Alassane Ouattara veut asphyxier financièrement son prédécesseur

Christine HOLZBAUER, à Dakar

La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, qui joue un rôle central dans le fonctionnement de l’économie ivoirienne, pourrait permettre au président ivoirien de remettre la main sur les comptes publics

La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) détient-elle la solution de la nouvelle crise ivoirienne ? Pour la plupart des commentateurs africains, c’est à Dakar, où l’institut d’émission commun aux huit États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a son siège, que le nœud gordien entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara peut être tranché.

« Si les sanctions diplomatiques ou militaires devaient échouer pour faire partir Gbagbo, il ne reste plus alors que l’asphyxie financière de son administration. Même si cela risque d’être plus long et plus douloureux pour les Ivoiriens », prévient un banquier en poste à Dakar.

La communauté internationale semble d’ores et déjà avoir fait ce pari, en favorisant le transfert du pouvoir financier à Alassane Ouattara, reconnu comme président élu de Côte d’Ivoire. « Il faut maintenir la pression, voire l’augmenter, notamment par le fait que la seule signature bancaire valable pour l’État ivoirien, c’est désormais celle de M. Ouattara », a souligné la ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie.
Autre transfuge : Charles Koffi Diby

Rompu aux mécanismes de la finance en tant qu’ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international (FMI), Alassane Ouattara a déjà fait une « prise de guerre » de taille en nommant « grand argentier » Charles Koffi Diby. En poste sous Gbagbo et réputé comme étant l’un de ses proches, le nouveau ministre de l’économie et des finances est un transfuge, à l’instar du premier ministre, Guillaume Soro.

Avec lui, le camp d’Alassane Ouattara entend remettre la main sur les comptes publics et grignoter les pouvoirs financiers de son rival, notamment les transferts assurés par la BCEAO au nom de l’État ivoirien.

« Laurent Gbagbo fait face à des mesures qui l’étranglent progressivement. Alassane Ouattara a commencé à nommer des ambassadeurs, l’Union européenne a pris des sanctions individuelles, et des comptes de l’État ont été fermés avec la seule signature désormais reconnue, celle d’Alassane Ouattara », commente un diplomate français.

Cette mesure, ajoute-t il, devrait avoir un impact « à une échéance plus ou moins longue », notamment sur la paie des militaires, dont la loyauté à Laurent Gbagbo est cruciale.
Blocus du port

« Laurent Gbagbo dispose très probablement de réserves financières et de ressources échappant au contrôle international. Il ne faut pas que le processus de transition dure trop longtemps, car l’effet des sanctions serait alors de rallier et souder les Ivoiriens autour de lui, estime Richard Banegas, historien spécialiste de la Côte d’Ivoire. Son camp contrôle également les lieux de production et d’exportation du pétrole et du cacao dont le pays est le premier producteur mondial. (…) Si on voulait étouffer le régime, il faudrait envisager, par exemple, le blocus du port d’Abidjan. »

Impensable pour la plupart des opérateurs économiques, notamment français, car la Côte d’Ivoire sert de porte d’entrée aux États de la région qui n’ont pas d’accès à la mer, comme le Mali.

« Avec 40 % du budget de l’UEMOA, la Côte d’Ivoire pèse un poids considérable dans l’économie de la région. Sans elle, le train du développement ouest-africain est stoppé, car elle en est la locomotive de tête », note le professeur Ali M’Baye, recteur de la faculté d’économie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Le rôle de la BCEAO

Pour lui, comme pour la plupart des économistes ouest-africains, la solution réside dans les institutions africaines, en particulier la BCEAO. « Les États ont toujours un compte en devises auprès de la direction nationale de la banque centrale. Toutes les opérations avec le FMI, les bailleurs, l’étranger, passent par ce compte », explique de son côté le professeur Abdoulaye Diagne, directeur exécutif du Consortium pour la recherche économique et sociale (Cres).

Et d’expliquer que « l’aide publique au développement de la France à la Côte d’Ivoire est versée sur ce compte. C’est aussi le cas des ressources liées à l’import-export, comme les taxes sur les revenus du cacao ou du pétrole. C’est une énorme partie du budget », poursuit-il.
Comptes en Côte d’Ivoire

Actuellement, trois personnes ont la signature sur ce compte : Alassane Ouattara, le premier ministre Guillaume Soro et le ministre de l’économie Charles Diby Koffi, qui l’avait déjà, puisqu’il a été maintenu dans ses fonctions. La question est maintenant de savoir comment va réagir l’actuel gouverneur de la BCEAO, l’Ivoirien Philippe Dacoury Tabley, réputé proche de Laurent Gbagbo.

Au siège de la banque à Dakar, c’est le « silence radio ». « Tout le monde est parti en congé », y répond-on laconiquement. Mais la pression commence déjà à se faire sentir. Le camp de Laurent Gbagbo a commencé à réagir en accusant son rival ainsi que ses soutiens régionaux et internationaux de « faire jouer à la BCEAO un rôle politique qui n’est pas le sien ».

Même si une éventuelle asphyxie ne peut donc être que progressive, elle est à terme inexorable. « Laurent Gbagbo dispose très probablement d’autres comptes en Côte d’Ivoire, qui devraient lui permettre de tenir au moins jusqu’en mars ou avril, explique Abdoulaye Diagne. Mais, en plus d’une pression sur les prix des denrées de première nécessité, il est fort probable qu’il se trouve confronté à une pénurie de billets de banque, car c’est la BCEAO qui renouvelle la monnaie de ses États membres. »

Christine HOLZBAUER, à Dakar

La-croix.com

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