Côte d’Ivoire: des signes que Gbagbo pourrait partir

Associated Press

ABIDJAN, Côte d’Ivoire – La capitale économique de la Côte d’Ivoire a été secouée, jeudi, par des affrontements entre forces de sécurité et opposants qui ont fait jusqu’à 18 morts, selon l’opposition, faisant craindre que le pays, déchiré entre Laurent Gbagbo, qui refuse de quitter la présidence, et Alassane Ouattara, qui la revendique avec le soutien de la communauté internationale, ne bascule dans la guerre civile.

Pendant de 30 à 45 minutes, des tirs nourris d’artillerie lourde et des explosions d’origine inexpliquée ont retenti dans le quartier de l’hôtel du Golf, protégé par les forces des Nations unies. Il fait office de quartier général d’Alassane Ouattara, tandis que Laurent Gbagbo dirige le pays du palais présidentiel.

La conseillère en communication de M. Ouattara, Masseré Touré, a affirmé à l’Associated Press que les coups de feu avaient éclaté lorsque des troupes rebelles, qui contrôlent le nord du pays et protègent l’opposant, avaient tenté de lever des barrages de fortune érigés dans les rues proches de l’hôtel. Trois membres des forces de sécurité auraient été blessés. L’armée et la police se sont refusé à tout commentaire sur les affrontements.

La police en tenue anti-émeute a tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles pour disperser les manifestants dans plusieurs autres endroits d’Abidjan. Dans le quartier d’Abobo, un photographe d’AP a vu les cadavres de trois hommes tués par balles ? par la police, d’après des témoins. D’autres journalistes d’AP ont constaté qu’il y avait des blessés.

Les violences ont fait au moins 15 morts, selon Traoré Drissa, un influent avocat qui dirige le Mouvement ivoirien des droits de l’Homme, basé à Abidjan. Il a ajouté que des heurts s’étaient également produits dans la capitale administrative, Yamoussoukro, et à Tiébissou, dans le centre du pays, ainsi qu’à Bouaké, le fief des ex-rebelles dans le Nord.

Un haut responsable de l’opposition, Amadou Coulibaly, a pour sa part fait état de 18 morts. Ces bilans étaient impossibles à vérifier et la police était injoignable jeudi. Amnistie internationale a dit avoir compté au moins neuf cadavres.

Les États-Unis, la France, les Nations unies et l’Union africaine ont lancé un ultimatum à Laurent Gbagbo jeudi, l’enjoignant de céder le pouvoir et de quitter le pays dans les prochains jours sous peine de faire face à des sanctions financière et à une limitation de ses déplacements, a indiqué un haut responsable de l’administration de Barack Obama.

Ce responsable, qui a requis l’anonymat, a indiqué qu’il y avait des signes laissant croire que Laurent Gbagbo pourrait partir, sans toutefois donner de détails. Il a souligné que M. Gbagbo et sa famille avaient «plusieurs maisons dans plusieurs pays» où ils ne pourraient plus se rendre si des sanctions étaient imposées.

La violence a figé la capitale économique ivoirienne, bastion de Laurent Gbagbo. Les commerces sont restés fermés et les habitants se sont terrés chez eux. On ne voyait dans les rues désertes que des soldats et des policiers, qui ont repoussé les manifestants à coups de matraque, alors que des pierres leur étaient lancées depuis des toits.

Un tir de lance-roquette égaré s’est abattu sur un mur extérieur du périmètre entourant l’ambassade des États-Unis à Abidjan durant les affrontements, mais il n’y a pas eu de blessé et les dommages ont été mineurs, a indiqué le porte-parole du département d’État américain, P.J. Crowley, à Washington.

«Nous demeurons très préoccupés par l’éruption de violence aujourd’hui en Côte d’Ivoire», a dit le porte-parole. «Nous déplorons le recours à la violence et appelons au calme alors que nous continuons de travailler avec la communauté internationale pour résoudre cette situation.»

La Côte d’Ivoire traverse une crise politique aiguë depuis le second tour de l’élection présidentielle le 28 novembre, un scrutin qui était censé réunifier le pays, encore largement divisé entre le Nord et le Sud depuis la tentative de coup d’État et la guerre civile qui s’en est suivie en 2002-2003.

La commission électorale indépendante avait déclaré Alassane Ouattara vainqueur mais le lendemain, le Conseil constitutionnel avait proclamé la victoire de Laurent Gbagbo après avoir invalidé un demi-million de votes dans des bastions de son adversaire.

Jeudi, Alassane Ouattara et ses partisans avaient prévu de s’emparer de la télévision nationale pour y imposer un nouveau chef, mais ils n’ont pas pu approcher de l’immeuble, gardé par des soldats, tandis que des bancs et des tables en bois avaient été érigés en barrages pour boucler tout le quartier, et que deux véhicules blindés de transport de troupes attendaient non loin.

Le contrôle des deux chaînes de télévision est crucial pour se faire entendre dans le pays. Après le second tour de la présidentielle, les téléspectateurs n’ont été informés que de la validation de la victoire de Laurent Gbagbo par le Conseil constitutionnel, et pas du fait que les Nations unies l’avaient déclaré perdant.

Alassane Ouattara a prévu une nouvelle marche vendredi pour tenter de prendre le contrôle d’autres bâtiments gouvernementaux et d’organiser un conseil des ministres.

«Les deux prochains jours seront déterminants. C’est tout ou rien», a estimé jeudi Jean-Claude N’dri, représentant commercial en télévision par câble du quartier de Treichville à Abidjan, où les forces de sécurité ont dispersé un demi-millier de manifestants avec des gaz lacrymogènes.

Des affrontements ont aussi été signalés dans le quartier de Cocody, et des véhicules blindés de la police ont tiré dans une foule de plusieurs centaines de manifestants, blessant trois personnes, devant le quartier général de la coalition de l’opposition, selon un riverain, Michel Bazia, fonctionnaire.

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a mis en garde contre le risque de guerre civile. Corinne Dufka, chercheuse pour l’organisation des droits de la personne Human Rights Watch (HRW) à Dakar, au Sénégal, a appelé toutes les parties à la retenue, estimant que Laurent Gbagbo devait donner «des ordres explicites (en ce sens) à la police et à l’armée» et que «l’ONU doit être prête à protéger ceux qui sont menacés par la violence, comme le prévoit son mandat».

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