Côte d’Ivoire: Gbagbo, Homme de l’année…au Burkina

Question à un sou : combien de fois, en conférence de rédaction, en famille, entre collègues de bureau, entre potes dans le ‘‘grin’’ de thé ou avec les ‘‘compagnons de lutte’’ dans le troquet habituel, une discussion sur la situation actuelle en Côte d’Ivoire a eu besoin d’un facilitateur pour ne pas dégénérer ? Dix ? Vingt ? Vous donnez votre langue au chat ? Eh bien, souffrez que nous, nous ne le fassions pas. Cependant, cette passion presque obsessionnelle des Burkinabè pour la crise politique en Eburnie explique aisément notre choix de l’Homme de l’année 2010 au Burkina Faso. Et le gagnant est, une fois n’est pas coutume, un Ivoirien, en l’occurrence Laurent Koudou Gbagbo ! Il est vrai que l’homme de l’année de L’Observateur Paalga désigne en général une personnalité qui se serait distinguée au cours de l’année écoulée en faisant particulièrement parler de lui au Burkina. C’est ainsi que l’entraîneur de boxe, Jean Pierre Mahé avait été désigné, homme de l’année 2008 (ses mérites ont été notamment reconnus pour avoir coaché des champions de boxe burkinabè comme Dramane Nabaloum dit « Boum-Boum », Irissa Kaboré dit « le Caïd », Alexis Kaboré dit “Yoyo”, Boniface Kaboré dit “le Python” et Patrice Sou Toké dit “le Bombardier”).

Alors, question à deux sous, cette fois-ci : qui mieux que celui que l’on surnomme le boulanger de Cocody aura véritablement fait couler beaucoup d’encre et de salive au cours de l’année qui s’achève, dans le monde entier en général, et sur la terre des hommes intègres en particulier ? Intéressons-nous rien qu’au Burkina. Qui ? L’un ou tous les 7 candidats à l’élection du Président du Faso du 21 novembre dernier ? Le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Moussa Michel Tapsoba, dont la structure a été pointée du doigt comme la responsable du désordre organisationnel constaté au cours du scrutin ? Le président du Tribunal administratif de Ouagadougou, le juge administratif René Bagoro, ce Zorro qui a fait « jurisprudence » en déclarant « illégale » la carte d’électeur ayant servi pour le vote ? Ou qui sait-on encore. Les propositions ne manquent certainement pas. Choisir, c’est prendre position comme on dit, mais c’est aussi prendre le risque de ne pas faire l’unanimité. Soit, la Rédaction de l’Obs., elle, a désigné son lauréat et explique son choix.

Le plus difficile dans le métier de journaliste est sans doute de transcender ses opinions et ses préférences pour rester impartial et objectif conformément à l’éthique et la déontologie journalistiques. C’est à ce périlleux exercice de funambule ou même de « fakir » que va devoir se livrer l’auteur de ces lignes. En effet, l’épineuse question est de savoir comment, tout en n’étant pas du tout friand des pâtisseries du boulanger de Cocody, expliquer le choix de Laurent Koudou Gbagbo comme Homme de l’année 2010 par la Rédaction de l’Obs..

Alea jacta est. Pour ce faire, il faut tout d’abord arrêter d’ergoter sur le fait que l’Homme de l’année doive nécessairement être celui qui se serait illustré positivement durant les 12 derniers mois pour s’accorder sur le fait qu’il peut désigner simplement celui qui a vraiment marqué les esprits. En bien, comme en mal. Dans ce sens, force est de reconnaître alors que l’enfant terrible de Mama est sans conteste celui qui aura le plus fait parler de lui au cours de l’année qui s’achève. En effet, après avoir dirigé pendant dix ans la Côte d’Ivoire, certes divisée en deux, Gbagbo ira à l’élection présidentielle du 31 octobre 2010 sous la bannière de la Majorité présidentielle (LMP).

Arrivé en tête (voir encadré), il disputera le second tour, le 28 novembre, face au candidat du Rassemblement des républicains (RDR) appuyé par le RHDP, Alassane Dramane Ouattara. Dans un premier temps, annoncé perdant (avec 45,9% des voix contre 54,1% pour son adversaire) par la Commission électorale indépendante (CEI), le woody de Mama sera finalement proclamé vainqueur (avec 51, 45% des voix) par un Conseil constitutionnel acquis. Dans la foulée, l’historien-chercheur de formation va rapidement prêter serment et nommer l’universitaire, Gilbert Marie Aké N’Gbo comme Premier ministre.

Ce qui va créer un bicéphalisme à la tête de l’Etat ivoirien car ADO, de son côté, va tenir mordicus à sa victoire en prêtant serment par écrit et en nommant Guillaume Soro comme Premier ministre (dont le gouvernement va siéger au Golf hôtel où ils se sont réfugiés, d’où le quolibet : la République du Golf). On va alors assister à un cas de figure tristement historique : un pays, deux présidents, deux gouvernements et que sait-on encore. “Hold up électoral”, “coup de force électoral”, les formules foisonnent pour désigner le fait du Prince de l’époux “légitime” de Simone Ehivet et “coutumier” de Nadiana « Nadi » Bamba.

De quoi faire la Une et les choux gras des journaux dans le monde entier en général et en particulier au Burkina. La Communauté internationale, l’Union européenne, l’Union africaine, la CEDEAO, les Etats-Unis, la France, reconnaissent tous Ouattara comme le Président légitime de la Côte d’Ivoire et demandent à Gbagbo de libérer le fauteuil présidentiel. Loin de s’en laisser conter, l’homme à la célèbre formule : « y a rien en face, c’est maïs ! », va balayer du revers de la main les sanctions et menaces brandies de part et d’autre contre lui et son entourage pour se cramponner au trône.

Pire, il suspend l’émission des chaînes étrangères sur le territoire ivoirien et demande à l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) de plier bagage du sol d’Eburnie. Niet lui répondra le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon. Il aurait pu même ajouter : « Jam ko ko ! » (« Jamais » pour parler Noutchi l’argot ivoirien tant prisé par Gbagbo). Après quelque trois semaines de silence, Laurent Gbagbo, lors de sa première allocution télévisée, fera une proposition pour un “règlement pacifique” de la crise : il se dit prêt à accueillir un « comité international d’évaluation sur la crise post-électorale ».

Réponse de la CEDEAO réunie à Abuja, le vendredi 24 décembre dernier : son départ et elle missionne des émissaires, en l’occurrence les présidents béninois Yayi Boni, sierra-léonais Ernest Koroma et cap-verdien Pedro Pires, pour aller le lui répéter de visu en guise d’ultimatum. Le communiqué final du sommet d’Abuja s’est voulu, en effet, comminatoire : « En cas de rejet de cette demande non négociable, la Communauté n’aura d’autre choix que de prendre toutes les mesures nécessaires y compris l’usage de la force légitime pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien. »

Que nenni, Gbagbo est resté sourd à leur démarche du mardi 28 décembre dernier et les trois médiateurs devront une nouvelle fois le revoir, le 3 janvier prochain. Nouvelle trouvaille du grand perdant, il a décidé de saisir les juridictions régionales et internationales sur le bien-fondé de sa position au plan juridique. Et à cet effet, il fait appel aux grands ténors du barreau parisien en l’occurrence Me Roland Dumas et Me Jacques Vergès. Maintenant, puisque notre Homme de l’année, Laurent Koudou Gbagbo, a tant fait parler de lui au cours de 2010, il y a lieu de se demander ce qu’il en sera en 2011.

Le boulanger de Cocody va-t-il sortir une nouvelle recette de son tablier et rouler, une nouvelle fois, tout le monde dans la farine ou va-t-il céder à la volonté de la Communauté internationale et quitter le pouvoir comme Guéï en 2000 ? Question à trois sous. Enfin, qui sera l’Homme de l’année 2011 ? La compétition reste ouverte. Puisse Dieu vous garder en bonne santé pour le savoir. En ce qui nous concerne, après cet ‘‘accouchement’’, croyez-le, dans la douleur, nous ne pouvons que conclure en paraphrasant Karl Marx dans La critique du programme de Gotha : « Dixi et salvari animam meam » (« J’ai parlé et j’ai sauvé mon âme » pour les non-initiés). Enfin espérons-le.

Hyacinthe Sanou L’Homme de l’année en quelques dates

31 mai 1945 : Laurent Koudou Gbagbo voit le jour à Mama (petit village ivoirien non loin de la ville de Gagnoa).

Juin 1979 : il soutient sa thèse de “docteur d’université” en histoire intitulée : Les Ressorts socio-économiques de la politique ivoirienne : 1940-1960.

Mars 1971 : Membre du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (SYNARES), ce syndicaliste actif dans les années

1970 est emprisonné à Séguéla et Bouaké jusqu’à janvier 1973.

1982 : C’est durant cette année que naît dans la clandestinité le futur Front populaire ivoirien (FPI).

1985 : Parti en exil en France, il cherche à promouvoir le FPI et son programme de gouvernement visant à lutter contre la “dictature” du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, alors parti unique, et à promouvoir le multipartisme avant d’être « invité » à rentrer au pays en 1988 par Félix Houphouët-Boigny qui lui accorde son pardon sous prétexte que « l’arbre ne se fâche pas contre l’oiseau ».

28 octobre 1990 : il se présente à l’élection présidentielle contre le président Félix Houphouët-Boigny ; une première à l’époque et Gbagbo remporte 18,3% des suffrages, ce qui lui confère le statut de leader de l’opposition.

6 mars 1992 : Gbagbo est condamné à deux ans de prison avant d’être finalement libéré en août de la même année.

22 octobre 1995 : il appelle au boycott de l’élection présidentielle faisant suite à la mort d’Houphouët-Boigny, en raison de la réforme du Code électoral. Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale et successeur constitutionnel du défunt président, est élu avec 96,44% des voix.

22 octobre 2000 : il se présente à l’élection présidentielle contre le général Robert Guéï qui a renversé le président Bédié le 24 décembre 1999. Les résultats donnent Gbagbo vainqueur face à Guéï, qui les conteste. Des heurts s’ensuivent. Gbagbo devient président le 26 octobre, Guéï reconnaissant la légitimité de Gbagbo le 13 novembre.

19 septembre 2002 : une rébellion éclate à partir du Nord du pays alors que le président est à Rome. La situation tourne rapidement à un conflit entre un sud tenu par le gouvernement (les FANCI) et un nord tenu par les rebelles (les Forces nouvelles)

6 novembre 2004 : les bombardements opérés par l’armée ivoirienne sur la zone de confiance notamment à Man et Bouaké font neuf morts parmi les soldats français. En riposte, l’armée française détruit deux avions de type Soukhoï 25 et les hélicoptères MI-24. Accord de Ouagadougou.

4 mars 2007 : après l’échec des Accords de Marcoussis, on assiste à des rencontres entre les délégations des différentes parties du 5 février au 3 mars 2007 à Ouagadougou. Il signe finalement un accord politique le 4 mars avec le porte-parole des rebelles, Guillaume Soro et le président burkinabè Blaise Compaoré qui a joué le rôle de facilitateur. C’est l’Accord politique de Ouagadougou qui l’oblige à nommer Soro comme Premier ministre le 29 mars.

31 octobre 2010 : il participe au premier tour de l’élection présidentielle dont il arrive en tête avec 38,6%.

8 novembre 2010 : le second tour l’oppose au candidat du RDR, Alassane Dramane Ouattara (ADO).

3 décembre 2010 : après avoir invalidé les résultats de la CEI proclamés la veille et qui donnaient ADO vainqueur avec 54,1% des voix, le Conseil constitutionnel, présidé par Paul Yao N’Dré, annonce la victoire de Laurent Gbagbo avec 51, 45 %.

4 décembre 2010 : il est investi à Abidjan et pendant ce temps, le Premier ministre, Guillaume Soro, qui ne le reconnaît plus comme chef de l’Etat, remet sa démission à Alassane Ouattara, le même jour. Soro est aussitôt « reconduit » dans ses fonctions par Alassane Ouattara qui a également prêté serment par écrit « en qualité de président de la République de Côte d’Ivoire ».

6 décembre 2010 : Malgré les menaces et sanctions chaque jour croissantes de la Communauté internationale, Gbagbo nomme un de ses proches, le président de l’université de Cocody, Gilbert Marie Aké N’Gbo, au poste de Premier ministre et ce dernier forme aussitôt son gouvernement et dans lequel, entre autres, le « ministre de la Rue » de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, est propulsé ministre de la Jeunesse et de la Formation professionnelle

21 décembre 2010 : lors de sa première allocution télévisée depuis son investiture, Gbagbo se réaffirme président mais propose la création d’un « comité d’évaluation international » pour sortir pacifiquement de la crise. … ?

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