Réfléchir sur ce que l’on appelle « ethnie » en Côte-d’Ivoire

Lu pour vous

Intéressé – et des fois aussi navré – par un débat sur Facebook autour de la question « y a-t-il des Peuls qui sont Ivoiriens d’origine ? », j’aimerais que nous réfléchissions sur ce que l’on appelle « ethnie ».

– Il ne faut pas croire qu’avant ou pendant la colonisation, il y avait des blocs ethniques monolithiques, étanches et complètement sédentaires, qui se sont agrégés pour former les nations africaines contemporaines.

– C’est tout simplement parce que l’état-civil est très récent que nous pouvons penser ainsi. Si les Africains disposaient de la mémoire écrite des Européens, nous découvririons la complexité de notre histoire, le caractère profondément politique et non strictement génétique de nos identités ethniques. Nous en finirions avec le narcissisme ethnique qui crée tant et tant de malheurs.

– Nous n’avons pas une grosse mémoire écrite sur nos identités personnelles, mais certains peuples ont une tradition orale qui leur permet de savoir quel a été le cheminement de leurs ancêtres avant les temps coloniaux et postcoloniaux. Ainsi des fameux « Sy », « Sangaré »… effectivement Peuls… dont les peuples se sont mêlés aux Malinkés au point de se confondre à eux. D’autres qui pensent avoir une identité ethnique localisée depuis toujours au même endroit sont pour beaucoup les victimes de l’ignorance et de l’oubli qui caractérise malheureusement nos histoires personnelles. Qui est capable d’en savoir beaucoup, et de manière précise, sur ses aïeuls à la quatrième ou cinquième génération ?

– De facto, c’est le colonisateur qui a pour la première fois figé les appartenances ethniques et a mis fin à cette période de fluidité, de mouvement, voire de « naturalisation » ethnique.

– Souvenons-nous de la « malinkisation » des Sénoufos et des Yacoubas. Jusqu’à il y a pas longtemps, quand un sénoufo devenait musulman, il changeait de nom. C’est ainsi que dans certains coins les Sekongo sont devenus Camara, les Soro Fofana ou Koné, les Yeo Ouattara, etc.

– Tout ce développement n’a pas pour but de noyer les nationalités existantes sous le relativisme, mais d’en appeler à la curiosité, au refus des fausses évidences, au rejet des pseudo-connaissances bornées.

– En 2019, les pays africains auraient dû avoir stabilisé leur état-civil, et ne même pas avoir recours à l’archéologie ethnique pour connaître leurs ressortissants. Mais de 1960 à aujourd’hui, les Etats se sont caractérisés par leur jemenfoutisme, et leurs représentants n’ont cessé de fabriquer des vraies faux documents d’état-civil. Leurs législateurs n’ont pas essayé d’adapter le droit aux réalités mais ont préféré copier sans réfléchir les dispositifs européens dans des pays où les institutions comme les mairies et la justice sont si éloignées des populations que ces dernières contournent en permanence la loi.

T. Kouamouo

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