Certains membres du clan Gbagbo ont beaucoup de sang sur les mains, rester au pouvoir les protège

« La sortie de la crise ivoirienne ne pourra venir que de l’Afrique »

Par Catherine Gouëset Lexpress.fr

Alors que l’Union européenne a décidé d’adopter des sanctions à l’encontre de Laurent Gbagbo et de ses proches, André Janier, ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, analyse la crise pour LEXPRESS.fr

Pourquoi la France suit-elle de si près les événements de Côte d’Ivoire?

La France entretient des liens historiques très forts avec la Côte d’Ivoire, plus encore qu’avec les autres pays africains. L’ancien président Houphouët-Boigny, qui a été membre du gouvernement français, avait fait le choix de maintenir une relation très forte avec l’ancienne métropole après la décolonisation. Il se faut se rappeler qu’au lendemain de l’indépendance en 1960, il y avait plusieurs dizaines de milliers de coopérants français en Côte d’Ivoire. Si les successeurs de Houphouët-Boigny ont été plus soucieux de prendre leurs distances avec Paris, la communauté française est restée importante. Y compris après les événement de novembre 2004 [en réplique à la mort de neuf soldats français à Bouaké lors d’une attaque aérienne des forces armées ivoiriennes, Paris avait ordonné la destruction des moyens aériens militaires ivoiriens. Cette opération avait été suivie de violences à l’encontre de la communauté française]. 8000 ressortissants français avaient alors quitté la Côte d’Ivoire dans des conditions difficiles, mais il s’agissait surtout des familles des expatriés, dont une partie est revenue depuis. Il y a aujourd’hui environ 15.000 Français au pays des Éléphants ; le lycée français d’Abidjan, rouvert à la rentrée 2008, est l’un des plus importants d’Afrique.

Quelle est l’importance des intérêts Français en Côte d’Ivoire ?

Elle est considérable. L’activité générée par les entreprises françaises installées dans ce pays fournit un tiers environ du PIB. Cette activité est alimentée par quelques grosses sociétés, mais également par un tissu dense de PME. Les impôts payés par ces entreprises constituent presque la moitié de l’impôt sur les sociétés perçu dans le pays. Et ces compagnies emploient 40.000 Ivoiriens. Quant on sait qu’un Ivoirien qui travaille fait vivre une dizaine de personnes, l’impact économique de cette présence est loin d’être négligeable.

Quelle est le rôle des forces militaires françaises en Côte d’Ivoire ?

Il y a actuellement près de 1000 soldats français en Côte d’Ivoire participant à l’opération Licorne. Celle-ci est placée sous la tuelle de l’Onuci (l’opération de l’ONU en Côte d’Ivoire). Licorne, c’est un peu la force d’action rapide de l’Onuci. Cette présence coûte cher à la France en terme de budget et d’effectif; elle pèse aussi aussi politiquement, alors que Paris a décidé de réduire ses forces déployées en Afrique.

Les Nations unies ont demandé que l’opération Licorne soit prolongée jusqu’à l’élection présidentielle de novembre [reportée à cinq reprises depuis 2005] et prévoyaient son démantèlement progressif après le scrutin. Mais aujourd’hui, alors que le président sortant a réclamé le retrait des casques bleus et de la force Licorne, les partisans du président élu Alassane Ouattara et plus généralement les membres de l’opposition demandent le maintien de cette présence étrangère, afin d’empêcher les extrémistes du camp Gbagbo de s’en prendre à eux.

L’ultimatum du président français ne risque-t-il pas de justifier le discours nationaliste de Laurent Gbagbo?

Laurent Gbagbotient depuis toujours un discours nationaliste et populiste qui s’appuie sur une rhétorique anticolonialiste pour élargir la base des partisans. Il n’est pas en position de force, en effet, ni sur le plan ethnique ni sur le plan politique. Dans un pays où le poids de l’identité ethnique a été exacerbé ces dernières années, l’ethnie bété du chef de l’Etat sortant ne représente que 15 à 20% de la population. Sur le plan politique, les partisans du PDCI d’Henri Konan Bédié et du RDR d’Alassane Ouattara sont plus nombreux que ceux du Front populaire ivoirien (FPI) du président sortant [voir la carte électorale réalisée par Christian Bouquet, spécialiste de géographie politique].

Au le plan militaire, la troupe est partagée entre les différentes composantes du pays; Mais Gbagbo en revanche a placé ses hommes à la tête de l’armée et de la police; et la garde républicaine , composée en majorité de Bétés, lui est entièrement dévouée. Il n’est pas certain que Laurent Gbagbo soit convaincu lui-même par ce couplet anticolonialiste qui lui sert d’alibi. Ce qui est le plus important aujourd’hui, c’est que ce ne sont pas seulement la France, l’Europe, l’ONU et les Etats Unis qui demandent à Laurent Gbagbo de céder la place à son successeur légitimement élu, mais l ‘Union africaine, la Cédéao et la quasi-totalité des dirigeants africains. Le président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, a d’ailleurs remis à Laurent Gbagbo, le 18 décembre, une lettre du Président en titre de cette organisation lui demandant de quitter le pouvoir.

Pourquoi Le clan Gbagbo refuse-t-il le verdict des urnes?

Il semblerait que c’est son entourage, plus que Laurent Gbagbo lui-même, qui s’accroche au pouvoir. Ce dernier s’était finalement résigné à organiser cette élection, persuadé de la remporter facilement, trompé sans doute par ce même entourage. par ce même entourage d’ailleurs. Mais Laurent Gbagbo ne se privait pas de clamer qu’il n’était pas assoiffé de pouvoir, et qu’il ne verrait pas d’inconvénient à se retirer dans son village en cas de défaite, tout en se disant persuadé de l’emporter haut la main.

Il faut savoir qu’en Côte d’Ivoire comme dans nombres de pays africains, le pouvoir est synonyme de richesse. Le clan installé à la présidence est celui qui contrôle la majorité des ressources. Et la Côte d’Ivoire est un pays riche.

On sait par ailleurs que plusieurs membres du clan Gbagbo sont sous la menace de la justice internationale. Certains d ‘entre eux ont du sang sur les mains. plusieurs des proches du régime en place sont sous la menace de la justice internationale. Certains d’entre eux ont beaucoup de sang sur les mains. Il craignent donc qu’une fois évincés du pouvoir, des comptes ne leurs soient demandés.

Comment la situation peut-elle être débloquée?

Actuellement, le fait accompli et le temps qui passe semblent jouer en faveur de Laurent Gbagbo. D’autant plus que le président élu, Alassane Ouattara, est soucieux d’éviter les pertes humaines et parait avoir renoncé au moins momentanément à lancer à nouveau ses partisans affronter dans la rue ceux du président sortant. Laurent Gbagbo a lui a proposé de négocier un arrangement  » à l’africaine » , qui sous-entendait un partage du pouvoir et de ses prébendes: il songeait peut-être à conserver la présidence et à laisser le poste de premier ministre à Alassane Ouattara, comme il l’a fait en 2007 avec Guillaume Soro et comme cela a été le cas dans d’autres pays d’Afrique, mais le Président élu a refusé estimant que les résultats du scrutin, certifiés par le Représentant sur place des Nations Unis et reconnus par l’ensemble de la Communauté internationale, ne laissaient aucun doute doute quant à la volonté des Ivoiriens.

L’Onuci, en vertu du mandat que lui a accordé le Conseil de sécurité, n’est qu’une force d’interposition et non par une force d’intervention comme cela fut le cas dans les Balkans par exemple. Je ne vois donc pas à court terme de possibilité d’action de ce côté-là.

Pour moi, la clé de sortie de crise ne pourra venir que de l’Afrique. Si par exemple les avoirs ivoiriens déposés à la Banque centrale des états d’Afrique de l’Ouest étaient gelés, le régime ne pourrait plus payer les militaires ni les fonctionnaires et le pays deviendrait rapidement ingouvernable. Il parait probable dans ce cas que la frange de la population qui soutient encore Laurent Gbagbo finirait par le lâcher.

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