« Gbagbo est devenu un fou du pouvoir. Exactement comme Hitler »

Propos recueillis par Abdou ZOURE « Le Pays » avec afriqueactu.net

L’année 2010 referme ses portes. Qu’est-ce qui s’est passé de significatif ? Y a-t-il eu une plus-value pour le Burkina en termes de développement ? Les vœux souhaités en 2009 ont-ils été exaucés dans les différents domaines de la vie au Burkina : santé, économie, politique, environnement, etc. ? Comme il est de coutume à chaque fin d’année, nous avons décidé, en ces dernières heures de 2010, de rencontrer une personne ressource pour faire une rétrospective, non pas exhaustive de l’année écoulée, mais de ses moments particuliers. Notre choix s’est porté sur un acteur de la société civile. Il s’agit de Alfred Sawadogo, président du Conseil d’administration (PCA) de l’ONG SOS Sahel et président de la Coalition des organisations de la société civile sur le changement climatique. Ce que son ONG a fait de particulier ces douze derniers mois, son avis sur la célébration du cinquantenaire, le processus électoral et la santé du développement au Burkina.

« Le Pays » : Qu’est-ce que SOS Sahel a fait de significatif dans cette année 2010 ?

Alfred Sawadogo, PCA de SOS Sahel : Ce seront les axes significatifs. Le dernier axe, nous sommes allés au Niger grâce à un financement de l’Union européenne (UE) pour arranger un projet régional entre le Niger et le Burkina et dont la teneur est la sécurité alimentaire. Nous menons au niveau de la Gnagna, un programme très intéressant avec 500 femmes sur l’embouche bovine. Et l’opération a eu tellement de succès qu’une mission de la Gnagna, conduite par le maire, est allée au Ghana pour négocier avec les commerçants afin qu’ils viennent chaque mois prendre 500 bœufs. Et l’UE a financé ce projet pour 2011-2015 pour renforcer les acquis. Au Niger, ils vont essayer, à la lumière de notre expérience, de mener des activités similaires. Un autre point : il y a déjà un an, nous avons lancé au Centre-Nord un intéressant programme de 1 milliard 300 millions sur ce qu’on a appelé la facilité alimentaire. Nous essayons de donner un coup de fouet à la sécurisation alimentaire à travers le warrantage, la récupération des terres en glacis. Avec la récupération des terres en glacis, les « zipèla » en mooré, les paysans produisent trois à quatre tonnes de céréales. Ce projet est de 23 mois et nous sommes en bonne voie.

Un projet en bonne voie donc. Celui sur l’amélioration de l’état nutritionnel des enfants de moins de 5 ans en fin 2010 l’est-il également ?

C’est très avancé ! On a expérimenté les Centres de récupération nutritionnelle (CREN), où l’on amenait les enfants lors des crises céréalières aiguës comme en 1985. Mais c’est vraiment une solution extrême. Nous avons nos animateurs et nos animatrices, qui éduquent les populations, notamment les femmes, à utiliser les céréales locales, en les combinant pour en faire des aliments très riches. Cela, en partenariat avec les dispensaires et les centres de santé. Mais vous savez, c’est un travail de très long terme. En plus, nous encourageons la culture maraîchère, mais entre les mains des femmes. Nous encourageons les femmes à utiliser les légumes dans les plats locaux.

Parlons changements climatiques. Vous étiez à Cancun au Mexique en tant que président des OSC sur les changements climatiques, dans le cadre de la COP 16 sur les changements climatiques, du 29 novembre au 10 décembre dernier. Y a-t-il eu des avancées notoires ou n’était-ce qu’une conférence de plus ?

Elle a failli être la conférence- bis de Copenhague. Mais il faut dire que le pays hôte, qui était un pays émergent, s’est investi et on n’a pas vécu les duels presque fratricides entre pays riches et pays en développement. Les pays comme l’Inde, la Chine se sont comportés de manière extrêmement positive et cela a permis d’avoir des résultats intéressants. Mais dès le début de la conférence, le Japon a indiqué qu’il ne serait plus tenu, après 2012, par le protocole de Kyoto, signé depuis 1997, et qui engage tous les pays développés à réduire les gaz à effet de serre.

« Le gouvernement s’est rendu à la raison en faisant de l’agriculture, le moteur de la croissance »

(…) Mais il y a eu beaucoup de concessions et l’une des plus importantes, c’est que la Chine a accepté que soit constitué un comité de suivi pour voir dans les différents pays quelle est l’évolution de la diminution des gaz à effet de serre. Or, à Copenhague, la Chine avait mis son veto. Cette année, elle a accepté, à condition que ce comité ne soit pas supranational, que les pays restent autonomes et que le comité ne soit pas punitif. C’est ce qui a permis que le principe de ce comité soit accepté. (…) Dans ces conférences, la société civile est écoutée par échos. Nous ne sommes pas partie prenante des négociations. Nous souhaitons que les Nations unies nous acceptent pour que nous soyons écoutés au même titre que les Etats. Je pense que pour une fois, il n’y a pas de divergence de points de vue entre les gouvernements africains et les sociétés civiles africaines. Nous nous battons coude à coude pour la même cause.

Les pays africains ressentent plus durement les effets des changements climatiques. Au Burkina, nous connaissons les inondations. D’où le fait que les Etats revendiquent l’aide des pays développés pour les activités d’adaptation aux changements climatiques, dont par exemple le reboisement. Comment cette activité peut être menée au Burkina ?

C’est une très bonne question. Nous avons une coalition qui est née le 7 septembre 2010 et notre premier partenaire, c’est le ministère de l’Environnement et du cadre de vie. Le problème du reboisement au Burkina est essentiel. Le mode de reboisement est (aujourd’hui) absolument inadéquat. Et nous voulons entrer en dialogue avec le ministère de l’Environnement pour dire qu’il ne faut reboiser à grande échelle que s’il y a le grillage pour sauvegarder les plants, et des agents pour entretenir les plants pendant au moins deux ans. Autrement, on gaspille des ressources dans les reboisements pour des résultats inadéquats. Notre association a adopté une démarche nouvelle qui consiste à verser des primes aux gens qui plantent et entretiennent pendant 24 mois. Nous contrôlons. Aux essences à fruit, nous versons 600 F CFA par arbre qui a survécu et les essences à bois, 400 F CFA.
Y a-t-il déjà eu des bénéficiaires ?

Mais oui ! De nombreux ! Nous avons démarré au Sud-Ouest et cela a eu un succès fou. Mais malgré les primes, le succès du reboisement se situe à 72 %. Nous sommes convaincus que nous tenons la bonne base mais nous n’avons pas de ressources pour intervenir partout. Nous refusons actuellement de soutenir les reboisements collectifs à grande échelle, où l’on peut planter entre 2000 et 4000 arbres, s’il n’y a pas de protection par le grillage, ni le recrutement d’agents pour suivre les plantes.
Allons maintenant sur le plan économique. Pensez-vous que quelque chose de marquant a été fait cette année et qui a apporté une plus-value au développement du Burkina ?

En 2010, le gouvernement a fait un virage dans l’option du développement. Avant, c’était le Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Mais après un certain nombre d’années, le gouvernement a constaté que la croissance économique qu’il attendait n’était pas au rendez-vous. La meilleure croissance atteinte se situe en 2005, où elle avait atteint 8 %. Or, le gouvernement avait misé sur une croissance à deux chiffres. Si vous prenez une option et vous voyez qu’elle ne vous permet pas d’atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé, il faut avoir le courage de changer. Et je pense que c’est ce que le gouvernement a fait. On peut ne pas aimer ce gouvernement, mais sur ce point, indéniablement, le gouvernement a pris une option pertinente. Le gouvernement s’est rendu à la raison en faisant de l’agriculture, le moteur de la croissance. Un autre mérite du gouvernement, c’est qu’il a associé, dès le départ, la société civile dans l’examen de cette option. En dehors de l’agriculture, il n’y a pas de salut au Burkina. Sauf ces derniers temps où l’industrie minière est en train de montrer des signes extrêmement positifs. Mais pour qui brille l’or du Burkina ? L’or du Burkina ne brille pas pour tous les pauvres ; ces 43% de Burkinabè qui vivent en- dessous du seuil de pauvreté qui est maintenant fixé entre 83 000 et 86 000 F CFA. Il faut que la croissance économique atteigne un taux de plus de 10 % pour que cela ait un impact significatif sur les 43 %. Mais concrètement, comment l’agriculture peut être le moteur de cette croissance ?

J’allais vous poser la même question…

Le gouvernement, depuis deux ou trois ans, s’est engagé dans une sorte de soutien à l’agriculture qui ne dit pas son nom. Mais le gouvernement doit avoir le courage, comme dans les pays industriels, et dans la mesure de ses moyens, de subventionner l’agriculture. C’est en subventionnant l’agriculture qu’elle deviendra le moteur de la croissance économique. Nous sommes capables d’atteindre d’ici 2015, l’autosuffisance alimentaire en riz. Le gouvernement a donc pris une bonne route et nous, de la société civile, sommes disposés à l’accompagner dans ce sens.

« Le cinquantenaire dans notre pays aurait dû être célébré par des symboles et non une fête »

L’un des événements marquants de cette année 2010 a été, sans aucun doute, la célébration du cinquantenaire de l’indépendance du Burkina. Pensez-vous que nous pouvons être fiers de nos cinquante ans d’indépendance ?
Ah non ! Moi-même j’ai été sollicité lors des célébrations régionales pour prononcer une conférence sur les groupements Naam. Je suis écrivain et j’ai été invité à Paris par France culture, ainsi que d’autres écrivains africains et nous nous sommes retrouvés au Salon du livre en mars 2010. Et la question qui nous a été posée, c’est « que pensez-vous de la célébration du cinquantenaire des indépendances ? » Nous ne nous étions jamais rencontrés, mais notre réponse a été la même : c’est un cinquantenaire qui a été gâché. On a fait le moins possible et on aurait pu faire mieux. Et dans mon entendement, le cinquantenaire dans notre pays aurait dû être célébré par des symboles et non par une fête. Après cinquante ans, nous avons encore des femmes qui marchent pieds nus, des femmes qui meurent en couche, des enfants de moins de cinq ans qui meurent de paludisme, des gens qui meurent de méningite. Rien que cela devrait nous interpeller afin que nous soyons modestes dans nos festivités. Je suis d’accord que le gouvernement ait mis le paquet pour bitumer des routes à Bobo et construire des infrastructures. Mais on aurait dû s’en tenir aux symboles. L’armée doit défiler parce que c’est la fierté du pays. C’est ma philosophie. C’est toujours les mêmes qui vont à la fête et les pauvres regardent de loin briller les ors de la fête. Ceux qui sont au pouvoir devraient se rendre compte que c’est indécent. Les économistes ont indiqué que si vous n’avez pas 86 000 F CFA, vous n’avez pas le minimum. Vous survivez. Mais 43% de 14 millions de Burkinabè, c’est beaucoup. Dans la Bible, Dieu a dit que s’il y a un juste dans une ville, il ne détruira pas cette ville. Le gouvernement devrait faire sien cela. S’il y a un seul pauvre et qui a besoin de secours, je ne vais pas festoyer comme si tout le monde mangeait à sa faim. Lorsque les 43% se réduiront à 5%, alors, on pourra se permettre certains écarts. Et il faut que les gouvernants comprennent qu’il faut tenir compte des 43% dans leurs actions quotidiennes. Quand on gère un pays pauvre, il ne faut pas montrer qu’on dépense sans compter. C’est mon point de vue.

Et quelle coloration a ce point de vue par rapport au processus électoral que vient de connaître le Burkina Faso ?

J’ai voté. Mais j’ai entendu des gens dire que l’encre est non indélébile ! J’ai essayé de laver l’encre sur mon ongle. Mais j’ai été obligé de laisser l’ongle pousser pour ensuite tailler la partie tachée. L’encre est de bonne qualité.
« Le président Compaoré donnerait une grande qualité à la démocratie du Burkina, s’il permettait l’alternance »
C’est une erreur que de ne pas aller voter. Le vote est le système le moins mauvais pour gérer la chose publique. Que vous soyez d’accord ou contre le système en place, il faut aller exprimer votre opinion. Malheureusement, c’est une poignée de gens qui sont allés voter. On a vu les résultats. Le président l’a largement emporté avec 80% et les autres se sont partagé les miettes.
Justement, quatre de ces « autres » disent que l’élection doit être annulée du fait de l’irrégularité de la carte d’électeur…
Moi je ne veux pas rentrer dans leur jargon juridique. Moi, je suis sociologue et non juriste. Je dis simplement que les gens de l’opposition comme du pouvoir ont tous utilisé la même carte électorale. Si celle-ci avait eu un impact négatif sur l’électorat, ce serait sur tout le monde. Je pense que ceux qui veulent faire cette guerre, elle est juridique et généralement, les populations ne s’y reconnaissent pas. Peut-être qu’ils ont, d’une certaine façon, raison, mais cela ne peut pas annuler nos votes puisque tout le monde a utilisé la même carte. Si certains avaient utilisé une carte différente des autres, on aurait pu alors demander une annulation et moi-même, j’aurais été d’accord. Cela ne veut pas dire que je me frotte les mains par rapport aux résultats, mais je suis sociologue et dans une interview que j’ai donnée à la télévision Ave Maria, avant même les élections, j’ai dit que le président Compaoré quittera le pouvoir quand lui-même jugera que c’est pertinent de le faire, mais pas par les urnes, de cette façon.

Pourquoi ?

On a évoqué la situation de Wade qui avait battu le président Diouf. Là, tous les ingrédients étaient là. Les électeurs s’étaient désolidarisés de Diouf et avaient constitué une coalition autour de Wade pour le faire gagner. Mais cette condition n’est pas remplie au Burkina. En tant que sociologue, et lisant la situation sociologique du Burkina, le président Compaoré gagnera les élections. J’ai, par ailleurs, ajouté que le parti au pouvoir a hérité des structures de la révolution. Ses structures sont installées jusqu’ à l’ENAM (Ecole nationale de la magistrature). C’est inacceptable qu’un parti ait sa cellule à ce haut niveau de formation des cadres de l’Etat. C’est inacceptable. Mais est-ce qu’on nous écoute ? Toujours est-il que le parti a envahi comme les CDR (Comité de défense de la révolution, NDLR) avaient envahi. Le parti au pouvoir a remplacé les CDR partout. C’est une machine qui mobilise l’Administration publique, les gouverneurs, les préfets, les hauts-commissaires, les maires. C’est une machine à gagner les élections. « Ce sont les mêmes qui emportent les marchés publics et les exécutent mal »

Qu’est-ce que vous pourrez contre ça ? Peut-être qu’il y a eu des zélateurs qui ont bourré les urnes par-ci et par-là. Mais en règle générale, je considère que ces élections se sont bien passées et celui qui a eu la victoire, l’a remportée. Je reconnais sa victoire, qui reflète les forces en présence.

Etes-vous également d’accord avec lui que le Burkina peut être un pays émergent ?

C’est un autre problème ! On souhaite bien que le Burkina soit un pays émergent. S’il (le président du Faso) peut tirer sur les indicateurs en combattant le premier fléau qui est la corruption. Il faut qu’on adopte le projet de loi proposé par le Pr. Laurent Bado sur le délit d’apparence. Il faut que tous ces riches étranges puissent justifier d’où ils tirent leur richesses. La corruption est une injustice flagrante qui fait que les pauvres deviennent amers en regardant les riches devenir de plus en plus riches. Ce sont les mêmes qui emportent les marchés publics et les exécutent mal, etc. Ce n’est pas normal ! S’il veut que le Burkina rentre dans la logique d’un pays émergent, il faut combattre absolument la corruption. Ensuite, tenir bon afin qu’il y ait un soutien à tous les compartiments de l’agriculture (…) afin que les 80 % de la population qui s’adonnent à l’agriculture puissent en tirer le meilleur parti.

Mais peut-on faire tout cela en cinq ans ?

Ah non ! En cinq ans, on peut amorcer cette émergence. Et dans les dix ans à venir, si nous continuons, par la force de nos bras, à maintenir la croissance à deux chiffres, nous pouvons commencer à émerger.
Pensez-vous alors que Blaise Compaoré doit modifier l’article 37 de la Constitution pour continuer ce chantier ?
Ah non ! Pourquoi ? J’ai écrit un livre « Afrique, la démocratie n’a pas eu lieu ». (…) J’aurai aimé que l’alternance soit dans mon pays. Le président Compaoré donnerait une grande qualité à la démocratie du Burkina, s’il permettait l’alternance. L’alternance, ce n’est pas les autres ; c’est soi. Les éditoriaux des journaux les plus sérieux de la place ont demandé au président Compaoré de ne pas modifier l’article 37 de la Constitution. Et moi je suis d’accord qu’il ne le modifie pas. Et le pays lui serait reconnaissant pour ce qu’il a déjà fait.

Vous pensez également que Laurent Gbagbo doit céder le pouvoir à Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire ?

Gbagbo est devenu un fou du pouvoir. Exactement comme Hitler (…). Pourtant, Gbagbo est un homme que l’histoire aurait pu saluer, parce qu’il a de l’audace. C’est avec son audace et sa perspicacité qu’il s’est opposé au président Houphouët-Boigny pour ouvrir la Côte d’Ivoire au multipartisme. Malheureusement, il s’est placé dans une situation qui fait de lui un élément que l’histoire va désigner comme l’homme qui a refusé la démocratie en Côte d’Ivoire.

Des vœux pour conclure cet entretien ?

Je voudrais conclure en disant qu’il faudrait que le pouvoir actuel du Burkina transforme tout le pays en chantier. Un chantier où tous les compartiments du pays travaillent dans la transparence et qu’on élargisse le cercle de ceux qui profitent des marchés publics pour que cela ne soit pas toujours les mêmes. De manière évidente, ces derniers sont devenus inopérants, incompétents et ne produisent pas des travaux de bonne qualité. L’Etat a très bien fait de mettre en place l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat. L’homme qui est à la tête de cette autorité, je le connais depuis une vingtaine d’années, c’est un homme intègre et il n’est compromis dans aucun dossier. Mais il faut qu’il aille jusqu’au bout afin que les détourneurs des deniers publics aillent en prison. Mais avant d’y aller, qu’ils remboursent ce qu’ils ont détourné. Gérer sans détourner n’est pas au-dessus des forces des Burkinabè.

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