Gbagbo: « Ce n’est pas moi qui vais perdre »

Par Antoine Malo – Le Journal du Dimanche lejdd.fr

Premier tour demain de la présidentielle ivoirienne. Le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, candidat à sa propre succession, est déjà persuadé de sa victoire. Interview.

« Je n’aime pas les interviews, je préfère écrire. » Ainsi Laurent Gbagbo conclut-il l’entretien qu’il vient d’accorder au JDD. Nous sommes au palais présidentiel d’Abidjan, au début de cette semaine. Le président ivoirien, 65 ans et candidat à sa propre succession lors de l’élection présidentielle qui se déroule demain, sort tout juste d’un meeting électoral dans une banlieue de la capitale. En campagne depuis le 15 octobre, il a multiplié les apparitions publiques. Face à lui, 13 candidats, dont deux autres historiques de la politique ivoirienne: Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Laurent Gbagbo ne craint ni l’un ni l’autre. « Je prendrai l’adversaire que les urnes me donneront. » Quelque 5,7 millions d’Ivoiriens sont invités à faire un choix. Cette élection est quasi inespérée, et historique puisqu’elle a été reportée à six reprises. Alors que, depuis 2002, le pays est coupé en deux, le Nord étant aux mains des ex-rebelles, les plus optimistes voient dans ce scrutin un moyen d’en finir avec une décennie de crise politico-militaire. Signe encourageant: la campagne électorale s’est déroulée dans le calme. « Je ne sais pas si la paix est gagnée, tempère Laurent Gbagbo. Mais si ces élections se déroulent normalement, on aura franchi un cap. »

Espérez-vous remporter cette élection dès le premier tour?
C’est une possibilité. Mais ce ne serait pas une défaite si j’allais au deuxième tour. L’important est, qu’au final, je remporte cette élection.

Si les sondages se trompent et que vous perdez, promettez-vous de ne pas vous accrocher pas au pouvoir?

Mais je ne promets rien à personne. Et puis les sondages ne peuvent pas se tromper à ce point. Nous avons fait depuis un an et demi, huit sondages et je suis toujours en tête.

Craignez-vous des violences autour de ce scrutin?

Oui, je les crains. Ces violences viendront de ceux qui perdront. Et comme ce n’est pas moi qui vais perdre…

La population ivoirienne s’appauvrit, le taux de chômage a été multiplié par deux. Etes-vous comptable de ce bilan?

On ne peut pas mettre de côté tout ce qui s’est passé! C’est parce qu’il y a eu la guerre que je suis resté dix ans au pouvoir. Et cette guerre que l’on nous a imposée est indissociable de la baisse du niveau de vie et de l’augmentation de la pauvreté. Moi, je suis plutôt fier d’avoir maintenu en place les institutions de la République.

Depuis que Guillaume Soro est votre Premier ministre, la situation s’est tout de même pacifiée…
Oui la paix est gagnée mais nous finançons aujourd’hui la sortie de crise, et non une politique de développement.

En quoi consiste le financement de cette sortie de crise?

Tout ceux qui appartiennent à la rébellion, tous ceux qui sont aujourd’hui ministres, eh bien nous les payons pour avoir la paix, la tranquillité et que l’on puisse aller aux élections.

«Quand on signe un contrat avec les Chinois, ils ne vont pas voir si on a des gens dans nos prisons.»

L’élection va-t-elle modifier la situation dans le Nord, zone contrôlée par les Forces nouvelles?
Oui, l’élection peut changer les choses. Si la situation d’exception est terminée, le nouveau Président pourra leur dire: « Faites vos bagages et foutez le camp! » Nous organisons ces élections pour que cela marque une étape.

Si vous êtes réélu, Guillaume Soro sera-t-il toujours votre Premier ministre?

Ce n’est pas une préoccupation pour moi.

Il a été un bon Premier ministre?

Oui, dans le contexte que nous avons dû traverser. J’ai eu quatre Premier ministre, dont trois de crise. Soro Guillaume a été le plus efficace. Il nous a amené jusqu’aux élections. Je dis chapeau et merci

Si l’on revient sur votre bilan, côté économique, il n’est pas très bon. Le FMI constate des progrès mais dit aussi que les réformes structurelles ne vont pas assez vite. C’est ce qui expliquerait notamment les problèmes d’électricité…

C’est faux. Le FMI nous recommandait d’augmenter le prix de l’électricité. J’ai refusé car ce n’est pas dans une situation de paupérisation générale, qu’il faut augmenter les prix. En ce qui concerne les pénuries d’électricité, l’explication est matérielle. La turbine d’une de nos centrales est tombée en panne.

Les Ivoiriens disent que l’argent n’avait pas été investi pour les maintenir en état…

Les gens racontent souvent n’importe quoi.. Par ailleurs, on a un contrat avec Bouygues sur la distribution de l’électricité. Je pense que ce contrat que j’ai signé en 2005 n’est pas très bon. Après les élections, on va donc pouvoir le relire ensemble. Enfin, nous sommes en train de négocier un nouveau barrage avec deux organismes : l’un dépendant de la Banque mondiale, l’autre chinois.

La Chine, c’est l’avenir de l’Afrique?

Non, mais lorsqu’on demande aux Chinois de faire quelque chose, ils le font sans nous traiter comme le fait l’Occident. Quand on signe un contrat avec eux, ils ne vont pas voir si on a des gens dans nos prisons ou s’il y a un problème de droits de l’homme. Et puis les taux auxquels ils prêtent sont très accessibles. Si les occidentaux veulent avoir les marchés que décrochent les Chinois, ils n’ont qu’à s’aligner.

Si vous êtes élu, allez-vous redéfinir un nouveau partenariat avec Paris?

On a déjà commencé à discuter avec Claude Guéant. C’était une discussion encourageante entre gens civilisés.

Demandez-vous à la France de faire repentance pour les événements de 2004?

Non, on n’en est pas encore là. Mais je pense que Paris a compris que nous estimonsque l’Etat français sous la direction de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin nous a fait du tort. Et ça, c’est une bonne base. …

La Force Licorne doit-elle encore rester en Côte d’Ivoire?

Quand les élections seront terminées, elle devra s’en aller. Je suis d’ailleurs content que le 3e Bima soit parti.

«Chirac ne savait pas que je comptais les jours jusqu’à son départ.»

L’Affaire de la disparition de Guy-André Kieffer continue de peser dans les relations avec la France. Le juge Ramaël, chargé de l’enquête, n’a pas pu rencontrer ses homologues ivoiriens lorsqu’il est venu en début du mois…
Ca c’est son problème, ce n’est plus le mien. Au début, quand on m’a dit que ce monsieur avait disparu, j’ai mobilisé toutes les forces, la gendarmerie, la police. J’ai aussi reçu ses deux femmes. Mais je me suis rendu compte que le juge Ramaël utilisait cette affaire à des fins politiciennes. Donc je m’en suis lavé les mains. Il n’a qu’à se débrouiller tout seul.

Vous ne souhaitez pas faire la lumière sur cette disparition?

Bien sûr que je souhaite que les choses s’éclaircissent. Plus tôt la lumière sera faite, plus tôt ce juge-là nous fichera la paix! Je ne comprends pas pourquoi il veut absolument que des personnalités ivoiriennes aient participé à l’enlèvement de M. Kieffer.

Certains de vos proches sont effectivement mis en cause…

Eh bien que l’on porte plainte contre eux. Je ne sais pas qui est plus intéressé par les retombées de la filière café-cacao (Sur laquelle enquêtait Guy-André Kieffer) que moi, le chef d’Etat de la Côte d’Ivoire. On n’a pas de leçons à recevoir de l’extérieur. Je ne suis pas un homme d’argent et je n’ai pas envie de l’être. Je ne suis pas un voleur et je n’ai pas envie de l’être. Donc, je ne veux couvrir aucun voleur. Si nous découvrons qu’il y a des malversations chez nous, nous sommes assez grands, nous, Ivoiriens, pour nous y attaquer.

On vous surnomme le boulanger d’Abidjan, pour votre capacité à rouler vos adversaires dans la farine. Vous appréciez?

J’en suis content. Tous les dirigeants politiques qui ont marqué leur époque ont hérité d’un surnom. Le mien veut dire qu’au fond, je suis plus fort que mes adversaires.

Jacques Chirac vous l’avez roulé aussi?

In fine peut-être. Chirac, il ne savait pas que je comptais les jours jusqu’à son départ. Je connais bien la Constitution française et je savais combien de temps il lui restait. Je comptais vraiment les jours.

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