La jeunesse ivoirienne entend tourner la page d’une décennie de crise

En ce dernier jour de campagne électorale, la jeunesse ivoirienne attend avec impatience le premier tour de la présidentielle. Reportage dans les rues d’Abidjan auprès d’une génération longtemps privée d’élections qui aspire à des jours meilleurs.
Par Guillaume GUGUEN , envoyé spécial à Abidjan (texte) Les apparences sont parfois trompeuses. Cécile a beau arborer un t-shirt à l’effigie de l’ancien président Henri Konan Bédié, la politique « ne l’intéresse pas spécialement ». Si cette jeune Abidjanaise de 30 ans a revêtu les couleurs du candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), c’est surtout pour signifier qu’elle accomplira, dimanche, son devoir de citoyenne en allant voter.

Comme des dizaines de milliers de ses compatriotes, Cécile n’a pas hésité à braver les longues files d’attente pour obtenir ses cartes d’identité et d’électeur, précieux sésames que les quelque 5,7 millions d’Ivoiriens inscrits sur les listes électorales peuvent aller retirer depuis le 6 octobre aux quatre coins du pays. Parfois au prix d’un long et coûteux voyage…

Installés depuis peu dans une capitale économique pleine de promesses, des milliers de diplômés et de jeunes travailleurs ont dû retourner dans leur village d’origine pour récupérer ces documents. Un trajet que nombre d’entre eux n’ont pas eu le temps ou les moyens de s’offrir. À quelques jours de l’ouverture des bureaux de vote, seules 40 % des cartes avaient en effet été délivrées dans l’intérieur du pays.

Système D et ambitions contrariées

Alors, à scrutin historique, mesure extraordinaire. Soucieux de voir le maximum de ses concitoyens se rendre aux urnes, le président sortant Laurent Gbagbo – candidat à sa succession sous les couleurs du Front populaire ivoirien (FPI) -, a profité d’un meeting, mardi, dans la commune populaire d’Abobo pour annoncer que ce vendredi serait chômé… Objectif : permettre aux retardataires d’aller chercher leurs papiers.

Propriétaire d’un maquis – un bar, NDLR – situé dans le quartier huppé des Deux Plateaux, à Abidjan, Sylvain, 26 ans, va devoir effectuer un long périple pour rejoindre l’isoloir. « Je suis né à Korogho, dans le nord du pays [ancien fief rebelle, NDLR] mais, depuis la crise, je refuse d’y remettre les pieds. Au moment du processus d’identification, je me suis enregistré à Mzinoua, à une centaine de kilomètres d’Abidjan. C’est là-bas que je vais devoir récupérer mes cartes et aller voter. »

En attendant de pouvoir glisser leur bulletin dans l’urne, les jeunes Abidjanais dissertent sur les enjeux d’une élection que beaucoup espèrent source de nouveaux espoirs. Dans sa petite boutique d’esthétique nichée au cœur du marché de Marcory, un quartier du sud de la ville, Cécile dorlote ses clientes en rappelant les obligations auxquelles devra se soumettre le nouveau président. « Celui qui prendra le pouvoir devra faire quelque chose pour la jeunesse », préconise-t-elle.

Mère d’une fillette de 6 ans, la jeune entrepreneuse doit subvenir seule aux besoins de sa famille. « Mon mari est diplômé, mais il n’a pas de travail. Après avoir payé le loyer, l’eau, l’électricité et la location du magasin à la mairie, nous sommes parfois obligés de demander de l’aide pour scolariser mon enfant. La vie est chère et il n’y a plus d’argent. Les jeunes filles qui viennent au marché n’ont pas les moyens de se faire belle », regrette la commerçante qui aurait aimé installer son activité dans les beaux quartiers d’Abidjan, loin de la cohue du marché.

Tourner la page

Même son de cloche chez François. Devant le bac à glace qui lui tient lieu d’échoppe, ce vendeur de boissons fraîches qui garde l’entrée du marché de Marcory se lamente de la détérioration des conditions de vie en Côte d’Ivoire. « Depuis la crise qui a secoué le pays, la nourriture est devenue chère. Un poulet entier revient à 2 500 francs CFA (F CFA). Pour manger convenablement, il faut compter 1 300 F CFA, or je n’en gagne que 2 000 par jour. »

Freinée dans ses ambitions, contrainte de se débrouiller pour survivre, la génération des moins de 35 ans, qui représente plus de la moitié de l’électorat d’Abidjan, aspire surtout au « changement ». Ali, jeune électricien de 29 ans qui ne dispose « même pas d’un sac pour ranger [s]es outils », choisira son poulain en fonction de ce qu’il a à proposer. « Beaucoup de gens votent encore selon les origines ethniques des candidats, sans tenir compte de leur programme », déplore-t-il.

Loin des clivages communautaires qui ont longtemps régi la vie politique ivoirienne, cette population urbaine attend du futur chef de l’État qu’il lui ouvre des perspectives à la hauteur de ses attentes. « Nous voulons de notre président qu’il soit entreprenant, honnête, et qu’il agisse avant tout pour l’intérêt du pays, lance Sylvain. Nous voulons un président qui émane de la volonté du peuple, un président élu à l’issue d’une élection libre et transparente. »

Appelée pour la première fois à désigner, parmi 14 prétendants, celui qui présidera aux destinées d’un pays cabossé par une décennie de crise, cette jeune génération semble bien décidée à vouloir tourner l’une des pages les plus tragiques de la Côte d’Ivoire. « Nous voulons surtout montrer au monde entier que nous sommes capables d’organiser des élections démocratiques », résume François, penché sur son bac à glace.

France24

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