LA COTE D’IVOIRE COMME LE KENYA

En mars 2007, je fus invité par le Département d’Etat Américain et une organisation internationale pour faire une présentation à Washington sur les voies et solutions pour juguler les crises politiques et électorales dans le monde et en Afrique notamment. C’est une de mes spécialités que j’ai humblement exercées un peu partout dans le monde, à l’exception du continent asiatique.

Après ma présentation, un vieil homme frêle a pris la parole et m’a demandé comment nous pouvions aider son pays en mettant en œuvre les solutions proposées, puisqu’il anticipait que les élections dans son propre pays seraient extrêmement violentes. Je fais des propositions. Je ne finance pas ces propositions. Aucun donateur n’a alors prêté attention à cet homme qui présageait sa propre chute. Son pays était alors trop calme et un relatif modèle de démocratie en ces temps-là pour que son appel soit entendu. C’était alors le Président de la Commission Electorale Indépendante du Kenya.

27 Décembre 2007, quelques mois après la rencontre de Washington, les élections générales au Kenya. Aussitôt les bureaux de vote fermés et quelques centralisations de résultas, la contestation éclate, puis la violence, d’abord politique, puis ethnique. En quelques jours, le pays entier est ravagé. Les corps sont mutilés et pourrissent dans les cases et sur les routes. La police débordée, mais également partisane s’invite et s’ajoute à la violence. Attaques. Morts. Assassinats. Déplacements de populations, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Les hommes politique, comme toujours à l’origine de ce type de tragiques évènements alimentent le conflit, galvanisent leurs troupes, arment leurs ethnies et crient vie pour vie, dent pour dent.

C’est l’escalade. On sait où ça commence, on ne sait jamais où s’arrête. C’est la règle de ce jeu macabre. A la pèle et après approximation très relative : au moins 1500 morts. Desmond Tutu, puis Koffi Anan, les envoyés spéciaux de l’ONU, de l’Union Africaine, des organisations régionales se pressent dans le pays pour mettre fin à la crise. On commence même à se demander s’il ne faut pas y envoyer des troupes afin que ne se répètent l’expérience traumatisante du Rwanda, juste à côté. Deux Gouvernements parallèles qui comme toujours affirment détenir leur légitimité du peuple. Un pays désemparé. A force d’actions et de persuasion, la violence progressivement s’arrête, mais le pays divisé pour encore longtemps, très longtemps. Un Gouvernement dit d’Union Nationale est mis en place. Sous la pression internationale, le présumé vainqueur accepte de devenir Premier Ministre, la mort dans l’âme. Le pouvoir du Président en exercice un peu réduit lui permet encore de sauver l’honneur.

Trois ans plus tard. 28 Novembre 2010, Côte d’Ivoire. La coïncidence des dates n’est pas un hasard. Scénario identique. Elections. Espoirs. Contestation. Violence. Morts. Gouvernements parallèles. Négociations. Envoyés spéciaux, mais pas encore d’accord. Pas sûr qu’il y en ait un qui satisfasse toutes les parties, dans les conditions actuelles. La Côte d’Ivoire n’est pas le Kenya. Elle était déjà en guerre. Le Kenya pas. Elle avait des groupes armés officiels. Le Kenya pas. Elle organisait ses élections après dix ans. Le Kenya, juste cinq. Par ailleurs, la solution Kenyane, puis Zimbabwéenne a été ressentie comme un mauvais remède mais une nécessaire chimiothérapie, un accouchement à la césarienne mais sans anesthésie. Allez demandez à votre épouse. Si vous avez la chance et qu’elle trouve les mots pour vous l’expliquez, faites un petit effort d’empathie et vous devinerez la douleur.

L’ayant deviné, la communauté internationale avec ses contradictions mais sans qui nous ne pouvons vivre, nous si faibles, a résolu : plus jamais ça. La Côte d’Ivoire ne sera pas le Kenya. Pour que le Liberia ne soit pas la Cote d’Ivoire. Pour que le Cameroun ne soit pas la Côte d’Ivoire. Pour que le Congo ne soit pas la Côte d’Ivoire. Pour que plus aucun pays ne soit ni la Côte d’Ivoire, ni le Kenya, ni le Zimbabwe.

Mais il y a cependant une chose qui liera le sort de la Côte d’Ivoire à celui du Kenya ou du moins le sort des dirigeants de la Côte d’Ivoire au sort des dirigeants politiques du Kenya : la Cour Pénale Internationale.

Le 14 Décembre 2010, après de longs mois et de minutieuses enquêtes et recoupements, le Procureur de la Cour Pénale Internationale, Louis Moreno Ocampo, a rendu publics les noms de ceux qu’il considère comme les principaux responsables du drame Kenyan.

Attardons-nous un peu sur ces noms avant de terminer cet article, si vous le permettez :

-Uhuru Kenyatta, Diplômé de l’Université de Massachusetts aux Etats-Unis, il est l’actuel Ministre des Finances et Vice-Premier Ministre du Gouvernement d’Union Nationale. Fils du premier Président Jomo Kenyatta, il est dans la fleur de l’âge politique, 49 ans et Député depuis 2001. Il est accusé d’avoir organisé des réunions pour planifier des attaques contre le camp adverse, le parti d’Opposition.

-William Ruto, Diplômé des Universités kenyanes, il est le Ministre de l’Enseignement Supérieur, après avoir été Ministre de l’Agriculture, dans le Gouvernement d’Union Nationale. Politiquement précoce, il fut déjà Vice-Ministre provincial en 1992, alors qu’il n’a à ce jour que 44 ans. Il est soupçonné d’avoir déjà préparé des attaques depuis 2006 contre les supporters du parti au pouvoir.

-Henry Kiprono Kosgny, actuel Ministre de l’Industrie et Chef du Parti d’Opposition, ce vieux routier de la politique, 63 ans, a été Député pendant 25 ans dans sa circonscription et 3 fois Ministre avec des portefeuilles différents dans les années 80. Il aurait aussi participé à la planification des attaques contre le parti au pouvoir à l’époque de l’élection ayant débouché sur les violences.

-Francis Muthaura, ancien Ambassadeur du Kenya aux Nations-Unies, homme de confiance de l’ancien Président Moi. Agé de 64 ans, il a eu une carrière nationale prodigieuse. Il est accusé d’avoir téléphoné plusieurs fois au Chef de la Police pour exercer son influence et demandé l’usage excessif de la force contre les partisans de l’Opposition, tout en faisant assurer par cette même police la protection de la jeunesse du Parti au pouvoir qui exerçait les violences contre les opposants.

-Mohamed Hussein Ali, 54 ans, Chef de la Police au moment des évènements. Officier discret, peu éloquent et effacé, il est un militaire de carrière et a commandé les troupes aéroportées et la cavalerie. Il est accusé d’avoir fait usage excessif de la violence et dans une certaine mesure d’avoir surtout orienté cette violence contre les partisans de l’opposition.

-Joshua Arap Sang, qui tombe comme un cheveu sur la soupe dans cette arène de gladiateurs. A peine 35 ans, il est une star d’une radio de proximité en langue locale. Il en est le Directeur des Opérations. Il est accusé en tant que journaliste vernaculaire d’avoir utilisé les ondes de sa radio pour rallier des sympathisants de l’Opposition, de leur avoir donné l’opportunité d’émettre des émissions précisant où et quand attaquer les supporters du parti au pouvoir.

Une liste équilibrée donc de 3 membres proches de l’Opposition et 3 membres du Pouvoir. Les violences sont allées dans les deux sens.

Dans trois mois, la Cour Pénale Internationale siègera et décidera si les charges sont suffisantes pour lancer un mandat d’arrêt international contre ces personnes. Vu le nombre de preuves, de témoignages, de recoupements, de recherche de preuves sur les écoutes téléphoniques et les emails remontant jusqu’en 2006, il y a peu de chance que ces personnes incriminées échappent tout au moins à une première audience devant la Cour.

Faites aussi attention au profil des noms de la liste d’Ocampo, ça ne vous inspire rien ? Ne me prêtez aucune intention. Toute ressemblance avec des personnes ici n’est que fortuite.

Par ailleurs, vous de l’Opposition qui voulez rétablir l’ordre démocratique par la violence et qui ne sensibilisez pas vos manifestants à la non violence, vous n’êtes pas non plus à l’abri. Et vous qui exercez le pouvoir, la Procureure Adjointe de la CPI vous l’a dit le O2 Décembre 2010, elle vous a la loupe, tous vos faits et gestes sont enregistrés et compilés pour être éventuellement retenus contre vous plus tard. Evidemment, vous direz comme des Ivoiriens inconscients « On s‘en fout », « Ils ne peuvent rien contre moi ». C’est vrai pour l’instant. Mais d’ici quelques mois, quelques années, lorsque la crise sera résolue d’une façon ou d’une autre et que votre camp n’aura plus besoin vous et que vous ne serez plus aussi forts que vous l’êtes maintenant, on vous lâchera. On vous livrera, mains et pieds liés comme un voleur de poulets. On exigera d’ailleurs que le pays vous livre avant qu’on lui donne un seul dollar pour son développement comme on l’a fait pour Milosevic. Le pays n’a pas d’âme, il vous livrera.

C’est pour cela d’ailleurs que pour mieux vous diviser, vous n’avez pas tous été sanctionnés récemment par l’Union Européenne. Cela fait partie de la stratégie. Ceux qui ne l’ont pas été feront en sorte de ne le jamais être et prendront leurs distances avec vous en vous exposant à la Justice internationale. Ca ne m’étonnerait pas qu’ils aient secrètement ouvert le champagne, sans le faire péter pour célébrer de ne pas figurer sur la liste des damnés. Qui a envie de finir sa vie dans une prison froide avec tous les milliards, les femmes et les enfants qu’il possède. Je sais que dans le secret de vos chambres et loin des caméras, vous ne dormez plus, vos torses bombés deviennent flasques. Je vous avais prévenus dans « Côte d’Ivoire : le rêve différé ».J’ai vécu ces mêmes expériences au Rwanda, au Congo, au Nord et au Sud Soudan, au Kenya, en Somalie, à Madagascar, à Haïti, au Zimbabwe, en Angola, au Mozambique, en Guinée et les théâtres d’opération les plus difficiles d’Afrique. Continuez à nous inquiéter et à nous traquer, nous libres-penseurs qui n’avons que nos stylos pour armes.

L’histoire est collective mais le destin est individuel.

19 Décembre 2010

VINCENT TOHBI IRIE

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