25 ans après la dévaluation, évitons la deuxième mort des économies de la Zone CFA (par Berthe Ipou Honga)

12 Janvier 1994 – 12 Janvier 2019, 25 ans après la dévaluation

Evitons la deuxième mort des économies de la Zone CFA

Par Berthe Ipou Honga (Ex-directeur adjoint, Conseiller du directeur national de la BCEAO pour la Côte d’Ivoire, Membre Fondateur de l’Etablissement financier à caractère bancaire CREDIT SOLIDAIRE Côte d’Ivoire)

Les Saintes Ecritures révèlent qu’il est impossible à l’être humain d’éviter une première mort. Cependant la force que procure l’Esprit Saint lui permet de briser le pouvoir des dominations et autres puissances du mal pour vaincre et échapper à la «deuxième mort».

Il y a 25 ans, les Africains subissaient le séisme de la dévaluation du Franc CFA qui a fait chuter leur pouvoir d’achat. un diktat imposé par la France, une véritable descente aux enfers, une première mort infligée aux économies des Etats africains ayant le Franc CFA comme monnaie !

Aujourd’hui comme hier, les Africains se battent pour sauver leurs Etats de la «deuxième mort». Pour mieux comprendre les enjeux de ce combat, un bref rappel de l’histoire du système CFA et des problèmes qu’il pose s’avère nécessaire.

Jusqu’à 1945, c’était le Franc métropolitain qui circulait dans la majeure partie de l’empire colonial français. Le 25 décembre 1945, le décret n°45-01-36, signé par le président du gouvernement français provisoire (le général De gaulle), le ministre des Finances (René Pleven) et le ministre des Colonies (Jacques Soustelle) crée le Franc des Colonies françaises d’Afrique (FCFA) qui devient la monnaie des pays de l’Afrique occidentale française (AoF) et de l’Afrique équatoriale française (AEF), du Cameroun, du Togo, de la Côte française des Somalis, de Madagascar et de la Réunion. Le Franc CFA a été créé pour servir les intérêts de la France. C’est une monnaie au service du pacte colonial, lequel pacte instaure des rapports de dépendance qui obligent les colonies à s’ajuster en permanence à la conjoncture de la Métropole et aux exigences de son développement économique.

Depuis la création du Franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) en 1945, le sigle a évolué et désigne désormais deux monnaies : Celle de la «Communauté financière africaine» en Afrique de l’ouest, et celle de la «Coopération financière africaine» en Afrique centrale. Mais l’esprit et les objectifs qui ont présidé à sa création demeurent les mêmes : C’est toujours Paris qui décide de la valeur externe de ces monnaies. Et la zone franc qui assurait le contrôle économique des colonies garantit encore à l’économie française un avantage comparatif sur le continent africain.

Le Franc CFA, véritable obstacle au développement

Les années ont beau passer, l’Etat français continue de tenir les rênes du dispositif Franc CFA. Cela a fait dire à la journaliste indépendante Fanny Pigeaud que «L’esprit et la fonction du dispositif sur lequel repose cette monnaie coloniale demeurent les mêmes qu’à sa naissance en 1945. Plus qu’une simple monnaie, le Franc CFA permet toujours à la France d’organiser, sur les plans économique, monétaire, financier mais aussi politique, ses relations avec un certain nombre de ses anciennes colonies selon ses intérêts. Il est en somme la meilleure arme de la « Françafrique», ce système de domination néocolonial spécial que l’Etat français a mis en place à la veille des indépendances africaines, dans le but de conserver en sous-main les avantages du pacte colonial. Sans être la seule cause du sous-développement des pays de la zone franc, le Franc CFA constitue un véritable obstacle à leur développement. Dix Etats de la Zone franc font partie du groupe que les nations unies appellent les «pays les moins avancés (PMA)», constitués des pays qui ont un niveau de revenu national brut par habitant faible, un niveau de développement humain bas et qui présentent une grande vulnérabilité économique. C’est donc à raison que certains auteurs ont qualifié le Franc CFA de «monnaie des PMA», une monnaie qui concourt au renforcement de l’extraversion des économies tout en plombant le développement.

L’examen des statistiques sur le long terme a d’ailleurs permis de constater que si la Côte d’Ivoire, notre pays, a obtenu des performances notables depuis quelques années, son PIb réel par habitant (ou revenu moyen) en 2016 est inférieur de plus d’un tiers à celui de la fin des années 1970. Il en est de même pour le Sénégal qui a également obtenu de bons résultats ces dernières années, mais le revenu moyen de ses habitants, à l’heure actuelle, est similaire à celui de 1960.

Ces deux états ne sont donc pas en train de « rattraper » les pays dits émergents mais plutôt de retrouver leur niveau économique d’autrefois.

Les 4 raisons du sous-développement

Le Franc CFA est néfaste pour les économies qui l’utilisent à cause de quatre contraintes majeures imposées par le système CFA :

– Un régime de change rigide

– Un arrimage à l’Euro qui pose problème

– Une liberté de transfert qui entraîne des pertes financières

– Une politique monétaire imposée par la France et qui aboutit au sous-financement des économies de nos pays.

En d’autres termes, le système CFA empêche toute mobilisation de ressources internes : le freinage de la création monétaire décourage l’activité économique et donc la formation d’une épargne nationale consistante. Le libre transfert favorise la sortie de l’épargne nationale et le rapatriement des profits des entreprises qui ne sont pas tenues de les réinvestir sur place.

«Nous sommes accrochés à ceux qui sont morts pour un idéal», déclarait le poète et écrivain français Apollinaire. Les dirigeants français ont de tout temps combattu tous ceux, experts ou dirigeants africains, qui se sont élevés contre cette servitude monétaire. La tyrannie des évènements nous condamne à poursuivre leur combat, notamment celui du professeur Joseph Tchoundjang Pouemi, notre très cher maître, très tôt disparu, dont les travaux et le combat pour la souveraineté monétaire restent d’une étonnante actualité, 40 ans après sa mort. Ironie du sort, deux des cinq gouverneurs de l’histoire de la BCEAO sont issus de son école.

En avant donc pour la libération monétaire Selon le professeur Tchoundjang, «la dépendance monétaire est le socle des autres formes de dépendance», d’où son plaidoyer en faveur de la libération monétaire des populations. une libération qui passe par la déconstruction du mythe entretenu par les autorités monétaires et politiques, selon lequel le Franc CFA est une monnaie africaine gérée par des africains, au service du développement des pays africains de la zone franc. Cette libération passe aussi par la déconstruction de la servitude volontaire dont font preuve les gouvernants et par la réinvention du fonctionnement de nos économies extraverties et désorganisées par le système CFA. Toutes les fondations de ce système reposant sur un jeu de dupes, un recours judiciaire contre les institutions de la zone franc pour escroquerie intellectuelle et politique n’est pas à exclure. «L’Afrique se fera par la monnaie ou ne se fera pas », avertissait à juste titre, le professeur le Professeur Tchoundjang en conclusion de son ouvrage magistral ‘’Monnaie, servitude et liberté : La répression monétaire de l’Afrique’’.

Source: Lundi 14 janvier 2019 – la Voie originale n°380

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