À Abidjan en Côte-d’Ivoire, cimetières et écoles deviennent des camps de réfugiés pour des déguerpis de l’Abattoir

Hamsatou ANABO

Visages crispés, regards hagards, regroupés par familles et affinités, des hommes et femmes étaient assis vendredi devant des salles de classes d’une école primaire publique, devenue un camp de réfugiés. Déguerpis le 2 juillet, plusieurs habitants du quartier Abattoir de Port Bouet (Sud d’Abidjan), étaient devenus des sans abris.

Assis en compagnie de deux autres personnes devant une salle de classe, Dramane Yakouye, boulanger, père de deux enfants, blessé au menton lors du déguerpissement, ajustait le sparadrap qui lui servait de pansement.

« A 6H du matin (GMT et locale) les véhicules des forces de l’ordre ont commencé à lancer des gaz lacrymogènes pour disperser les habitants du quartier afin que les bulldozers commencent à détruire nos maisons, sans nous laisser le temps de prendre nos affaires », expliquait Dramane, désemparé.

« Personne n’était informé du déguerpissement, sinon on ne pouvait pas laisser nos affaires jusqu’au jour J », lançait subitement un jeune homme d’une vingtaine d’années, la voix légèrement enrouée par la colère.

Cigarette à la bouche, il poursuivait en montrant ses bras : « regardez comment les moustiques nous ont piqué, il n’y a aucune hygiène ici, c’est une jungle, mais on n’y peut rien, c’est le seul coin qui nous sert de logement ».

Boucher à l’abattoir de Port Bouet, situé à quelques mètres de son lieu d’habitation, Ahmed Kanesy, vêtu d’un tee shirt à l’effigie du candidat à la présidentielle malienne Soumaila Cissé et d’une casquette noire, expliquait que les policiers l’ont tiré du lit juste avant de démolir sa maison.

« Je n’arrive même plus à aller au travail, j’ai perdu tous mes biens matériels et mon argent », exprimait t-il, tout en servant du thé à ses amis.

« Certains ont dormi au cimetière le jour où notre quartier a été détruit, vous imaginez un peu dormir sur des tombes ? », s’indignait pour sa part Aya Chantal Koffi, la gorge nouée.

Dans les classes où régnait une odeur nauséabonde, les familles étaient entassés par quatre voire cinq. Matelas, bouilloire renversée, bonbonne de gaz, ustensiles de cuisine et ordures jonchaient le sol.

Dans la cour de l’école, des femmes préparaient le déjeuner, d’autres faisaient la lessive. Le tout à quelques pas d’une eau stagnante, vestige des dernières pluies tombées sur Abidjan.

Chargée du volet social du collectif des déguerpis qui s’est créé spontanément, Sandrine Kouakou réceptionnait les dons en nature et espèces envoyés par des autorités et âmes généreuses.

« Je suis sortie le matin passer l’examen du bac et à mon retour le soir, le quartier était méconnaissable, tout était parti », expliquait t elle.

Elle poursuivait en précisant que « ma mère est veuve et est propriétaire de maison, on vivait grâce aux loyers des locataires mais la on a tout perdu, même nos biens matériels ont été volés lors du déguerpissement ».

A côte d’elle, dans une autre salle de classe, Yayouley Dicko, une jeune dame, a accouché une fille, neuf jours après le déguerpissement.

Selon ses propos dans un français approximatif, elle soulignait qu’elle était sortie de chez elle avant 6H00.

« C’est ma sœur qui est venue m’informer que ma maison a été détruite parce que j’étais dans un autre quartier », lâchait t elle.

Dans la salle voisine, une jeune femme « traumatisée » s’y trouvait avec ses parents. Elle avait fait une fausse couche au moment du déguerpissement, selon le collectif.

Le quartier Abattoir est considéré comme une « zone à risque » par les autorités abidjanaises. Le district autonome d’Abidjan soutient que les déguerpissements sont intervenus après « une campagne de sensibilisation en avril et mai », ce que réfutent les habitants.

Alerte info/Connectionivoirienne.net

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