Interview de Malick Diop, sociologue à l’université Cheikh Anta Diop sur les élections en côte d’Ivoire

Pour décrypter la situation en Côte d’Ivoire et envisager l’avenir de l’Eléphant d’Afrique, nous avons rencontré le professeur Malick Diop, sociologue à l’universitaire Cheikh Anta Diop de Dakar. Suivons son éclairage.

« Ce vote ne peut être morale, acceptable pour la morale universelle que s’il revêt un coté référendaire »

En tant qu’observateur, comment envisagez-vous la sortie de crise en Côte d’Ivoire à travers l’élection présidentielle du 31 octobre ?

Pr Malick Diop : La trame de la crise ivoirienne est constituée par l’émergence en face de l’Etat légal et légitime, d’une force armée qui par le jeu de la communauté internationale est devenu un Etat dans la pure tradition sociologique édictée par Max Weber. A savoir que l’Etat constitue le monopole de la violence légitime à partir du moment où on lève les impôts, qu’on crée une administration avec des comzone ou des gouverneurs, à partir du moment où on érige une économie plus ou moins informelle et qu’il y a des transactions sur les produits vivriers ou de rente. A partir de cet instant, il s’érige, quelqu’en soit la définition, un pouvoir de fait qui est devenu un pouvoir de droit.

Dès ce moment là, le pronostic concernant la Côte d’Ivoire a un caractère alternatif : ou bien l’Etat légal et légitime dirigé par Gbagbo, au-delà des élections calamiteuses – qui n’en a pas en Afrique – soit rétabli dans ses fonctions avec l’aide morale, matérielle de la communauté internationale ou bien, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les forces qui ont aidé le second Etat à se mettre en place, vont cristalliser à l’issue de ces élections et instrumentaliser les enjeux véritables qui ne sont pas le choix des ivoiriens entre 14 candidats. Pour moi, les élections ce n’est pas une affaires des 14 candidats mais c’est la réponse à la question suivante : est ce que c’est la guerre qui a amené la crise ou bien c’est la crise qui a amené la guerre ?

N’avez-vous pas l’impression que la communauté internationale accompagne plutôt la partition de la Côte d’Ivoire, et même l’utilise comme chantage à l’endroit du pouvoir en place ?

Pr Malick Diop : Dans un livre à paraître que je rédige avec d’autres confrères africains depuis plus de deux ans, nous avons défini un corpus et élaboré des textes qui vont paraître. Nous ne voulions pas gêner le processus électoral mais ces textes là précisent bien une dualité du pouvoir en Côte d’Ivoire vis-à-vis de laquelle la communauté internationale n’a pas répondu aux attentes : comment peut-on mettre sur le même pied d’égalité un Etat envahi par des corps expéditionnaires bien identifiés et ceux qui ont organisé cette déstabilisation sont reçus partout avec des honneurs dus à des chefs d’Etat.

A ce moment là c’est la morale universelle qui a été bafouée. Dès lors, il est indécent de considérer que cette élection ivoirienne a pour but de désigner le président de la République. Pour moi, l’enjeu réel de l’élection c’est de savoir si oui ou non la légalité ivoirienne va être confirmée ou dénigrée.

Sans tomber dans les travers de la théorie du complot, plusieurs personnes font observer le cas de la déstabilisation de la République démocratique du Congo dans l’unique but de piller ses ressources du sous sol. Avez-vous l’impression que c’est le même schéma qui se met en place en Côte d’Ivoire. Si oui, à qui profite le crime ?

Pr Malick Diop : La grande innovation stratégique du Congo qui est passée dans les annales depuis l’intervention des différentes forces des Nations Unies dans la crise des années 61, 62, c’est que aujourd’hui, c’est que nous sommes tenté de faire la comparaison entre les deux situations. C’est facile de parler de Lumumba parce que la haute figure de Lumumba dominait l’Afrique nouvelle.

Il y a une relation avec une crise qui continue de perdurer au Congo, notamment à l’Est du Congo. Nous avons vu comment des pays comme le Rwanda sont devenus exportateurs d’un certain nombre de ressources dont ils ne sont pas producteurs. Au nord de la Côte d’Ivoire, nous avons un certain pays qui, par le jeu de l’informel qui s’est installé dans la région, est devenu un exportateur de cacao.

Dans ces conditions là, il y a une analogie vers laquelle, la pensée pousse tout élément qui réfléchi à aller. C’est vrai, comparaison n’est pas raison mais pouvons-nous refuser l’hypothèse à vérifier que la communauté internationale ou une partie de celle-ci est en train d’accompagner le processus de partition de la Côte d’ivoire en utilisant les élections comme faire valoir pour qu’on voit au grand jour que ce que la rébellion armée n’a pas pu faire, que les circonstances électorales vont enfin permettre.

Alors, à qui profite le crime ?

Pr Malick Diop : En tout cas, il ne profitera pas à l’Afrique. Parce que les pays qui dépendent de la Côte d’Ivoire pour l’approvisionnement, ces pays là attendent de la Côte d’Ivoire nouvelle que la croissance y continue et que les circonstance apaisée s’y installe afin que l’Eléphant d’Afrique puisse donner le message de paix que nous attendons de cette Côte d’ivoire fraternelle, cosmopolite qui est en train de surmonter les écueils du racisme, du régionalisme, des différences d’ethnies et autres au profit de la construction de l’identité nouvelle que tout le monde attend, c’est-à-dire, une Côte d’ivoire ivoirienne dans une Afrique nouvelle.

Si vous aviez des pronostics par rapport à l’élection qui arrive, le profil de celui qui peut gagner et dont la victoire ferait du bien à la Côte d’ivoire ?

Pr Malick Diop : Ce vote ne peut être morale, acceptable pour la morale universelle que s’il revêt un coté référendaire. A savoir que la mémoire historique de la Côte d’Ivoire, battue en brèche par des corps expéditionnaires, faut-il oui ou non rétablir cette mémoire, cette légalité, au quel cas, la force restera à la loi et à la République ou alors, va-t-on favoriser l’émergence en Côte d’ivoire des contre modèle et des contre valeurs, signifiant que finalement en Afrique, on peut parfaitement chercher à prendre le pouvoir par tous les moyens y compris les armes avec l’aval d’une communauté internationale qui aujourd’hui a de la peine à expliquer pourquoi l’Etat légal a été désarmé face à l’envahissement de son territoire par des corps expéditionnaires dont on sait d’où ils viennent.

Propos recueillis à paris par : Etienne de Tayo

afriqueactu.net

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