Enjeux électoraux en Côte-d’Ivoire: Le procès Gbagbo et l’énigme FPI

Pa Connectionivoirienne

Depuis la chute de son leader charismatique le 11 avril 2011, le Front populaire ivoirien (FPI) semble être absent de l’échiquier politique national, du moins sur le plan électoral. Engluées dans des dissensions internes, les deux branches du parti qui s’affrontent sont partagées entre boycott systématique et participation à minima aux différentes joutes électorales. Les élections locales du 13 octobre 2018 sont celles qui confirment le mieux le constat. Alors que l’aile dure, celle des GOR (Gbagbo ou rien), tenue par Aboudramane Sangaré a opté, comme il fallait s’y attendre, pour le boycott, celle dirigée par AFFI N’Guessan s’est lancée dans la bataille comme elle l’a toujours fait pour toutes les élections post 2010.

Le moins que l’on puisse dire est que la moisson est bien maigre pour celui qui tient l’appareil légal du parti. Sur un total de 232 Circonscriptions à pourvoir (municipales et régionales comprises), le parti à la rose n’a proposé que 12 listes pour ne remporter que 3 circonscriptions dont 2 communes et 1 région, classant le parti de Laurent Gbagbo sur la dernière marche des forces politiques pour le compte de cette élection. Un résultat qui ne manque pas de soulever les railleries des adversaires du RHDP pour qui le FPI est réduit au rang de relique n’appartenant qu’à la catégorie des poids plume sur la balance politique nationale. Pourtant, pour qui sait décrypter les codes du langage politique, cette lecture devrait être nuancée à bien des égards. Ce n’est un secret pour personne que l’aile dirigée par Pascal Affi N’guessan ne tient, en réalité, qu’une part marginale de l’électorat du parti, l’essentiel de la masse des sympathisants et militants étant demeuré fidèle à la branche dirigée par son rival interne. Il serait donc illusoire d’imaginer que ces scores reflètent le poids réel du parti. De plus, dans un paysage politique national plus que jamais mouvant il ne faut pas s’étonner d’une probable redistribution des cartes dans le jeu électoral avant la présidentielle de 2020. Et à l’aune de cette échéance, une inconnue pourrait brouiller considérablement les schémas et ébranler toutes les certitudes : l’issue du procès à La Haye.

Ce procès qui tient en haleine l’ensemble de l’opinion nationale est rentré dans une phase décisive en octobre dernier. Les juges devront statuer dans les semaines à venir sur la question de la pertinence des éléments de preuve fournis par le bureau du procureur pour étayer ses accusations et devant justifier la poursuite ou non du procès. Les spéculations vont bon train. Les partisans des coaccusés, eux entretiennent fermement l’idée d’une libération prochaine de leurs leaders. Cette perspective, si elle se confirmait, pourrait avoir pour effet de revigorer le moral des bases et servir de catalyseur au retour de l’union au sein de la famille frontiste. Quand on sait la capacité qu’ont les prisonniers de La Haye à mobiliser autour de leur nom, on imagine l’impact d’un tel scenario sur la donne politique en côte d’Ivoire à l’orée de 2020. C’est d’ailleurs une éventualité envisagée par Affi N’guessan, qui, se prononçant sur la mesure d’amnistie prise par le chef de l’Etat Alassane Ouattara en faveur de ses ex-camarades de parti s’est dit disposé à un ralliement si cette option devrait s’imposer comme la voie de règlement de la crise de leadership qui déchire le FPI.

Or, Laurent Gbagbo sorti de prison, c’est une option qui s’imposerait de facto. Le Woody de Mama demeure la figure tutélaire du parti à la rose. Quand on associe à cette perspective, la libération récente des prisonniers politiques de la crise postélectorale et l’espoir que cela suscite dans la maison, autant dire que le poids plume pourrait très vite se muer en un sérieux outsider. Le parti pourrait alors surfer sur ses acquis à la présidentielle de 2010 où Laurent Gbagbo est arrivé en tête au premier tour avec 32% des suffrages et accrédité de 46% au second tour. Ce qui, en soit, est un indicateur non moins important de son aura quand on sait qu’en face se trouvaient deux autres cadors que sont le PDCI et le RDR alors coalisés au sein du RHDP.

Huit ans après sa dernière participation véritable à une élection, le poids électoral du parti s’est-il étiolé ? Seul un retour effectif de l’ancien parti au pouvoir dans le jeu électoral pourrait nous situer. A priori, si la libération de Laurent Gbagbo est acquise rien ne pourrait s’opposer à ce retour. Restera, alors pour Aboudramne Sangaré et ses camarades, la bataille pour la réforme de l’institution en charge des élections et les conditions de la transparence du processus électoral. Cette question est le principal point d’achoppement qui oppose le camp Sangaré aux tenants du pouvoir. Le président Alassane Ouattara dans son adresse à la nation du 6 aout dernier a fait la promesse d’une prochaine réforme de la Commission électorale indépendante. Quelles seront la nature et la teneur de cette réforme ? Acceptera–t-il d’ouvrir conséquemment le jeu démocratique comme le lui demande l’opposition ? Wait and see !

En tout état de cause, il semble évident que la recomposition du paysage politique avec la rupture consommée entre le PDCI et le RHDP en rajoutera aux impondérables de la scène politique ivoirienne. Le PDCI s’est désormais officiellement vêtu d’une tunique d’opposant et appelle à la mise en place d’une plateforme réunissant toutes les forces vives de la nation à l’effet de faire barrage au RHDP. Quelle attitude sera celle du FPI au regard de cet appel ? Si la version AFFI adhère résolument à la démarche, dans le camp Sangaré, pour l’heure, c’est l’omerta. Sans doute se donne-t-on le temps d’observer et affiner les stratégies. Pour de nombreux observateurs, le divorce consommé entre les alliés d’hier est une aubaine pour le FPI qui pourrait en tirer les meilleurs dividendes politiques : un retour au premier plan. Mais ce ne sont là que des conjectures. D’ici là, tous ont les yeux rivés sur la cour pénale internationale, à La Haye, où se joue une des pièces-maitresses de ce grand puzzle qu’est la vie politique ivoirienne.

Hervé KOUADIO, correspondance particulière

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