Antoine Glaser: « L’intervention d’une force interafricaine n’est pas à exclure »

Le spécialiste de l’Afrique, journaliste-écrivain, décrypte pour Le Point.fr la crise politique qui secoue le pays

Le Point.fr

Par Chloé Durand-Parenti Le Point.fr : Comment expliquer que le Conseil constitutionnel ait proclamé la victoire de Laurent Gbagbo, alors que la Commission électorale indépendante avait annoncé celle d’Alassane Ouattara ?

Antoine Glaser : La Commission électorale indépendante (CEI) qui a proclamé vainqueur Alassane Ouattara est composée, à parts égales, de partisans de Laurent Gbagbo et de partisans de l’opposition. Elle est donc réellement indépendante, tandis que le Conseil constitutionnel, lui, est totalement à la solde de Gbagbo qui y a placé des proches. Le président de ce conseil, Paul Yao-Ndré, nommé en août dernier, est un agrégé de droit, et non un magistrat comme cela était le cas auparavant. Il faut comprendre que Laurent Gbagbo a toujours un coup d’avance. Ce Conseil constitutionnel est son joker pour rester au pouvoir, tout en étant, de son point de vue, toujours dans le droit. Ainsi, pour proclamer l’élection de Laurent Gbagbo, le Conseil constitutionnel a invalidé, sous prétexte de fraudes, tous les résultats du nord du pays où Ouattara avait rassemblé le plus de voix.

Quels sont les risques d’embrasement du pays, d’éclatement d’une guerre civile ?

Les risques sont extrêmement difficiles à évaluer et la situation tout à fait inédite. On a déjà vu, dans beaucoup de pays, deux candidats se proclamer président simultanément. En revanche, on a rarement vu deux présidents, deux Premiers ministres et deux gouvernements. Il y a déjà des violences politiques et les rebelles du Nord ont fait savoir qu’ils ne resteraient pas les bras croisés. Cela dit, Alassane Ouattara n’a pour l’heure fait appel ni à ses partisans pour qu’ils descendent dans la rue ni aux chefs rebelles pour qu’ils déferlent sur Abidjan. Il sait qu’il a, pour lui, le droit et le soutien de la communauté internationale et du Conseil de sécurité des Nations unies, à l’exception toutefois de la Russie. Sa stratégie consiste donc à ne pas se rendre responsable d’une guerre civile. Laurent Gbagbo, de son côté, continue de mobiliser ses troupes sur une base nationaliste en faisant de Ouattara le président de l’étranger appuyé par l’Occident.

Cette crise politique a-t-elle une base ethnique ?

Non, même s’il y a une réalité politico-ethnique dans ce pays, comme dans beaucoup d’autres. La Côte d’Ivoire, c’est un peu l’histoire de trois hommes dans un bateau. Laurent Gbagbo, qui est bété (15 % de la population), a tout de même fait 38 %, beaucoup de jeunes urbains ayant voté pour lui. L’ancien président, de nouveau candidat, Henri Konan Bédié, a généralement derrière lui beaucoup de baoulés. Cependant, nombre d’entre eux ont, cette fois-ci, voté pour le candidat musulman du Nord, Alassane Ouattara, parce qu’à leurs yeux il représentait plus le changement que Bédié, 76 ans. Ce qui se joue est une question de pouvoir, pas une question ethnique.

Peut-on envisager une sécession du nord du pays majoritairement pro-Ouattara ?

Non, c’est totalement impossible parce que la sécession est réalisée de fait depuis 2002. Les gens s’étaient installés dans un statu quo avec le Nord, où les chefs rebelles levaient l’impôt et exportaient le coton vers les pays voisins, et le Sud, où Laurent Gbagbo vivait très bien sans problème avec les revenus du cacao et l’appoint des recettes du pétrole et du gaz.

Pourquoi Laurent Gbagbo a-t-il organisé cette élection maintenant ? Était-il si persuadé de gagner ?

Parce qu’il était persuadé de remporter cette élection, peut-être même dès le premier tour. Jusqu’à présent, ses challengeurs, très souvent en villégiature en France, n’avaient pas fait preuve d’une grande combativité. Dans un premier temps, Laurent Gbagbo pensait que, s’il y avait un second tour, ce serait un duel entre lui et Henri Konan Bédié. Puis, dans un second temps, il a sous-estimé le report de voix des Baoulés, soutenant Bédié, sur la candidature d’Alassane Ouattara au deuxième tour. Et, surtout, il est totalement resté sourd à la volonté de changement dans son pays.

Alassane Ouattara est-il assurément plus démocrate que Laurent Gbagbo ?

On peut dire que, jusqu’à présent, il n’a jamais revendiqué ni coup d’État ni quoi que ce soit de ce genre. Il a joué les urnes et la carte de la démocratie jusqu’à cette élection. C’est un haut fonctionnaire international qui a été gouverneur de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest. Ce n’est pas un combattant comme Laurent Gbagbo.

Laurent Gbagbo peut-il espérer conserver durablement le pouvoir compte tenu de la pression internationale ?

Il peut garder le pouvoir à court terme, mais il va forcément se passer quelque chose. Il a, pour l’instant, le soutien de l’armée qui ne s’est pas divisée. Cependant, on imagine mal qu’il n’y ait pas un coup de force compte tenu de la position de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et du puissant Nigeria. On va voir les décisions qui seront prises, mais l’intervention d’une force interafricaine n’est pas à exclure. Le problème, c’est que, lorsque le Nigeria est intervenu dans des pays voisins, il y a toujours eu beaucoup de dommages collatéraux au niveau des populations. Ce que j’exclus, pour l’instant, c’est que Laurent Gbagbo cède gentiment le pouvoir à Alassane Ouattara, en échange d’une sorte d’impunité future.

Les Français expatriés sont-ils menacés ?

Il y a eu des menaces contre des journalistes français qui ont beaucoup de mal à travailler là-bas puisqu’ils sont quasiment les seuls à avoir relayé l’annonce de l’élection d’Alassane Ouattara par la CEI, puisque les médias locaux sont totalement aux mains du régime. Mais, en dehors de cela, il faut aussi savoir que Laurent Gbagbo, qui a été l’homme qui disait non à la France sur le plan politique, a toujours fait très attention aux intérêts économiques français, d’une façon très schizophrène, mais aussi très fine politiquement. La plupart des Français qui sont sur place continueraient sans doute volontiers de travailler avec lui.

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