« Laurent Gbagbo aurait pu entrer dans l’Histoire »

« Laurent Gbagbo aurait pu entrer dans l’Histoire »
•Par Sabine Cessou

liberation.fr

Mamadou Diouf, historien renommé, directeur du département des Etudes africaines à l’Université de Columbia (New York), se dit « déçu » par l’attitude de Laurent Gbagbo, qui conteste les résultats donnés par la Commission électorale indépendante (CEI), conférant à Alassane Ouattara 54,1 % des voix.

Comment analysez-vous la situation d’aujourd’hui en Côte d’Ivoire ?

Pendant cinq ans, la communauté internationale n’a pas voulu voir que Laurent Gbagbo n’allait pas organiser des élections parce qu’il allait les perdre. Il les a organisées, il les a perdues. Laurent Gbagbo aurait pu être un héros, s’il avait su s’en tenir à l’idée qu’un président ne doit pas faire plus de deux mandat. Il a fait un mandat légal, à partir de 2000, puis un mandat informel, en reportant les élections pendant cinq ans. S’il avait su aider la Côte d’Ivoire à gérer sa crise et partir, il serait rentré dans l’histoire. C’est la valeur de ce vieil homme extraordinaire qu’est Nelson Mandela : il n’a fait qu’un mandat et s’est retiré après avoir vraiment aidé son pays à faire sa transition.

Les frontières ont été fermées aujourd’hui, et la Cour constitutionnelle a proclamé Laurent Gbagbo vainqueur…

Je suis déçu par ce coup d’Etat constitutionnel, avec possibilité d’un massacre contrôlé, hors de la vue des gens, qui ne va rien régler. Je suis malheureux pour la Côte d’Ivoire. On avait attendu que Laurent Gbagbo agisse en homme d’Etat. Lui qui est un historien, il sait quel rôle il peut jouer, au lieu d’avoir une situation où tout le monde a peur d’une guerre civile ! La communauté internationale doit jouer son rôle, pour aider les électeurs ivoiriens à comprendre que leurs suffrages comptent.

Faut-il encore organiser des élections dans certains pays d’Afrique ? La Guinée, par exemple, n’est-elle pas sortie plus meurtrie d’un scrutin présidentiel qui l’a divisée entre communautés ?

En Guinée, où la démocratie est fragile, on assiste à un jeu à somme nulle. La logique qui prévaut est celle-ci : « Si tu perds, tu es mort, et si tu gagne, tu fais tout pour préserver le pouvoir et détruire les opposants ». Il n’y a pas l’idée démocratique, qui consiste à penser que si j’ai gagné cette fois-ci, la prochaine fois, je peux perdre. Cela étant, d’énormes leçons ont été apprises, avec des sociétés africaines en proie à des bouffées démocratiques. Abdou Diouf a perdu en 2000 au Sénégal, Laurent Gbagbo a perdu en Côte d’Ivoire et le même scénario s’est produit au Kénya. Cela étant, dans la plupart des cas, les chefs qui bénéficient de l’alternance se métamorphosent et reprennent l’habit des anciens chefs.

L’ethnicité est-elle une entrave à la démocratie ?

On réduit l’ethnicité à ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Or, la logique de manipulation de l’ethnie a été inaugurée par les empires coloniaux. L’histoire des ethnies n’est pas une histoire de conflits mais une histoire de coopération entre des groupes différents, qui reconnaissent leurs différences, et que l’histoire a fait évoluer. Il y a une économie morale de l’ethnicité très différente du tribalisme politique, qui se réduit à l’utilisation systématique de ressources ethniques dans la politique. On le voit en Guinée, en Côte d’Ivoire, il faut ouvrir ces débats importants, pour montrer qu’il n’existe pas de logique unique, mais qu’il y a bel et bien des alternatives.

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