Côte d’Ivoire – Un embargo qui prépare le chaos ?

Le Nouveau Courrier

Le mystère est levé. Le mystérieux ressortissant ivoirien du nom de Yao N’Guessan arrêté aux Etats-Unis alors qu’il tentait d’exporter «illégalement» des armes vers la Côte d’Ivoire est un haut gradé de l’armée ivoirienne qui était en mission officielle. Au cours d’une conférence de presse donnée hier, le ministre de la Défense Michel Amani N’Guessan a confirmé une information qui avait déjà été divulguée, la veille, par nos confrères du Nouveau Réveil.

Les explications de Michel Amani N’Guessan n’ont pas dissipé toutes les zones d’ombres qui entourent cette étrange affaire. Il n’a pas voulu citer le nom de ses fournisseurs, qui ne semblent pas non plus avoir pignon sur rue aux Etats-Unis. Il n’explique pas exactement si les Nations unies ont oui ou non validé la demande d’allègement de l’embargo sur les armes infligé à la Côte d’Ivoire. Ni si cette opération bien particulière a été validée par le Conseil de sécurité. Il en dit trop peu ou pas assez, et ses propos seront diversement interprétés.

Cela dit, cette affaire un peu rocambolesque nous rappelle à tous que cela fait près de six ans que la Côte d’Ivoire est sous embargo onusien. Et que certaines des prérogatives des Etats – celui de se défendre contre une agression étrangère par exemple – ne lui sont plus reconnues. Il n’est pas question ici de polémiquer sur les justifications éthiques de cet embargo. Mais de considérer avec attention ses conséquences pratiques et les risques sécuritaires qu’il représente désormais.

Le colonel Yao N’Guessan est aujourd’hui dans de beaux draps pour du matériel qui relève du maintien de l’ordre : armes au poing et grenades lacrymogènes. Il y a quelques semaines, dans un rapport d’enquête très instructif, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) recommandait justement au Conseil de sécurité d’alléger l’embargo pour permettre à l’Etat de Côte d’Ivoire de commander ce type de matériel. Le raisonnement est très simple : en l’absence de ces outils conventionnels de répression des mouvements de foules «musclés», tout face-à-face entre manifestants en colère et hommes en tenue se termine par des morts, tués à balles réelles.

Il n’est pas question ici de faire de l’angélisme. Même en étant dotés de manière adéquate, certains de nos «corps habillés» sont assez brutaux pour faire couler le sang (inutilement). Mais qui a intérêt à une neutralisation des forces régaliennes en Côte d’Ivoire? Personne. Pour une raison simple : pour l’instant, aucune force ne peut les remplacer. Elles sont le seul rempart à un chaos qui serait encore plus incontrôlable que ce que nous avons vécu jusqu’à présent. En dehors du fait qu’elles ne disposent d’aucune légitimité pour le faire, ni la force Licorne ni l’ONUCI ne peuvent – ni ne veulent d’ailleurs ! – se substituer à la police et à la gendarmerie nationales, surtout dans un contexte de «troisième tour électoral» dans la rue, où il n’y a que des coups à prendre.

Déshabiller les forces nationales pour n’habiller personne d’autre revient donc objectivement, pour la communauté internationale, à jouer les apprentis-sorciers. Il est vrai que la tendance, dans la résolution de la crise ivoirienne a toujours été la mise à égalité de la République et de la rébellion. Une mise à égalité qui a longtemps installé l’ONU dans le rôle confortable d’arbitre et de seul maître après Dieu. Mais c’était une ambition bien trop grosse. La présence de l’ONUCI dans la zone de confiance n’a pas pu empêcher des massacres d’une sauvagerie extrême, qui ont disparu aujourd’hui que cette zone est démantelée. Le stationnement des forces françaises dans l’Ouest du pays a exacerbé les tensions intercommunautaires dans un village comme Diéouzon, où massacres et contre-massacres se sont répétés dans un passé récent. Voulons-nous revivre de telles situations au nom des ambitions des hommes politiques ?

Nous devons nous convaincre d’une chose. Demain, commencera une course au pouvoir impitoyable. L’intérêt principal du pays à long terme est que la bataille qui vient ne soit pas totalement « sauvage », sans règles, sans limites. L’intérêt national voudrait que l’armée et les autres forces de défense et de sécurité restent républicaines, et qu’elles aient aussi le pouvoir de canaliser les débordements. Sinon, c’est la porte ouverte aux pillages indifférenciés et à une «milicianisation» encore plus forte du corps social.

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