Le risque d’une crise politique grandit en Côte d’Ivoire

par Loucoumane Coulibaly et David Lewis

ABIDJAN (Reuters) – Le risque d’une violente confrontation entre partisans d’Alassane Ouattara et de Laurent Gbagbo grandit en Côte d’Ivoire, où la commission électorale a proclamé la victoire de l’ancien Premier ministre alors que le Conseil constitutionnel a annoncé celle du président sortant.

Un proche d’Alassane Ouattara, annoncé vainqueur de l’élection présidentielle jeudi par la Commission électorale indépendante (CEI) avec 54,1% des voix, a mis en garde contre une nouvelle guerre civile, alors que le scrutin devait favoriser la réunification du pays.

Alassane Ouattara n’acceptera aucune tentative juridique d’inverser ce résultat, a prévenu vendredi un haut responsable de sa campagne, Amadou Gon.

Peu après, un porte-parole du Conseil constitutionnel a pourtant affirmé que la lecture détaillée des résultats avait montré des irrégularités et que le total révisé donnait 51% des voix à Laurent Gbagbo et 49% à Alassane Ouattara.

L’institution, seule habilitée à valider les résultats de l’élection présidentielle, est dirigée par un proche du président Gbagbo, Paul Yao N’Dré, qui avait déjà jugé illégale l’annonce faite par la CEI, car étant intervenue après l’expiration du délai prévu, mercredi à minuit.

La télévision d’Etat n’a donné aucun résultat et le journal pro-Gbagbo, Notre Voie, titre vendredi: « Proclamation de faux résultats – Le coup d’Etat de la France a encore échoué ».

Paris, comme les Nations Unies et les Etats-Unis, a appelé les candidats à respecter le jugement du peuple ivoirien.

ABIDJAN AU RALENTI

Le président sortant avait réclamé l’annulation dans quatre régions du Nord, fief de son adversaire.

Laurent Gbagbo accuse les rebelles partisans de Ouattara d’y avoir manipulé les résultats et intimidé les électeurs. Mais selon les résultats donnés par la CEI, il faudrait annuler près de 400.000 votes pour donner la victoire au président sortant.

Gbagbo a toujours fait usage d’une rhétorique populiste et nationaliste, rappelle Gilles Yabi, estimant qu’une communauté internationale trop ouvertement favorable à l’ex-directeur adjoint du FMI ferait donc le jeu du président sortant.

Interrogé par Reuters, Pascal Aff N’Guessan, son directeur de campagne, a insisté sur le fait que « le Conseil constitutionnel était l’institution compétente pour proclamer les résultats définitifs de l’élection ».

Abidjan, la capitale économique, donnait vendredi l’image d’un pays dans l’attente. Le centre-ville ne grouillait pas de taxis, les magasins sont restés fermés et le port, d’où part normalement une grande partie de la demande mondiale de cacao, tournait au ralenti. Le cours du cacao a fortement grimpé jeudi, le marché craignant l’arrêt des exportations ».

FRONTIÈRES FERMÉES

Signe d’un climat électoral tendu, un couvre-feu a été instauré par Gbagbo avant le scrutin, une élection censée constituer un pas important vers la réunification du pays après des années de guerre civile et d’incertitude politique.

« C’est un bras de fer juridique qui peut faire basculer le pays dans la violence. Je pense que le pays a assez souffert et qu’on en avait pas besoin », dit Jeanne Assiri, femme d’affaires de 27 ans rencontrée à Abidjan.

« Pour moi, la commission électorale n’avait plus le droit de donner des résultats après le délai », estime Claude Kouadio N’Da. « Si le Conseil constitutionnel dit que Alassane (Ouattara) a gagné, on va accepter. »

L’armée a fermé toutes les frontières jeudi soir « jusqu’à nouvel ordre », sans donner d’explication, et l’annonce des résultats a été faite sous haute protection de l’Onu, dans un hôtel plutôt qu’au siège de la CEI.

L’organisme de régulation des médias a également suspendu la diffusion en Côte d’Ivoire des chaînes de télévision Canal+ Horizon, France 24, TV5 Monde et des radios RFI et BBC FM.

La Cour pénale internationale (CPI) a fait savoir qu’elle serait particulièrement attentive aux actes de violence dans le pays. Des incidents ont été signalés à Abidjan depuis le deuxième tour, faisant plusieurs morts par balles.

Clément Guillou pour le service français, édité par Gilles Trequesser

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