Une intervention militaire en Côte d’Ivoire «est possible, mais très dangereuse»

Les présidents du Benin, Boni Yayi (à gauche) et de Sierra Leone (au centre) acceuillis à l'aéroport d'Abidjan par le premier ministre ivoirien Ake N'gbo lundi 3 janvier (Photo : AP/Sunday Alamba).

La Cedeao menait lundi 3 janvier à Abidjan une nouvelle tentative pour pousser Laurent Gbagbo au départ

Quatre dirigeants africains tentaient, lundi 3 janvier à Abidjan, d’obtenir le départ de Laurent Gbagbo. La mission était composée des présidents du Bénin, Boni Yayi, de Sierra Leone, Ernest Koroma, et du Cap-Vert, Pedro Pires.

Ces émissaires de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’étaient entretenus il y a une semaine à Abidjan avec Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, le président légitime pour la communauté internationale. Lundi, le premier ministre kényan Raila Odinga s’est joint aux trois chefs d’État en tant que médiateur de l’Union africaine (UA).
Pourquoi la communauté internationale n’accepte-t-elle pas de transiger ?

Depuis huit ans, la résolution du conflit ivoirien a mobilisé la communauté internationale, en temps et en argent, et donné lieu à plusieurs accords. La tenue de l’élection présidentielle était acceptée par les protagonistes. Ses modalités prévoyaient que le responsable de la mission de l’ONU dans le pays était chargé de la certification du scrutin. Choi Young-jin a affirmé que « même si toutes les réclamations déposées par la majorité présidentielle sont prises en compte en nombre de procès-verbaux et de votes, le résultat donne la victoire à Alassane Ouattara ».

Pour la communauté internationale, les irrégularités constatées ne relevaient pas de la fraude massive. La mission d’observation électorale de l’Union européenne, invitée par le gouvernement ivoirien, avait déployé une centaine d’observateurs. Elle a constaté « la régularité du scrutin dans la grande majorité des bureaux de vote observés ». Aujourd’hui, Laurent Gbagbo « a le temps pour lui. Plus il dure, plus longtemps il sera président », résume un observateur.

Que peut obtenir la médiation africaine ?

Les quatre émissaires africains doivent rencontrer les deux protagonistes de la crise. « Laurent Gbagbo doit quitter la présidence et cela ne fera l’objet d’aucun compromis », a averti lundi le porte-parole du gouvernement sierra-léonais. « Nous n’allons pas céder », avait déclaré dans ses vœux de Nouvel An le président sortant, fustigeant « une tentative de coup d’État menée sous la bannière de la communauté internationale ».

La Cedeao a menacé d’une intervention militaire, actuellement en préparation, au cas où Laurent Gbagbo n’accepterait pas de partir. Le porte-parole sierra-léonais a cependant ajouté : « Nous essayons de favoriser un départ paisible pour lui afin qu’il puisse quitter ses fonctions dignement. »

Le président en exercice de la Cedeao, le chef de l’État nigérian, devait revoir lundi soir Raila Odinga à Abuja. Jonathan Goodluck a promis de « nouveaux pas » aujourd’hui.

En quoi consiste l’option militaire ?

« Dans la pratique, l’intervention armée de la Cedeao peut être demandée par le chef d’État légitime, Alassane Ouattara », explique un observateur. Les chefs d’état-major ouest-africains se sont réunis la semaine dernière à Abuja et doivent se revoir au Mali les 17 et 18 janvier.

La force militaire ouest-africaine, l’Ecomog, est déjà intervenue dans le passé au Liberia ou en Sierra Leone. « La situation est différente en Côte d’Ivoire, car la guerre civile n’a pas encore commencé.

Une intervention militaire est possible, mais très dangereuse. En effet, Laurent Gbagbo a des moyens de pression. Il possède des soutiens politiques internes, il pourrait faire pression sur les communautés ouest-africaines installées en Côte d’Ivoire et il est en mesure d’organiser une rébellion à partir du grand ouest du pays », évalue Rinaldo Depagne, chez International Crisis Group.

De leur côté, les 900 militaires français de la force Licorne présents à Abidjan ont comme seules missions connues de sécuriser l’aéroport, contigu de leur base de Port Bouet, et d’exfiltrer les ressortissants français.

Quant aux 10 000 soldats de l’Onuci, cible actuelle des attaques du camp Gbagbo, 10% sont affectés à la protection de l’hôtel du Golf où sont basés Alassane Ouattara et son gouvernement. Vendredi, le Royaume-Uni s’est déclaré prêt à soutenir une intervention militaire sous mandat des Nations unies en Côte d’Ivoire.

Quels risques comporte une intervention extérieure ?

« Gbagbo galvanise ses troupes en faisant passer les pressions extérieures pour une affaire néocoloniale », résume Rinaldo Depagne. Le porte-parole du gouvernement de Laurent Gbagbo, Ahoua Don Mello, a dénoncé la décision « inacceptable » des dirigeants de la Cedeao, un « complot du bloc occidental dirigé par la France », qui va « exciter le patriotisme » des Ivoiriens. Ahoua Don Mello a rappelé que son pays est « une terre d’immigration » où vivent et travaillent des millions d’Africains de l’Ouest. Les dirigeants ouest-africains « savent que s’ils attaquent la Côte d’Ivoire de l’extérieur, ça va se transformer en guerre civile à l’intérieur », a-t-il menacé.

Le spectre d’une intervention dans les quartiers pro-Ouattara est également brandi par les Jeunes patriotes, une milice pro-Gbagbo conduite par Charles Blé Goudé. « Laurent Gbagbo a eu huit ans pour faire d’Abidjan et de ses dédales un camp retranché », estime Rinaldo Depagne.

Cent soixante-dix-neuf personnes ont été tuées depuis la mi-décembre selon l’ONU, qui a souligné la responsabilité des forces pro-Gbagbo. « L’ONU fera tout pour accéder aux sites où se trouveraient des charniers », a précisé son secrétaire général, Ban Ki-moon.

Pour dénouer la situation, la communauté internationale ne semble pas compter sur les Forces nouvelles, qui soutiennent Alassane Ouattara et sont installées dans le Nord, à Bouaké. Elles sont jugées « trop faibles » par un expert.

Reste une « solution interne » qui verrait l’armée ivoirienne, pour l’instant rangée derrière Laurent Gbagbo, se rallier au président élu Alassane Ouattara. « Certains continuent à travailler sur la question à Abidjan, sans être arrivés à s’organiser, jusqu’à présent », estime l’expert.

Pierre COCHEZ
la-croix.com

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