Côte d’Ivoire: « la moindre intervention de l’Occident mettrait le feu aux poudres »

Propos recueillis par Alain Léauthier IN marianne2.fr

Et si la communauté internationale se trompait ? Ou péchait par ignorance. À l’heure où la situation en Côte d’Ivoire semble plus volatile que jamais, ceux qui contestent la régularité de l’élection d’Alassane Ouattara se font de plus en plus rares. Quelques caciques socialistes persistent, tels Henri Emmanuelli, François Loncle ou encore Guy Laberit qui après avoir joué les « Monsieur Afrique » du PS tient désormais ce rôle à la Fondation Jean Jaurès. Il fût et reste l’ami personnel de Laurent Gbagbo et son hôte quand le « boulanger d’Abidjan » était en exil à Paris, au début des années quatre-vingt. Des chercheurs aussi s’interrogent sur les conditions de l’élection, plus particulièrement dans les provinces du Nord qui ont littéralement plébiscité Alassane Ouattara. C’est le cas de Michel Galy (1), politologue au Centre d’étude sur les conflits et bon connaisseur de la Côte d’Ivoire. Il se trouvait encore à Abidjan quand Marianne2 a réalisé avec lui cette interview, le mardi 7 décembre 2010.

Marianne : Avant le premier tour vous vous réjouissiez des progrès de la pacification et de la démocratisation du pays. Aujourd’hui, vous déchantez ?
Michel Galy : Je suis bien obligé de faire mon mea culpa. Même si les violences restent assez marginales dans la capitale, elles s’étendent en province. Et la moindre intervention de l’Occident, que ce soit les troupes de l’Onuci (Opération des Nations-Unies en Côte d’Ivoire) ou à fortiori les militaires français, mettrait le feu aux poudres. Oui c’est un échec, mais faut-il encore savoir ce qui a échoué.

Le dépassement du vote ethno-régional par exemple ?
Cela dépend où. À Abidjan, il y a un métissage de populations et d’opinions. Pour diverses raisons, Gbagbo y reste largement en tête, son discours anti-colonialiste séduit les jeunes et les défavorisés. Ailleurs dans les campagnes, il est certain qu’on a beaucoup voté selon son appartenance ethno-régionale.

Vous doutez de la régularité du scrutin dans le Nord et pourtant les observateurs internationaux n’ont rien relevé de dramatique….
Le Nord vit depuis des années sous le strict contrôle des Forces Nouvelles (les ex-rebelles qui n’ont jamais vraiment désarmé, ndlr). La pluralité des sources d’information n’y existe pas. Celle-ci est partielle et partiale. Dans les villages Sénoufos, les gens étaient convaincus qu’en cas d’élection de Gbagbo, il y aurait de grands massacres pour les éliminer. Rien d’étonnant si après vous vous retrouvez avec des scores de 90 ou 95% pour Ouattara.

Mais si le vote a été obtenu à la régulière…
Des représentants du parti de Gbagbo ont été molestés et la télévision ivoirienne, contrôlée par son parti, ne s’est effectivement pas privée de diffuser les images en boucle. La rumeur affirme qu’il y aurait même eu des scrutateurs pro-Gbagbo tués. Ailleurs on a falsifié des procès-verbaux de vote et dans certaines bourgades, il y a eu plus de votants que d’habitants. Les observateurs internationaux n’ont rien vu de tout cela, parce que le Nord est étroitement quadrillé par les Forces Nouvelles. On les a baladés, voilà la vérité… Alors, entre les PV truqués et les pressions…

Le représentant de l’ONU affirme que même en tenant compte des cas de fraudes signalés par le camp Gbagbo, Ouattara l’aurait quand même emporté ?
Je ne peux pas me prononcer. Mais les résultats sont vraiment troublants. Que Gbagbo ait fait un score dérisoire dans le Nord peut se comprendre, à cause de la guerre civile et de l’évolution démographique de ces province. Mais Henri Konan Bédié (l’ex-président de 1993 à 1999, éliminé au premier tour et qui s’est allié avec Ouattara, ndlr) y disposait d’une certaine audience. Or, lui aussi récolte des miettes.

Et sur le plan du droit…
Il n’y a pas la moindre ambiguïté : il revenait bien au Conseil constitutionnel de proclamer le résultat. Lequel, par ailleurs, est entièrement aux mains des partisans de Gbagbo comme la Commission électorale indépendante était aux deux tiers dominée par l’opposition.

Va-t-on vers une partition de fait ?
Vu d’Occident, ce serait d’une certaine manière la moins pire des solutions, au moins pendant un certain temps. Mais ce serait sous-estimer un certain nationalisme ivoirien qui s’accommodera mal d’une telle situation. Il faut espérer que des médiations, celle de l’Église par exemple, permettront d’éviter la catastrophe.

(1) Michel Galy est l’auteur de « Guerres nomades et sociétés ouest-africaines », aux éditions de L’ Harmattan.

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