de plus de 500 mille FCFA depuis l’arrivée du régime Ouattara, le chef de l’Etat qui aspire à briguer un 3e mandat. Et que ses alliés ne sont pas d’accord sur cette option.

Hier en quête du pouvoir, Alassane Ouattara s’était posé comme le défenseur de la cause musulmane. « On ne veut pas que je sois président parce que je suis musulman et du Nord ». Cette petite phrase avait attiré la sympathie de toute une communauté sur lui. Devenu président, son attitude dans l’affaire Aguib laisse croire que les musulmans n’ont qu’un devoir de soumission envers lui et non un rôle de critique et de dénonciation de sa gouvernance.

SD à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr

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5 réflexions au sujet de “L’affaire Aguib Touré en Côte-d’Ivoire où quand le pouvoir déconstruit sa propre image”

  1. Que cet imam soit Lituanien, Vénézuélien, Surinamien ou Malien importe peu. Qu’il critique Ouattara, son régime et les proches du pouvoir ressemble en revanche un dépit amoureux fort, quand l’on sait que les mouvements contestataires ayant conduit au soutien du coup d’Etat de 1999, puis plus tard au soutien à la rébellionn armée, prennent leur origine dans les mosquées. Le RDR qui sait reconnaître les signes précurseurs de la chute des régimes précédents voit donc là tout le danger du prêche vidéo (devenu viral) de cet imam. Alors, quand c’est déjà mal embarqué pour le parti cocufié et qu’en sus, la maigre base électorale sur laquelle l’on est juché (Soro emportant déjà près de la moitié), il y a des raisons légitimes de donner dans l’affolement.

    Ce qui en revanche m’inquiète, moi, c’est la démesure avec laquelle est traitée cette affaire : rappelons-nous que cet imam appelle à préférer l’école coranique, invoque des notions de « haram », de frappes, etc. Je ne peux que me souvenir des débuts de Boko Haram au Nigeria, et de la réaction disproportionnée des autorités de ce pays qui ont radicalisé ce mouvement. Mouvement qui donc au départ ne faisait que prêcher. Alors, après nous avoir divisé le pays avec « on ne veut pas que que soit président parce que musulman… », que Ouattara nous épargne d’actions qui nous mèneraient encore plus loin. Même en galère profonde, ce pays ressemblait encore à une Nation en 1989, avant son arrivée.

  2. Vous @cogny si j étais pas moi je dirais que je suis vous!

    Faisons nous une raison soro Guillaume a pris la responsabilité d ouvrir une boite de pandore.

    Dire que le pays est mal géré politiquement et socialement ce n est pas injurier quelques uns.

  3. Quand un handicapé perd sa béquille et le soutien de sa famille, que voulez-vous qu’il fasse?

    Le RDR est un parti qui n’allait jamais parvenir au pouvoir sans le soutien du PDCI et surtout sans l’instrumentalisation de nos frères musulmans. Il se trouve que le PDCI a claqué la porte et que Soro s’est accaparé des musulmans. WAT et le RDR sont aux abois. La peur panique a pris place. Ne soyons pas surpris des actes gauches qui vont alimenter notre quotidien pendant les mois à venir.

    Mais c’est peine perdu car le changement aura lieu en 2020 et la Haye va changer de locataire.

  4. Amin … heureusement 2020 n’est pas loin !!!

    Ko … la Haye va changer de locataire !!!

    Préparez vous plutôt à voter massivement pour celui que vous aurez choisi comme candidat au lieu de vous faire du cinéma catastrophe dans vos cerveaux pour 2020.

    Krrrr krrrr krrrr…

    té ande

  5. Non, pas de diversion !!

    Quand un pouvoir commence à frapper dans ses propres rangs, ça ne sent jamais bon !!

    Prenons donc le temps de savourer cet instant !!

    GBAGBO LAURENT.

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