Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo au pays des zélés fans

Par Vincent Hugeux Lexpress.fr

Une journée de campagne électorale dans le sillage du président sortant, à Oumé puis dans son fief bété de Gagnoa.

Ce jeudi 21 octobre, la caravane Gbagbo fait escale à Oumé, chef-lieu de département et qui entend le rester. Ici, en pays gouro -du nom de l’ethnie dominante-, on cultive le cacao, le café, la banane, et une certaine dévotion envers le président sortant Laurent Gbagbo. Du moins les animateurs locaux de LMP -La Majorité présidentielle- s’emploient-ils à l’attester. Sur l’estrade d’honneur, le fauteuil promis à l’illustre visiteur se reconnaît à la housse grise moletonnée qui l’enveloppe. Bientôt, un 4X4 vient déposer le pupitre de plexiglas, empaqueté pour sa part dans un matelas de mousse -et dont l’orateur, qui parle sans notes, ne fera d’ailleurs aucun usage-, le tapis rouge d’usage ainsi que les banderoles à la gloire de « l’homme de la situation », promptement agrafées à trois arches de bois emmaillotées de pourpre.

Notables et chefs coutumiers somnolent sous des auvents rayés, tandis que les badauds, parqués au centre du « stade », tuent le temps en plein cagnard. On distribue, au risque de l’émeute, T-shirts et visières pare-soleil. Au palmarès, « Gbagbo me suffit » et « Gouro d’Oumé 100% Gbagbo » devancent le peu flatteur « Vraiment y’a rien en face! ». Pour tromper l’attente et l’ennui, l' »ambianceur » maison lâche sur la pelouse pelée artistes locaux et starlettes venues d’Abidjan. La plupart, hélas, chantent en play-back. Manqueraient-ils de voix? Un comble s’agissant d’un meeting électoral.

Gbagbo me suffit… Vraiment y’a rien en face!
Enfin, l’hélico de « Laurent » pointe le bout de son nez d’acier. Sanglés dans leur pourpoint écarlate, les gaillards de la Garde d’honneur peuvent coiffer le casque à panache et plumet et dégainer le sabre aux reflets d’argent. L’idole tombée du ciel prend place. Un hôte empressé a l’insigne honneur d’épousseter ses mocassins, presque aussi vernis que lui. Tandis que l’aide de camp du Boss lui éponge le crâne, perlé du sueur. La cérémonie peut commencer. Les « chefs de terre » d’Oumé, Tibé Marcellin et Bakro Paul viennent implorer la bénédiction des ancêtres. Suivis par l’imam de la Grande mosquée locale. « Puisque la Côte d’Ivoire est un Etat laïc », souligne le Monsieur Loyal de la campagne du LMP -que serait-ce diable dans le cas contraire…-, place ensuite au président du Collectif des pasteurs des églises évangéliques du cru. Où sont donc les catholiques romains?

Qu’importe, le verbe se fait chair, grâce à l’éloquence torrentielle et flagorneuse du poète de cour Bomou Mamadou, « maître de la parole ». Il aura droit, comme les danseurs traditionnels, à son enveloppe kraft lestée de billets. Venu chanter la geste héroïque de « Laurent le Résistant, le Patriote », le duo composé d’une Castafiore ivoirienne et de son comparse fera mieux: les VIPs de la suite présidentielle l’arrosent de coupures de 5000 ou 10000 francs CFA (8 à 16 euros environ). En fait de largesses, « l’homme de la situation » ne sera pas oublié. On égrène au micro la liste des présents que lui offrent élus, cadres et villageois: des liasses de CFA, bien sûr, mais aussi des boeufs, un bélier, des pagnes, du riz, une tonne de bananes, une Bible… Quand on vous dit que Dieu reconnaîtra les siens.

En avant pour le discours. Ou plutôt ce genre de péroraison goguenarde qu’aime tricoter « Laurent ». Lequel éreinte l’ancienne puissance coloniale. « En 2004, un contingent de l’armée française, commandé par le général Beth, c’est son nom -rires sur l’estrade et dans la foule-, est venu dire aux jeunes d’Oumé qu’ils n’avaient pas un bon président et qu’on allait l’enlever pour leur en donner un meilleur. Nos enfants se sont couchés sur le goudron, sous les chenilles des chars. Voyez, c’est ici que les soldats de la France se sont dévoilés. C’est depuis ce jour que mes rapports avec Paris ses sont gâtés. Aujourd’hui, les Français sont revenus à de meilleurs sentiments. Ils viennent me voir. Mais ils ont compris que les Ivoiriens sont assez grands pour choisir leur chef d’Etat. »

Houphouët a fait. J’ai fait. Entre nous deux, une parenthèse inutile et déjà refermée
C’est le moment de roder le sketch des héritiers, lorsque le sortant ironise sur la propension de ses rivaux -à commencer par l’ancien président Henri Konan Bédié et l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (ADO)- à revendiquer le legs politique du défunt patriarche Félix Houphouët-Boigny. « Houphouët a fait. J’ai fait. Entre nous deux, une parenthèse inutile et déjà refermée. Héritiers… Héritiers… ». Le public, qui est bon public, jubile.

Quelques heures plus tard, en son fief natal de Gagnoa, Gbgabo le Bété resservira avec un égal succès le même brouet. Au stade Biaka Boda, où pleuvent aussi les dons en cash et en nature, il prêche en terrain conquis. Administrant au passage un cours d’histoire locale et saluant les glorieux fils de cette cité fondée en 1912 par des soldats de l’armée coloniale. Y compris un certain Didier Drogba, dont la mère a pris place paraît-il dans les gradins.

Bédié et ADO en prennent derechef pour leur grade. « Entre eux et moi, c’est le combat entre ceux qui ont mangé tout l’éléphant, de la trompe aux pattes, et celui qui a attrapé une petite biche qu’il veut aller partager avec ses compatriotes. » A Oumé, Laurent Gbagbo a parlé le soleil dans les yeux. Ici, ils harangue les siens face à la lune. Ca tombe bien, Il faut un talent d’astrologue pour deviner si le scrutin se tiendra bien comme prévu à la date du 31 octobre. Et si l’enfant du terroir peut l’emporter dès le premier tour. « En un coup KO », comme aiment à le scander ses partisans. La Côte d’Ivoire ou le pays des zélés fans.

Par Vincent Hugeux

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