Ouattara, une victoire contestée

Par Mireille Duteil – lepoint.fr

Quelques heures après l’annonce des résultats provisoires annonçant Alassane Ouattara, vainqueur de la présidentielle ivoirienne, le Conseil constitutionnel a invalidé ces résultats.

Il y a si longtemps qu’il attendait ce jour ! Le 29 novembre au soir, Alassane Dramane Ouattara, ADO comme l’appellent les Ivoiriens, sait déjà qu’il a gagné son bâton de maréchal : il sera le quatrième président de la République ivoirienne.

Dans l’attente des résultats officiels, la Côte d’Ivoire retient son souffle. À Abidjan, les écoles ont fermé à 13 heures et les entreprises à 17 heures afin que petits et grands rentrent chez eux avant le couvre-feu. Les jours précédents, des affrontements entre jeunes partisans de Laurent Gbagbo, le président sortant, et d’Alassane Ouattara, ont fait sept morts. Chacun craint le pire. Chrétiens contre musulmans, Nord contre Sud, le pays est profondément divisé par huit ans de guerre civile. Laurent Gbagbo, le très ambitieux président sortant, va-t-il accepter sa défaite ? « Le pire semble devant nous », s’inquiètent dans un communiqué des responsables religieux chrétiens et musulmans.

À 68 ans, grand, svelte, souriant, toujours tiré à quatre épingles, l’allure réservée d’un haut fonctionnaire, calme et pondéré, Alassane Ouattara symbolise paradoxalement le changement et la continuité. Changement, car ADO, l’homme le plus détesté et le plus admiré du pays, est un musulman très modéré d’une famille originaire du nord du pays (le fief des Dioulas, l’ethnie majoritaire qui rassemble 40 % des Ivoiriens) dans un pays traditionnellement dirigé par un chrétien issu du centre ou du sud. Pour une partie des Ivoiriens, c’est une révolution. Continuité aussi, celle d’Houphouët-Boigny, dont cet économiste et banquier fut le Premier ministre de 1990 à 1993. Il avait alors relevé un pays qui partait, financièrement, à vau-l’eau, laissant le souvenir d’un excellent gestionnaire intègre.

L’anti-Gbagbo

Alassane Ouattara, c’est l’anti-Gbagbo. Les deux hommes sont comme l’eau et le feu. Un temps alliés politiquement, à la fin des années 1990, quand tous deux étaient des opposants au président Henri Konan Bedié, ils deviendront rivaux après le coup d’État militaire de Noël 1999 qui renversa Konan Bedié.

L’un, Gbagbo, est un politicien roublard et bon vivant, issu d’un milieu populaire, tribun aux « pieds dans la glaise » qui ne vit que pour la politique et se dit volontiers « socialiste non pratiquant ». Il compte nombre de socialistes français parmi ses amis.

L’autre, Ouattara, aux allures de grand bourgeois, prône un libéralisme économique « à visage humain ». Pendant sa campagne électorale, il est sorti de son habituelle réserve pour sillonner la brousse et écumer les quartiers populaires, une casquette de base-ball sur la tête. Une façon de répliquer à ses détracteurs, qui l’accusent d’être trop occidentalisé. Il a longtemps vécu aux États-Unis et en France, à Paris et à Mougins. Il y compte de nombreux amis dont Dominique Strauss-Kahn, Nicolas Sarkozy et Martin Bouygues qui assistèrent autrefois à son mariage avec une Française de Côte d’Ivoire, Dominique, femme d’affaires devenue sa meilleure conseillère.

Son rêve ? Réconcilier son pays avec lui-même

Pour les Ivoiriens musulmans, Ouattara est une véritable idole. Et le symbole de l’injustice de ces quinze dernières années. Pour l’écarter du pouvoir, ses adversaires, Bedié d’abord, Gbagbo ensuite, l’ont tenu à l’écart de la course électorale en contestant sa nationalité ivoirienne, n’hésitant pas à jouer sur la corde ethnique qui allait mettre le pays à feu et à sang.

Alassane Ouattara est, pourtant, né le 1er janvier 1942 à Dimbokro, dans le centre de la Côte d’Ivoire. Mais son père, commerçant aisé issu d’une grande famille musulmane du Nord, s’installe pour ses affaires au Burkina-Faso lorsque ADO est adolescent. Après des études aux États-Unis (il obtient un PhD en sciences économiques), il entre au FMI à 26 ans. Il en gravit les échelons, devient gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest en 1988 avant d’être appelé, deux ans plus tard, par Houphouët-Boigny pour diriger le gouvernement puis de retourner au FMI comme directeur général adjoint avant de rentrer au pays. Il y vivra des années difficiles, manquera d’être assassiné en 2002, se réfugiera à l’ambassade de France puis à Paris.

Son rêve ? Réconcilier son pays avec lui-même, le remettre en ordre de marche et l’ouvrir sur le monde après des années d’enfermement. Une tâche difficile après les obstructions mises par le président sortant, qui n’entendait pas voir annoncer la victoire de son rival.

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