Côte d’Ivoire – Gbagbo ne lâchera rien

Après cinq ans d’attente, le premier tour de l’élection présidentielle a consacré deux vieux briscards de la vie politique ivoirienne. Le président sortant compte bien s’imposer fin novembre.

Henri Konan Bédié, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), arrivé en troisième position (avec 25 % des suffrages), a appelé ses partisans à voter le 21 novembre pour Alassane Ouattara, le candidat du Rassemblement des républicains (RDR), qui a obtenu 32,07 %. L’ancien Premier ministre talonne le président sortant, Laurent Gbagbo, qui, lui, a recueilli 38,04 % des voix.

Les observateurs se frottent encore les yeux. L’élection présidentielle ivoirienne maintes fois reportée a enfin déroulé son premier acte, le 31 octobre. Il en faudra un second pour clore enfin le quinquennat de dix ans du président Gbagbo. Un mandat qui fut, pour l’ancien opposant historique, aussi prolongé que fut réduite sa zone d’influence depuis le coup d’Etat manqué du 19 septembre 2002. Après la disqualification, dimanche dernier, d’Henri Konan Bédié et de onze autres candidats, un second tour opposera donc Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara. Chacun des qualifiés a obtenu environ un tiers des suffrages, avec un léger avantage pour le sortant. L’onction démocratique définitive de l’un ou de l’autre, si elle ne réveille pas des tensions ethniques ou, pour le moins, régionalistes, sera, bien sûr, un pas formel vers la normalisation économique.

Toujours les mêmes acteurs

La locomotive ouest-africaine de la fin du xxe siècle est devenue une micheline poussive au début du xxie. Si la banqueroute a été évitée grâce au cacao, il n’en reste pas moins que nombre d’entreprises ou d’institutions internationales, coincées entre loyalistes et rebelles, se sont délocalisées, effrayées par les odeurs de poudre. A l’issue du second tour de la présidentielle 2010, à condition que le verdict des urnes soit accepté par tous, la confiance des investisseurs devrait être au rendez-vous de la capitale économique, Abidjan.

La capitale politique, Yamoussoukro, connaîtra-t-elle pour autant un renouveau ? Le casting de ce nouveau film ivoirien a distribué les premiers rôles aux mêmes sempiternels acteurs : l’ancien président Henri Konan Bédié, l’actuel président Laurent Gbagbo et le dernier Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara. Si les visages ne changent pas, le scénario sera-t-il original ? Pour l’heure, le scrutin a écarté Bédié comme le coup d’Etat de Noël 1999 (celui qui porta le général Gueï au pouvoir) l’avait évincé du fauteuil suprême. Pas de coup de théâtre… Si le deuxième tour consacrait Laurent Gbagbo comme ce fut le cas en 2000, le parfum de remake se ferait plus insistant. Après tant de circonvolutions militaro-politiciennes, ce très long métrage mériterait d’être baptisé “Beaucoup de bruit pour rien”. Le renouveau viendra-t-il d’une élection d’Alassane Ouattara ? Pas sûr. Celui-ci ne construit-il pas son image de présidentiable sur la nostalgie des années où il pilotait la Côte d’Ivoire aux côtés d’un Houphouët en bout de course (de novembre 1990 à décembre 1993) ? Pas de révolution en vue, mais un peu de suspense tout de même, tant la volatilité des positionnements politiques rend tout pronostic hasardeux pour le second tour. Conclue à Paris en 2005, l’alliance des houphouëtistes a bien cultivé le “TSG” – Tout sauf Gbagbo – qui pourrait mathématiquement conduire à l’alternance. Mais l’houphouëtiste naturel Henri Konan Bédié ne s’était-il pas allié à Gbagbo dans un “TSO” – Tout sauf Ouattara – à l’orée de la précédente présidentielle ? De quoi éparpiller les suffrages des aficionados déboussolés de Bédié.

Si la vraie révolution ivoirienne devait venir d’un renouvellement du personnel politique, le scénario original aurait peut-être, après un mandat présidentiel de normalisation, un accent burkinabé. Avec ou sans Ouattara. Depuis quinze ans, ce dernier a cristallisé le rejet des vieux crocodiles qui finirent par enfanter le concept d’ivoirité, une définition restrictive de la nationalité ivoirienne. Pour être devenu présidentiable après la mort du père de la Nation, Houphouët-Boigny, en 1993, il se verra rappeler qu’il s’était prévalu de la nationalité voltaïque (de la Haute-Volta, devenue Burkina Faso) dès 1969. Il sera alors vilipendé comme “candidat de l’étranger”, inspirant parallèlement une solidarité diffuse des ressortissants du Nord, jusqu’à la division du pays en deux zones, après le coup d’Etat manqué de 2002.

L’ombre du Burkina Faso

Le renouvellement décisif du casting dans la politique ivoirienne devra moins à une hypothétique élection de Ouattara qu’à la fulgurante ascension de celui qui attend son heure : le leader des Forces nouvelles (coalition de mouvements rebelles très actifs en 2002) devenu Premier ministre, Guillaume Soro. Moins de prise à l’ivoirité que Ouattara ; moins de gènes burkinabés ; mais aussi moins de gêne à consulter ouvertement le régime du Faso. Jamais pressé, le pompier-pyromane Compaoré (actuel président du Burkina Faso) pourra rire sous cape, quelle que soit l’issue du second tour de l’élection. Si Ouattara fut sa prétendue marionnette, Gbagbo fut son protégé dans les années d’exil. Et Soro est sa créature la plus récente.

10.11.2010Ernest Diasso|Journal du jeudi

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