Côte-d’Ivoire: «Gbagbo semble déterminé à ne pas quitter le pouvoir»

TCHATLes partisans de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara s’affrontent depuis hier dans les rues d’Abidjan, laissant craindre une généralisation de la violence sur tout le territoire. Thomas Hofnung, spécialiste de l’Afrique à Libération, a répondu à vos questions.

Phil. Il semble que pour l’instant l’armée loyaliste ait le dessus en terme d’armement, que vont faire les Forces nouvelles, comment peuvent-elles trouver des appuis?

Thomas Hofnung. Il est vrai que l’armée loyaliste dispose d’un armement bien supérieur à celui des Forces nouvelles, mais ces dernières peuvent compenser cet handicap par une motivation accrue, et en menant des opérations surprises hors d’Abidjan. Hier, les FN et les soldats loyalistes se sont affrontés sévèrement à Tiébessou, si elles parvenaient à en prendre le contrôle elles pourraient, dans ce cas, s’emparer de Yamoussoukro. Une telle prise aurait sans doute un effet psychologique important au sein de l’armée loyaliste, pouvant entraîner des défections.

Armelle. Ces affrontements étaient inévitables, vers quelle issue? Une partition Nord-Sud de la Côte-d’Ivoire est-elle envisageable?

Pour l’heure, Alassane Ouattara veut tout faire pour éviter une partition Nord-Sud, c’est pour cette raison qu’il reste retranché à l’hôtel du Golf. Il est le président de tous les Ivoiriens, et pas seulement de ceux du Nord qui ont voté massivement pour lui. Mais si le blocage perdure, il est certain que les pressions dans son entourage augmenteront pour l’inciter à s’installer à Bouaké, la principale ville de la moitié Nord du pays.

THY. Le vote dans les zones CNO pouvait-il être sincère alors que les rebelles du MPCI (mouvement patriotique de la Côte-d’Ivoire) étaient toujours armés et sachant qu’ils ont pris fait et cause pour Ouattara?

D’éventuelles pressions des FN sur les électeurs dans la moitié Nord ne sont pas à exclure. Mais en dépit de quelques irrégularités, les Nations Unies ont considéré que le vote dans cette partie du territoire s’était déroulé dans un environnement «globalement démocratique». Le camp Gbagbo a dénoncé des violations massives, qui n’ont été confirmées par aucune instance indépendante. Les préfets de ces régions ont, au contraire, abondé dans le sens de l’ONU. Seul le Conseil constitutionnel a été dans le même sens que Gbagbo, mais on sait qu’il est acquis à sa cause.

Gege. Les dernières déclarations de Sarkozy ne vont-elles pas déclencher une vague anti-francaise?

Jusqu’à présent, le camp Gbagbo a veillé à ne pas entretenir la confusion entre le gouvernement français et la population française présente en Côte-d’Ivoire. Il semble redouter une éventuelle action militaire en cas d’attaque contre les expatriés, mais il fait monter la pression, notamment à travers des articles anti-français dans la presse pro-Gbagbo.

DJBassam. A qui la faute de cette escalade? N’est-ce pas plutôt à L’ONU qui va d’échec en échec dans toutes les zones de conflits (RDC, RCA, Haïti,….)? A quoi sert l’ONU dans la résolution des conflits?

Il est trop facile d’accuser l’ONU. La première responsabilité dans la situation actuelle revient aux acteurs locaux. La cause de l’impasse actuelle est le refus de Gbagbo de reconnaître sa défaite. Au contraire, l’ONU a, non sans un certain courage, validé la victoire de Ouattara, suscitant la colère du clan Gbagbo, qui l’a menacé de représailles.

2vitess. Pensez-vous vraiment que faire des élections sans désarmement et sans réunification réelle ait été dans l’intérêt de la Côte-d’Ivoire ?

Bien sûr, il aurait mieux valu tenir ces élections dans un pays pacifié et réunifié. Mais il faut rappeler que toutes le parties ont accepté la tenue de ce scrutin, même sans désarmement. Une telle situation s’est déjà vu ailleurs dans le monde, notamment au Cambodge, dans les années 90.

Démocrate désabusé. Ne pensez-vous pas qu’il y a beaucoup de naïveté de la part de Sarko et Obama, quand ils croient qu’en fixant un ultimatum, assorti de sanctions, Gbagbo se résoudra à quitter le pouvoir?

Il faut distinguer Gbagbo de son entourage, le président sortant semble déterminé à ne pas quitter le pouvoir, voire à mourir dans son palais. Mais en lançant ces ultimatums, Sarkozy et Obama espèrent peut-être faire fléchir une partie de ses conseillers. Ils veulent le faire comprendre qu’ils risquent de tout perdre dans la chute de Gbagbo.

THY. Pensez-vous qu’au regard des haines viscérales, Ouattara pourrait sereinement gouverner la Côte-d’Ivoire sans que le camp d’en face ne lui serve une rebellion?

Les haines viscérales dont vous parlez ont été en partie battues en brèche par le vote des Baoulés ne faveur de Ouattara. Est-ce que certains partisans de Gbagbo au sein de l’armée pourraient un jour tenter quelque chose contre Ouattara? ce n’est pas impossible, mais une telle éventualité paraît bien loin, vue la situation actuelle.

Charlotte. Gbagbo aurait engagé des « mercenaires » du Libéria : est-ce une opération « clandestine », autrement dit, quelle est la position du gouvernement du Libéria dans le conflit entre Ouattara et Gbagbo?

En 2002, chaque camp avait fait appel à des supplétifs venus du Libéria, d’après mes informations le camp Gbagbo a entretenu dans l’Ouest du pays un contingent d’environ 2000 hommes. Hier, plusieurs témoignages à Abdijan ont fait état de la présence d’hommes armés anglophones aux côtés des soldats loyalistes. Cette information reste néamoins sujette à caution.

TG. Pensez-vous que la France ait un rôle à jouer dans cette crise ivoirio ivoirienne ? (via Licorne)

La France reste très prudente. Elle a été échaudé par les événements de novembre 2004: les émeutes anti-françaises, et le piège de l’hôtel Ivoire, où des soldats français venus évacuer les expatriés ont été encerclés par une foule pro Gbagbo. Licorne reste très discrète. Mais si la situation dégénérait les soldats français seraient obligés d’intervenir, à la demande de l’ONU.

Nati. Dans ces conditions et vu que Laurent Gbagbo ne veut rien entendre, comment l’obliger à quitter le pouvoir?

En dehors des pressions diplomatiques et financières, il n’y aurait d’autre solution que le recours à la force. En l’état actuel des choses, je vois mal une intervention militaire internationale. Les ex-rebelles des FN sont-ils capables de déloger Gbagbo? Ce n’est pas certain. Reste l’hypothèse du déploiement d’une force militaire ouest-africaine. Jean Ping, le responsable de l’Union africaine, est actuellement à Abdijan, sans doute présente-t-il ces différentes options à Gbagbo. Il n’est pas sûr qu’il soit entendu.

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